Rien ne va plus dans
la famille Banks. La nurse vient de donner sa démission Et ni M. Banks,
banquier d'affaire, ni son épouse, suffragette active, ne peuvent s'occuper des
enfants Jane et Michael. Ces derniers passent alors une annonce tout à fait
fantaisiste pour trouver une nouvelle nurse. C'est Mary Poppins qui répond et
apparaît dès le lendemain, portée par le vent d'Est. Elle entraîne aussitôt les
enfants dans son univers merveilleux.
Les plus grands films de l’âge d’or des Studios Disney
furent souvent ceux où Walt Disney était le plus impliqué. Son exigence, sa
capacité à repérer et stimuler les talents de ses collaborateurs et son génie
créatif tiraient les projets vers le haut pour atteindre cette si insaisissable
magie Disney. Son investissement sera malheureusement moindre pour un Walt
Disney désormais occupé à gérer un véritable empire du divertissement où au
cinéma s’ajoute la télévision et les parcs d’attractions - au Disneyland ouvert
en 1955 s’ajoutera Walt Disney World en Floride, ouvert à titre posthume en
1971 mais dont le projet est en cours quand le mogul meurt en 1966. Les
productions précédentes avaient marquées un certain virage après l’échec
commercial de La Belle au bois dormant
(1959) avec notamment l’abandon du conte de fée, mais en partie aussi des
chansons comme sur Les 101 Dalmatiens (1961)
qui n’en comportait que deux. Merlin
l’enchanteur (1963) qui suivrait serait une œuvre divertissante mais pas à
la hauteur des grands classiques d’antan et c’est réellement la réussite de Mary Poppins qui constituerait l’ultime
triomphe de Walt Disney, son testament et qui marquerait la fin du premier âge
d’or du studio.
Le film fut un projet de longue haleine pour Walt Disney.
C’est durant les années 40 qu’il découvre la série de roman de l’australienne Pamela
L. Travers parmi les lectures de sa fille Diane et en décèle immédiatement le
potentiel. Il faudra près de 20 ans de tractations pour convaincre la très
tatillonne Pamela L. Travers qui ne cède qu’en 1960 pour 100 000 dollars, un
pourcentage sur les recettes de 5 %, et
son aval sur le scénario final. A l’occasion d’un voyage à Londres, Walt Disney
avait rendu visite à la romancière et avait su forcer la décision à coup de
charme et de bagout. Il n’avait cependant pas attendu l’aval de Travers pour
lancer le projet puisque les compositeurs Richard et Robert Sherman – dont Disney
avait apprécié le travail sur La Fiancée
de papa (1961) parmi leur premiers travaux au studio – ainsi que les scénaristes
Bill Walsh et Don DaGradi travaillent déjà à l’adaptation, aux chansons et
premiers concepts visuels depuis deux ans. Ces premiers choix demandent
également l’aval de Pamela L. Travers pour que le projet soit définitivement
lancé et seront l’objet de nouvelles discussions houleuses lorsque celle-ci se
rendra à Beverly Hills pour découvrir ces premiers jets.
Les modifications sont
en effet nombreuses. Les quatre premiers livres de la série - Mary Poppins (1934), Mary Poppins comes back (1935), Mary Poppins opens the door (1943) et Mary Poppins in the park (1952) – restent l’inspiration principale, en
particulier le premier dont six chapitres sont sélectionnés pour n’en retenir
au final que trois dans le film et y ajouter des épisodes inventés. La période
de La Grande Dépression cadre du roman est abandonnée pour celle Edouardienne
de 1910. La fantaisie des écrits reposant grandement sur les jeux de mots et
artifices littéraires paraissent difficilement transposables tel quel à l’écran
et Walt Disney fera donc le choix d’en faire une comédie musicale. Après avoir
hésité entre Bette Davis et essuyé le refus de la vedette de Broadway Mary
Martin, le choix de Disney se porte sur Julie Andrews après avoir assisté à une
de ses prestations au The Ed Sullivan
Show où elle faisait la promotion de la comédie musicale Camelot.
L’actrice hésite car espérant
toujours être choisie par Warner pour le rôle-titre de My Fair Lady pour lequel elle a triomphée sur scène mais Jack
Warner ne la jugeant pas assez connue optera pour Audrey Hepburn. Dès lors elle
est disponible pour incarner une Mary Poppins qui sous la rigueur et la sévérité
de la nurse anglaise traditionnelle s’avère plus douce et avenante que le
personnage des romans. Cette évolution de caractère ira dans le sens de la
volonté des scénaristes de donner au film une ligne dramatique absente des
romans où les épisodes sont indépendants et sans enjeux explicites. L’enjeu
reposera sur la recherche d’affection des enfants auprès de leur père sérieux
et austère, Mary Poppins devant représenter un contrepoint adulte bienveillant.
