Plusieurs décennies
auparavant, en 1932. À l’époque de sa splendeur en 1932, le Grand Budapest Hotel est un palace sur
lequel règne le distingué concierge M. Gustave. Au milieu de ce microcosme
bourdonnant, il veille à ce que les désirs des hôtes de marque soient
satisfaits avant même qu’ils les expriment. Respecté par les employés, il est
également très prisé par les veuves âgées dont il s’assure la clientèle fidèle,
saison après saison. Il est le seul à s'intéresser à Madame D., ses héritiers
préférant l'imaginer morte. Ce qui arrive un jour, mais le testament ne donne
pas tout aux héritiers : la vieille dame a légué à Gustave H. un tableau de la
Renaissance (Le « garçon à la pomme ») d'une inestimable valeur, qui disparaît
aussitôt.
Un peu à la manière d’un Tarantino lorsqu’il s’attaqua enfin
à son Everest Inglorious Basterds
(2009), Wes Anderson se senti assez confiant et sûr de sa force pour confronter
son univers ludique à la grande Histoire avec The Grand Budapest Hotel. Anderson reprend son éternel portrait de
personnages décalés et rêveurs cette fois dans le cadre de l’entre-deux guerre
au sein du Grand Budapest Hotel, un palace situé dans une contrée imaginaire
d’inspiration germanique (austro-suisse avec ce cadre alpin enneigé) et slave
(Pologne/Hongrie). Nous y suivrons les aventures rocambolesques de Gustave H
(Ralph Fiennes) et Zero Moustafa (Tony Revolori), respectivement concierge et
jeune groom du palace.
Les deux personnages représentent un pont entre l’ancien
et le nouveau monde de cet entre-deux guerre. Gustave H par son raffinement, sa
préciosité et pédanterie est un pur produit de cette Europe d’avant 1914. La dévotion
un peu trop rapprochée qu’il met au service de sa prestigieuse clientèle féminine
et ayant depuis longtemps atteint l’âge mûr constitue ainsi un ressort comique
qui l’humanise mais symbolise aussi sa nostalgie d’une époque déjà révolue
qu’il prolonge en cet entre-deux guerre.
Le jeune Zéro est lui vecteur d’avenir
par sa nature d’émigrant naïf et juvénile représentant un monde cosmopolite en
devenir mais aussi les heures sombre futures où l’étranger sera stigmatisé.
Anderson orchestre ces mutations dans une intrigue trépidante qui va faire
cavaler nos deux héros dans cet univers changeant lorsque Gustave va hériter
d’un tableau hors de prix d’une cliente (Tilda Swinton) décédée et possiblement
assassinée.
Les clivages de classe de la société passée et ceux raciaux
de la future se placent donc sur la route des personnages en la personne du
redoutable Dmitri (Adrien Brody) hargneux héritier supposé de la défunte et
dont l’uniforme sombre, tout comme celui de son impitoyable homme de main
Jopling (Willem Dafoe) annoncent les silhouettes qui sèmeront la terreur en
Europe. Ces clivages pourraient potentiellement avoir cours entre nos héros,
quelques relents de condescendance et de racisme ordinaire se dessinant parfois
dans l’attitude de Gustave H envers Zero (la scène où il l’invective après
l’évasion).
C’est tout le génie de Ralph Fiennes avec ce personnage, reflet des
préjugés de son temps mais capable de les dépasser par sa profonde humanité.
Son empathie pour ses clientes du troisième âge reflète certes son amour au
passé mais détaché de toute forme d’idéologie politique, il est facile pour lui
de se lier à Zero une fois qu’il l’aura estimé digne du prestige du Grand
Budapest Hotel.
Tous les héros symbolisent ainsi des êtres pas à leur place
dans cette époque tirant vers la barbarie, Gustave H et Zero comme bien sûr
mais aussi Agatha (Saoirse Ronan à la présence toujours aussi envoutante et
fragile) dont le physique imparfait ne rentre pas dans les canons de perfection
d’alors. L’alchimie entre ces êtres marginaux constitue le cœur du film,
Anderson la prolongeant à travers d’autres figures comme les comparses
d’évasion de Gustave H mais aussi cette sorte d’amicale des concierges qui va
aider nos héros (une des séquences les plus jubilatoires du film) dans leur
quête.
