Les interrogations et
les actes d'un jeune fasciste en 1935 alors qu'il est envoyé en mission en
France pour supprimer un professeur de philosophie qui lutte au sein des
activités antifascistes.
Bernardo Bertolucci n’avait cessé, tout au long de ses
premiers films, d’entremêler préoccupations politiques, questionnements intimes et forme novatrice.
Après un La commare secca (1962)
encore sous influence de son mentor Pasolini (qui lui en offre le sujet),
Bertolucci va ainsi préfigurer les soubresauts de Mai 68 avec Prima della rivoluzione (1964),
s’essayer à l’esthétique avant-gardiste dans Partner (1968) et s’interroger sur le passé fasciste de l’Italie
sur La Stratégie de l'araignée
(1970). Chacune de ces œuvres va cependant rencontrer l’échec commercial et/ou
critique, leurs recherches thématiques et formelles trouvant enfin un premier
aboutissement dans une tonalité romanesque avec Le Conformiste.
Bertolucci
découvre de façon indirecte le roman éponyme d’Alberto Moravia lorsque son
compagnon de l’époque dévore l’ouvrage et lui en fait un résumé détaillé et
enthousiaste. Au même moment le réalisateur est sollicité par Mars Film,
succursale italienne de la Paramount (avec laquelle il reste en contact depuis
qu’il a coécrit le scénario d’Il était
une fois dans l’Ouest (1968) de Sergio Leone) afin de proposer un nouveau
sujet de film. Sans idée, Bertolucci refait aux décideurs le récit de son ami
sur le roman et a la surprise de se voir accorder le feu vert. Il va donc
finalement lire le livre, écrire le scénario et préparer le film dans l’urgence
pour ce qui est son premier gros budget avec cette fresque historique.
Dans la fraîcheur matinale parisienne, la silhouette de
Marcello Clerici (Jean-Louis Trintignant) s’engouffre d’un pas anxieux dans une
voiture. Le dialogue avec son acolyte chauffeur Manganiello (Gaston Moschin) et
l’arme que nous l’avons prendre nous fait comprendre qu’ils sont en route pour
mener un assassinat. Tandis que les paysages déserts défilent, Clerici se
souvient de ce qui l’a amené sur ce trajet meurtrier. Les flashbacks vont
révéler par fragments dans différents moments de son passé les motivations de
notre héros. Un traumatisme d’enfance, les maltraitances de ses camarades et une
famille décadente – un père qui à force d’excès a été frappé de démence par
aggravement de sa syphilis, une mère toxicomane collectionnant les amants – ont
toujours donné à Clerici d’être différent, scruté et à la marge.
Il n’aura de cesse de chercher à rentrer dans le rang, à se fondre dans la masse et se rendre invisible, faisant enfin partie d’un ensemble. Dans cette Italie des années 30, cela suppose adhérer au régime fasciste de Mussolini et Clerici cherchera à tout prix à se faire voir comme un des partisans les plus déterminé. Pour ce faire il va accepter la mission d’assassiner Quadri (Enzo Tarascio) son ancien professeur et agitateur ayant fuis le régime à Paris. Sous couvert de son voyage de noce, Clerici vogue ainsi vers ce qui sera l’instrument de son intégration définitive.
Il n’aura de cesse de chercher à rentrer dans le rang, à se fondre dans la masse et se rendre invisible, faisant enfin partie d’un ensemble. Dans cette Italie des années 30, cela suppose adhérer au régime fasciste de Mussolini et Clerici cherchera à tout prix à se faire voir comme un des partisans les plus déterminé. Pour ce faire il va accepter la mission d’assassiner Quadri (Enzo Tarascio) son ancien professeur et agitateur ayant fuis le régime à Paris. Sous couvert de son voyage de noce, Clerici vogue ainsi vers ce qui sera l’instrument de son intégration définitive.
Bertolucci n’a de cesse de montrer l’envers néfaste de
l’idéal fasciste dans la première partie, les décors géométriques imposants, les cadrages
majestueux et l’hiératisme des figures croisées étant constamment mis à mal.
Cela se fera d’abord par des éléments perturbateurs s’immisçant dans notre
découverte des arcanes de l’administration fasciste : un tableau obscène
accroché sur le mur blanc immaculé d’une pièce contrebalançant la pureté de l’ensemble,
un fonctionnaire en plein ébats avec une maîtresse dans son bureau.
Quelques
courts moments comique absurdes viennent souligner la folie ambiante de ce
régime (le salut incohérent de Trintignant arme à la main après s’être fait
confier sa mission) et les piliers moraux s’avèrent viciés tel ce prêtre en
confession plus choqué d’une possible relation homosexuelle de Clerici que du
fait qu’il ait (et s’apprête) commis un meurtre. Après avoir dénoncé
l’hypocrisie du fascisme par ses institutions, c’est par l’environnement
personnel de Clerici que cet idéal sera contredit. On découvre donc le lourd
passif de ses parents, mais aussi de sa future épouse Giulia (Stefania
Sandrelli).
