Pour alimenter une
chronique radiophonique locale intitulée "Un homme dans la foule", la
jeune Marcia Jeffries s'en va recueillir la parole de prisonniers incarcérés
dans la geôle du shérif. L'un d'eux, Larry Rhodes, accepte de s'exprimer contre
une remise de peine. Le personnage s'avère d'une éloquence et d'une finesse
surprenante. Il se voit aussitôt proposer une émission quotidienne qui fait un
tabac. Son talent charismatique l'emmène jusqu'à véritablement crouler sous les
propositions d'embauches.
A Face in a crowd
est une œuvre visionnaire où Elia Kazan scrute avec crudité le pouvoir des
médias et la mégalomanie de ceux à leur tête, grisés par la puissance prodigué
par cet opium du peuple. Le film offre une sorte de pendant négatif aux
classiques de Frank Capra comme L’Homme de la rue (1941) et L’Extravagant Mr Deeds (1936). Comme dans ses deux films, Kazan dépeint l’ascension d’un
homme du peuple dont le message naïf va trouver l’attention de l’opinion qui y
sera sensible avant de se retourner contre lui. Si Gary Cooper/John Doe/Mr
Deeds conservera sa pureté d’âme au risque d’être écrasé par la vindicte
populaire, il en ira tout autrement de Lonesome Rhodes (Andy Griffiths)
vagabond parvenu au sommet et rendu monstrueux par l’adulation.
Les époques
diffèrent entre les films et si la foule est toujours aussi aisée à manipuler,
l’homme ordinaire et vertueux est désormais condamné à se brûler les ailes,
gargarisé par la toute-puissance qu’il semble détenir. La différence tient en
un mot : télévision. Les films de Capra appartiennent à l’ère de la radio,
où la notoriété ne se ressent qu’au sortir du studio et des réactions
enflammées des auditeurs. La télévision, par sa plus grande portée, par la
force accrue de l’image et du miroir satisfait nourrissant le narcissisme de
ses vedettes va créer d’autres formes de monstres.
Flattant le peuple ordinaire qui se reconnaît
en lui, ridiculisant les figures d’autorités par des défis loufoque, Lonesome
Rhodes a l’insouciance et le culot de ceux qui n’ont rien à perdre, prêt à
reprendre la route à la première anicroche. Prenant conscience de son pouvoir
sur les foules, il en est d’abord effrayé quand son mentor Marcia (Patricia
Neal) le lui fait comprendre. Si l’on devine son cynisme sous cette
désinvolture au détour de quelques dialogues, c’est réellement l’accession à la
télévision qui le fera basculer.
Notre héros y trouve vite ses marques et désormais ses bravades ne servent plus qu’à servir son égo comme lorsqu’il dénigrera les produits de l’annonceur qui le rémunère. Cette action lui attire l’adulation des foules et fait paradoxalement gonfler les ventes du produit moqué (péripétie justement inspirée d’Arthur Godfrey) ce qui lui donnera ce sentiment de toute-puissance, de gourou manipulant les foules et s’attirant l’allégeance des puissants.
Notre héros y trouve vite ses marques et désormais ses bravades ne servent plus qu’à servir son égo comme lorsqu’il dénigrera les produits de l’annonceur qui le rémunère. Cette action lui attire l’adulation des foules et fait paradoxalement gonfler les ventes du produit moqué (péripétie justement inspirée d’Arthur Godfrey) ce qui lui donnera ce sentiment de toute-puissance, de gourou manipulant les foules et s’attirant l’allégeance des puissants.
Andy Griffiths pour son premier rôle au cinéma est tout
simplement extraordinaire. Le surjeu parfois outrancier qui peut agacer dans la
direction d’acteur de Kazan est ici parfaitement approprié pour cet ogre. Les
éléments lui donnant une présence joviale (son rire tonitruant, son accent
sudiste outré, sa voix de stentor) se font de plus en plus factice et calculés,
Kazan l’isolant de plus en plus par des gros plans outranciers rendant sa
présence monstrueuse et grotesque. Désormais il n’a plus de compte à rendre à
personne, s’appropriant ce qui est à son gout (à l’image de la pom pom girl
énamourée jouée par la débutante Lee Remick) et trahissant les rares personnes
attachée à lui. Lonesome Rhodes impose une présence hypnotique et repoussante à
la fois, une attraction pour les foules naïve et un séducteur irrésistible.
L’addiction
des téléspectateurs se confond avec celle, amoureuse de Marcia et une Patricia
Neal de plus en plus dominée par celui qu’elle a pourtant sorti du fossé. C’est
par elle que la supercherie pourra enfin pourra enfin se révéler, la frayeur
face à ce qu’elle a façonné lui faisant révéler son vrai visage au monde. Le
final vire au cauchemar halluciné où l’égo désormais sans reflet de Lonesome
Rhodes tourne désormais à vide sur fond de rires enregistrés.
On repensera une
nouvelle fois à un envers torturé de Capra avec cette fin répondant à celle de
L’Homme de la rue. Chez Capra, John Doe dépité par l’incompréhension de son
message était prêt à se jeter d’un building par dépit. Dans la même situation,
Lonesome Rhodes ne franchira jamais le pas malgré ses avertissements. Il s’aime
bien trop pour cela et garde l’espoir illusoire de retrouver le haut de l’affiche.
Sorti en dvd zone 2 français chez BAC Films
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