Fantastic Mr Fox
(2009) avait grandement fait évoluer l’esthétique de Wes Anderson, la
stop-motion étant la technique idéale à sa méticulosité qui trouvait une
dynamique inédite avec ce passage par l’animation. On en verrait le résultat
dans le fabuleux Moonrise Kingdom
(2012) où son sens du détail alternait avec des tableaux bondissant et de pures
inspirations cartoons. The Grand Budapest
Hotel apporte une sorte de perfection à cette approche.
Après avoir cherché
en vain en Europe un vieil hôtel abandonné issu de la période de son histoire,
Anderson aura jeté son dévolu sur une galerie marchande polonaise dont
l’architecture art nouveau se prêtait bien à une transformation en palace
rétro. Ainsi transformé par la production, le décor luxueux est une merveille fourmillant
de détail qu’il faut plusieurs visionnages à distinguer et où Anderson aura
donné libre cours à sa maniaquerie avec un plaisir visible (les faux journaux
contenant entre autre de vrais articles écrits par le réalisateur, le tableau
obscène remplaçant celui volé par Gustave H) dans ses cadrages et sa mise en
scène millimétrée.
Les extérieurs sont embellis par des techniques oubliées à
l’ère du tout numérique, la façade de l’hôtel arborant une splendide maquette dont
les accès fonctionnent en stop-motion comme le téléphérique. Les environnements
sont transformés à coup de matte-painting, la ville de Görlitz (ville de l'est de l’Allemagne, frontalière
avec la Pologne et la République tchèque) voyant son cadre d’autant plus
stylisé et amplifié par les retouches graphiques de la direction artistique,
sans parler d’autres environnements extravagant comme ce monastère en montagne.
Les liens entre cinéma live et animation se font d’autant plus poreux quand
l’action se déchaîne avec une délirante poursuite à ski en stop-motion mise en
place par l’équipe de Fantastic Mr Fox. Cet aspect volontairement imparfait et
désuet s’inscrit parfaitement dans le côté dépassé, hors du temps et figé du
cadre du film et l’on se dit qu’Anderson aurait été le candidat idéal pour une
adaptation live de Tintin (son
intrigue d’espionnage en pays imaginaire lorgnant d’ailleurs sur le Hergé du Sceptre d’Otokar et sa Syldavie).
L’inspiration de Wes Anderson est multiple sur le film et
illustre la nostalgie en creux sous l’aventure trépidante. Le scénario
s’inspire notamment des mémoires de Stefan Zweig et la construction du récit
reprend celle de certains de ces plus fameux écrits : la narration en
flashback par l’intermédiaire d’un double narrateur, un figurant l’auteur et
l’autre un personnage rencontré racontant son histoire évoquera donc Vingt-quatre heures de la vie d’une femme ou encore la nouvelle Amok. Ici cela s’exprime par la
transition allant d’une lectrice de nos jours aux confidences de l’auteur en
1985 nous rapportant le récit qui lui fut fait en 1968 pa un Zero (F. Murray Abraham) vieillissant
dans un Grand Budapest Hotel désormais abandonné.
Ce côté post-moderne emprunte
également à une littérature plus récente se rapportant à cette époque comme Suite française roman posthume d’Irène Némirovsky et
enfin d’une dimension cinéphile où planent les fantômes de Grand Hôtel (Edmund Goulding, 1932), The Shop Around the corner ((1940) Lubitsch évoquant le même thème
d’un paradis perdu) ou Aimez-moi ce soir (Rouben Mamoulian,
1932). Wes Anderson jongle d’ailleurs entre les formats selon les époques (1,37:1
pour les années 1930, 2.35 pour les années 1960 et en 1.85 pour l’époque
contemporaine) pour apporter une facette référentielle amusante.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Fox
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