Fort insistante et peu regardante sur la chasteté prénuptiale, il
s’avérera qu’elle n’est pas vierge car victime adolescente des abus d’un
« oncle » mais ses attitudes provocantes, son assurance au moment de
commettre l’acte et surtout la désinvolture avec laquelle elle dépeint son
supposé viol sème le doute. Un Pietro Germi avait merveilleusement sur
illustrer le mélange de sensualité et d’allure virginale d’une Stefania
Sandrelli encore adolescente dans Divorce à l’italienne (1961) et l’effet est encore plus fort avec ce personnage
adulte, regard innocent et peau de porcelaine dont l’innocence de façade est
trahie par la gestuelle lascive. Sandrelli exprime également bien la
superficialité et la bêtise du personnage, petite bourgeoise médiocre et qui convient parfaitement à la recherche
de conformisme de Clerici. Lui-même semble avoir un passé amoureux plutôt
tumultueux qu’on devine au détour de quelques dialogues ou d’allusions subtiles
comme cette jeune domestique aux regards trop insistants.
La détermination de Clerici va pourtant vaciller dès son
arrivée à Paris, par les souvenirs idéalistes que raniment les retrouvailles
avec son professeur (magnifique scène d’entrevue au bureau où est évoquée
l’allégorie de la caverne de Platon) mais surtout par la rencontre de son
énigmatique et séduisante épouse Anna (Dominique Sanda). Personne n’est dupe
pourtant du rôle de l’autre et de ses objectifs, le tourbillon amoureux
semblant jouer une comédie jouée d’avance. Malgré ses sentiments Clerici semble
à la fois trop lâche pour remplir sa mission mais aussi de s’en
détourner par amour.
Trintignant parait toujours comme figé, cloué au sol même
si tout dans son regard laisse deviner un besoin de s’abandonner. Mais cela
supposerait sortir du rang. Dominique Sanda à l’inverse exprime ce
rapprochement impossible sa liberté de ton et de moeurs, par une extravagance constamment ambiguë quant à ce
qu’elle éprouve réellement pour Clerici. Elle répond et repousse dans le même
temps ces avances, exprime une amitié lorgnant sur le saphisme pour Giulia,
sans que l’on sache si cela relève du calcul ou d’élans sincères. Ce doute se
maintiendra jusqu’au bout, tout comme la conviction de la faiblesse de Clerici.
Formellement Bertolucci tisse une vraie différence entre
l’Italie fasciste à la photo grise et désaturée (pour une pureté de façade) et la France du Front
populaire les composition de plan s'inspirant de la flamboyance Hollywoodienne et de l'onirisme du réalisme poétique français. En France la photo de Vittorio Storaro prend des teintes
bleutées, l’atmosphère se fait lumineuse (les fameuses vitrines de mode
parisiennes, la scène de bal et la danse entre Anna et Giulia) et l’on respire
enfin dans de vrais extérieurs après la claustrophobie fasciste avec de
somptueuses vues de la Tour Eiffel.
Les mouvements de caméras et cadrages
servent toujours un aspect fuyant dans les scènes sentimentales telle cette
somptueuse scène d’amour en train tandis que défile un arrière-plan de
crépuscule rougeoyant. Seul le temps et les flashbacks établissent ces basculement formels dans la première partie mais les renoncements de Clerici feront la bascule dans une même temporalité au final. La progression dramatique et le cheminement du récit nous amène du départ dans une aube "bleue" à une matinée "grise" lorsque la violence du fascisme surgit à travers les brumes matinales d'une forêt.
Le montage glisse aussi sur ces passions factices en escamotant chaque escalade sensuelle possible comme la première étreinte avortée entre Clerici et Anna, le talent des acteurs faisant le reste comme lorsque plus tard Dominique Sanda mord jusqu’au sang la lèvre de Trintignant pour un semblant de baiser. Le montage de Franco Arcalli acquiert une dimension poétique et narrative dans sa manière élégante de glisser entre les époques et être révélatrice de nombreux non-dits qui ne se dévoileront qu’en toute fin. George Delerue signe également une de ses plus belles partitions, Bertolucci (fan de ses compositions pour Jules et Jim et Le Mépris notamment) lui ayant laissé toute latitude pour un thème principal majestueux où les regrets et la passion s’expriment parfaitement.
Le montage glisse aussi sur ces passions factices en escamotant chaque escalade sensuelle possible comme la première étreinte avortée entre Clerici et Anna, le talent des acteurs faisant le reste comme lorsque plus tard Dominique Sanda mord jusqu’au sang la lèvre de Trintignant pour un semblant de baiser. Le montage de Franco Arcalli acquiert une dimension poétique et narrative dans sa manière élégante de glisser entre les époques et être révélatrice de nombreux non-dits qui ne se dévoileront qu’en toute fin. George Delerue signe également une de ses plus belles partitions, Bertolucci (fan de ses compositions pour Jules et Jim et Le Mépris notamment) lui ayant laissé toute latitude pour un thème principal majestueux où les regrets et la passion s’expriment parfaitement.
Tout le film repose sur le doute, le sentiment d’insécurité
du héros marqué par ses errements politiques et son dépit amoureux. Bertolucci
change la fin du roman (où la maison de Clerici et sa famille était bombardée
au moment de la chute du Duce) pour renforcer ce ressenti tout en y apportant
une réponse restant implicite. La tragédie ayant conduit au malentendu d’une vie
pour Clerici reposant peut-être sur une erreur, notre héros ose enfin s’écarter
du sentier. La culpabilité, l’apaisement, l’incertitude, tous peut se lire dans
le dernier regard de Trintignant à la caméra.
Sorti en dvd zone 1 Paramount et doté de sous-titres français et surtout réédité récemment en bluray dans une somptueuse édition chez Raro, all régions et dotée de sous titres anglais
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire