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mardi 23 décembre 2014

Mary Poppins - Robert Stevenson (1964)

Rien ne va plus dans la famille Banks. La nurse vient de donner sa démission Et ni M. Banks, banquier d'affaire, ni son épouse, suffragette active, ne peuvent s'occuper des enfants Jane et Michael. Ces derniers passent alors une annonce tout à fait fantaisiste pour trouver une nouvelle nurse. C'est Mary Poppins qui répond et apparaît dès le lendemain, portée par le vent d'Est. Elle entraîne aussitôt les enfants dans son univers merveilleux.

Les plus grands films de l’âge d’or des Studios Disney furent souvent ceux où Walt Disney était le plus impliqué. Son exigence, sa capacité à repérer et stimuler les talents de ses collaborateurs et son génie créatif tiraient les projets vers le haut pour atteindre cette si insaisissable magie Disney. Son investissement sera malheureusement moindre pour un Walt Disney désormais occupé à gérer un véritable empire du divertissement où au cinéma s’ajoute la télévision et les parcs d’attractions - au Disneyland ouvert en 1955 s’ajoutera Walt Disney World en Floride, ouvert à titre posthume en 1971 mais dont le projet est en cours quand le mogul meurt en 1966. Les productions précédentes avaient marquées un certain virage après l’échec commercial de La Belle au bois dormant (1959) avec notamment l’abandon du conte de fée, mais en partie aussi des chansons comme sur Les 101 Dalmatiens (1961) qui n’en comportait que deux. Merlin l’enchanteur (1963) qui suivrait serait une œuvre divertissante mais pas à la hauteur des grands classiques d’antan et c’est réellement la réussite de Mary Poppins qui constituerait l’ultime triomphe de Walt Disney, son testament et qui marquerait la fin du premier âge d’or du studio.

Le film fut un projet de longue haleine pour Walt Disney. C’est durant les années 40 qu’il découvre la série de roman de l’australienne Pamela L. Travers parmi les lectures de sa fille Diane et en décèle immédiatement le potentiel. Il faudra près de 20 ans de tractations pour convaincre la très tatillonne Pamela L. Travers qui ne cède qu’en 1960 pour 100 000 dollars, un pourcentage sur les recettes de 5 %,  et son aval sur le scénario final. A l’occasion d’un voyage à Londres, Walt Disney avait rendu visite à la romancière et avait su forcer la décision à coup de charme et de bagout. Il n’avait cependant pas attendu l’aval de Travers pour lancer le projet puisque les compositeurs Richard et Robert Sherman – dont Disney avait apprécié le travail sur La Fiancée de papa (1961) parmi leur premiers travaux au studio – ainsi que les scénaristes Bill Walsh et Don DaGradi travaillent déjà à l’adaptation, aux chansons et premiers concepts visuels depuis deux ans. Ces premiers choix demandent également l’aval de Pamela L. Travers pour que le projet soit définitivement lancé et seront l’objet de nouvelles discussions houleuses lorsque celle-ci se rendra à Beverly Hills pour découvrir ces premiers jets.

Les modifications sont en effet nombreuses. Les quatre premiers livres de la série - Mary Poppins (1934), Mary Poppins comes back (1935), Mary Poppins opens the door (1943) et Mary Poppins in the park (1952) –  restent l’inspiration principale, en particulier le premier dont six chapitres sont sélectionnés pour n’en retenir au final que trois dans le film et y ajouter des épisodes inventés. La période de La Grande Dépression cadre du roman est abandonnée pour celle Edouardienne de 1910. La fantaisie des écrits reposant grandement sur les jeux de mots et artifices littéraires paraissent difficilement transposables tel quel à l’écran et Walt Disney fera donc le choix d’en faire une comédie musicale. Après avoir hésité entre Bette Davis et essuyé le refus de la vedette de Broadway Mary Martin, le choix de Disney se porte sur Julie Andrews après avoir assisté à une de ses prestations au The Ed Sullivan Show où elle faisait la promotion de la comédie musicale Camelot.

L’actrice hésite car espérant toujours être choisie par Warner pour le rôle-titre de My Fair Lady pour lequel elle a triomphée sur scène mais Jack Warner ne la jugeant pas assez connue optera pour Audrey Hepburn. Dès lors elle est disponible pour incarner une Mary Poppins qui sous la rigueur et la sévérité de la nurse anglaise traditionnelle s’avère plus douce et avenante que le personnage des romans. Cette évolution de caractère ira dans le sens de la volonté des scénaristes de donner au film une ligne dramatique absente des romans où les épisodes sont indépendants et sans enjeux explicites. L’enjeu reposera sur la recherche d’affection des enfants auprès de leur père sérieux et austère, Mary Poppins devant représenter un contrepoint adulte bienveillant.

Dès la majestueuse ouverture sur le scintillant paysage londonien surplombé de nuage où Mary Poppins se pomponne, la magie ne demande qu’à s’inviter dans ce cadre réaliste. Tout comme ce panorama urbain s’orne d’une féérie inattendue, le quotidien morne des jeunes Jane (Karen Dotrice) et Michael Banks (Matthew Garber) va se trouver métamorphosé par l’arrivée de Mary Poppins. Une certaine fantaisie se dessine néanmoins avant son arrivée avec la truculente apparition de Bert (Dick Van Dyke) en homme - orchestre, les personnages hauts en couleurs tels que l’Admiral Bloom et sa maison- navire rythmant le quartier à coup de canon et bien sûr la maisonnée des Banks.

Nous y devinons l’esseulement des enfants à travers l’agitation de ce foyer où ils passent au second plan : la nounou excédée par un énième mauvais tour s’en va sans regret, la mère (Glynis Johns) semble plus préoccupée par ses différentes causes féministes et le père (David Tomlinson) distant applique la froide rigueur de son métier de banquier au sein de sa famille. Tous les manques affectifs nous apparaissent sans encore avoir vu les charmantes bouilles de Jane et Michael – les deux acteurs déjà réunis dans d’autres productions Disney qui ne nous en paraissent que plus attachants en exprimant leur besoin d’attention sur  chanson Petite annonce pour une nounou/ The Perfect Nanny. La réponse arrivera par le vent d’est envoyant aux antipodes les postulantes acariâtre et déposant une Mary Poppins bien décidé à ramener l’amour dans ce foyer.

Julie Andrews est absolument parfaite, arborant une autorité guindée qui ne demande qu’à s’estomper dans un grand sourire. Les enfants sont à la fois respectueux et subjuguée par cette drôle de nounou et la personnalité de Mary Poppins exprime idéalement le mélange de fermeté et de légèreté nécessaire à tout enfant de la part d’un adulte. Par cette association, toute contrainte peut devenir jeu tel ce rangement de nursery endiablé où tout semble rentrer dans l’ordre par magie. Cette manière d’insérer la fantaisie dans le quotidien ira de manière croissante à travers les prouesses visuelles du film. Mary Poppins constitue un aboutissement technique de tous le savoir-faire emmagasiné par Disney où le merveilleux peut s’inviter de toutes les manières possibles. L’apparition d’oiseaux en animatroniques venant saluer un réveil chanté rappelle les plus envoutantes communions entre princesse et nature de Blanche Neige ou La Belle au bois dormant

Disney avait expérimenté le mélange de séquences live et animées dès ses débuts sur les courts-métrages Alice Comedies dans les années 20 et dans le film Mélodie du Sud (1946) et affine avec brio ces tentatives ici dans la séquence où Mary Poppins et les enfants plongent dans un tableau de Bert. Un moment tourbillonnant et bariolé où la prouesse technique se mêle aux chorégraphies virtuoses dans une joyeuse émulation notamment les mouvements des serveurs pingouins qui demandèrent des trésors d’inventivité aux animateurs pour s’adapter à l’improvisation permanente de Dick Van Dyke. C’est un monde de tous les possibles qui s’ouvre alors, une échappée belle où des chevaux de bois peuvent se libérer de leur manège et où la moindre contrariété peut être surmontée en entonnant un joyeux Supercalifragilisticexpialidocious

La douceur, la candeur et la frénésie du monde bariolé de Mary Poppins forment une constante opposition à la froideur de celui des adultes que représente le père. La relecture Disney constitue une forme de critique d’un mode d’éducation traditionnel anglais rigoureux et désincarné (la moquerie d'une partie de chasse étant tout sauf anodine) où la légèreté est absente, où les enfants ne sont pas dignes d’intérêts tant qu’ils ne se destinent pas à des activités plus « sérieuses ». Tout le récit tend vers ce constat, à travers le personnage du père fermant toute possibilité d’imprévu infantile représenté par la chanson Je vis et mène une vie aisée / The Life I Lead. La mère représente également sous sa fantaisie l’aristocrate vaquant à ses diverses occupations sociales au détriment de ses enfants, l’amusement révélant toujours une réalité amère. Mary Poppins, ferme joyeuse, sévère et souple, représente donc à elle seule cette présence attentionnée capable d’apaiser (l’envoutante comptine Ne dormez pas /Stay Awake), d’amuser et de poser un regard bienveillant sur le monde. 

La chanson Nourrir les p'tits oiseaux /Feed the Birds, moment d’apaisement inattendu dans le mouvement perpétuel ambiant est une illustration idéale de cela, un appel simple où dans un doux songe nous découvrons cette vieille dame vendant des graine au pied de la Cathédrale Saint-Paul de Londres. Ce titre était un des favoris de Walt Disney qui demanda souvent à Richard Sherman de la lui jouer à la fin d’une journée harassante. Ce sentiment d’ouverture se révèle donc autant dans cette douceur que dans les moments plus virevoltants, la séquence de la banque en étant l’exact contraire. Venu visiter leur père sur son lieu de travail, Jane et Michael découvre un lieu sombre, étouffant, peuplés de vieux messieurs imposant les « règles » du monde adulte. A la proposition de donner deux pennys pour les oiseaux se substitue l’ordre de donner la somme pour un plus concret investissement financier à faire fructifier. Un état d’esprit auquel les enfants s’opposent avec force.

Mary Poppins servira ainsi de pont entre la rêverie enfantine et le monde des adultes, l’amour bien réel pouvant lier les deux. Ce rapprochement se fera par une extraordinaire séquence où l’urbanité de la ville et la magie du conte, comme opposé en ouverture forme un tout dans une réconciliation en forme d’orgies visuelle. Le travail redevient un jeu avec des ramoneurs déchaînés, l’enjouée Chem cheminée/ Chim Chim Cher-ee avait annoncé cette légèreté prête à se déchaîner lors d’un Prenons le rythme /Step in Time tonitruant. 

Les toits deviennent le théâtre de phénomènes extraordinaires avec ce pont de fumée et une nouvelle fois le mélange des techniques donne un résultat inoubliable où les arrière-plans en matte-painting, les danseurs démultipliés par les effets visuels et l’esprit joyeux confèrent un émerveillement et une bonne humeur contagieuse. On aurait d’ailleurs tort de ne voir dans la réussite esthétique du film que les seuls exploits des animateurs et auteurs, le réalisateur Robert Stevenson retranscrivant dans une veine bariolée une imagerie qu’il avait déjà exploiter dans sa transposition gothique en diable de Jane Eyre ou du mélodrame Cœurs insondables.

Si ses employeurs peuvent le lâcher à la première déconvenue, l’amour de ses enfants est indéfectible, chose dont prendra enfin conscience le père et David Tomlinson lui amène une touchante vulnérabilité après sa raideur initiale. Ce retour à l’insouciance va ainsi permettre la libération et la plénitude de cette famille portée par Laissons-le s'envoler / Let's Go Fly a Kite où le cerf-volant comme les enfants peuvent enfin prendre leur envol. Mary Poppins fière d’avoir accompli sa mission peut reprendre, non sans émotion, son envol. 

Triomphe artistique et émotionnel, Mary Poppins s’avère à l’image de son héroïne un film presque parfait – malgré les exploits câblés la séquence des rires suspendus est un peu longuette et de trop – et qui sera un triomphe commercial récompensé par cinq Oscars dont celui de la meilleure actrice pour Julie Andrews qui damne le pion à Audrey Hepburn nominée pour My Fair Lady. Avec un joli sens de l’ironie, Julie Andrews dont la carrière cinématographique était lancée remerciera Jack Warner de sa clairvoyance. 

 Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Disney

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