Nous y
devinons l’esseulement des enfants à travers l’agitation de ce foyer où ils
passent au second plan : la nounou excédée par un énième mauvais tour s’en
va sans regret, la mère (Glynis Johns) semble plus préoccupée par ses
différentes causes féministes et le père (David Tomlinson) distant applique la
froide rigueur de son métier de banquier au sein de sa famille. Tous les manques
affectifs nous apparaissent sans encore avoir vu les charmantes bouilles de
Jane et Michael – les deux acteurs déjà réunis dans d’autres productions Disney
qui ne nous en paraissent que plus attachants en exprimant leur besoin d’attention
sur chanson Petite annonce pour une nounou/ The
Perfect Nanny. La réponse arrivera par le vent d’est envoyant aux antipodes
les postulantes acariâtre et déposant une Mary Poppins bien décidé à ramener l’amour
dans ce foyer.
Julie Andrews est absolument parfaite, arborant une autorité
guindée qui ne demande qu’à s’estomper dans un grand sourire. Les enfants sont
à la fois respectueux et subjuguée par cette drôle de nounou et la personnalité
de Mary Poppins exprime idéalement le mélange de fermeté et de légèreté
nécessaire à tout enfant de la part d’un adulte. Par cette association, toute contrainte
peut devenir jeu tel ce rangement de nursery endiablé où tout semble rentrer
dans l’ordre par magie. Cette manière d’insérer la fantaisie dans le quotidien
ira de manière croissante à travers les prouesses visuelles du film. Mary Poppins
constitue un aboutissement technique de tous le savoir-faire emmagasiné par
Disney où le merveilleux peut s’inviter de toutes les manières possibles. L’apparition
d’oiseaux en animatroniques venant saluer un réveil chanté rappelle les plus
envoutantes communions entre princesse et nature de Blanche Neige ou La Belle au bois dormant.
Disney avait expérimenté le mélange de séquences live et
animées dès ses débuts sur les courts-métrages Alice Comedies dans les années 20 et dans le film Mélodie du Sud (1946) et affine avec
brio ces tentatives ici dans la séquence où Mary Poppins et les enfants
plongent dans un tableau de Bert. Un moment tourbillonnant et bariolé où la
prouesse technique se mêle aux chorégraphies virtuoses dans une joyeuse
émulation notamment les mouvements des serveurs pingouins qui demandèrent des
trésors d’inventivité aux animateurs pour s’adapter à l’improvisation
permanente de Dick Van Dyke. C’est un monde de tous les possibles qui s’ouvre
alors, une échappée belle où des chevaux de bois peuvent se libérer de leur
manège et où la moindre contrariété peut être surmontée en entonnant un joyeux Supercalifragilisticexpialidocious.
La douceur, la candeur et la frénésie du monde bariolé de
Mary Poppins forment une constante opposition à la froideur de celui des
adultes que représente le père. La relecture Disney constitue une forme de
critique d’un mode d’éducation traditionnel anglais rigoureux et désincarné (la moquerie d'une partie de chasse étant tout sauf anodine) où
la légèreté est absente, où les enfants ne sont pas dignes d’intérêts tant qu’ils
ne se destinent pas à des activités plus « sérieuses ». Tout le récit
tend vers ce constat, à travers le personnage du père fermant toute possibilité
d’imprévu infantile représenté par la chanson Je vis et mène une vie aisée / The
Life I Lead. La mère représente également sous sa fantaisie l’aristocrate
vaquant à ses diverses occupations sociales au détriment de ses enfants, l’amusement
révélant toujours une réalité amère. Mary Poppins, ferme joyeuse, sévère et
souple, représente donc à elle seule cette présence attentionnée capable d’apaiser
(l’envoutante comptine Ne dormez pas
/Stay Awake), d’amuser et de poser un
regard bienveillant sur le monde.
La chanson Nourrir les p'tits oiseaux /Feed
the Birds, moment d’apaisement inattendu dans le mouvement perpétuel
ambiant est une illustration idéale de cela, un appel simple où dans un doux
songe nous découvrons cette vieille dame vendant des graine au pied de la Cathédrale
Saint-Paul de Londres. Ce titre était un des favoris de Walt Disney qui demanda
souvent à Richard Sherman de la lui jouer à la fin d’une journée harassante. Ce
sentiment d’ouverture se révèle donc autant dans cette douceur que dans les
moments plus virevoltants, la séquence de la banque en étant l’exact contraire.
Venu visiter leur père sur son lieu de travail, Jane et Michael découvre un
lieu sombre, étouffant, peuplés de vieux messieurs imposant les « règles »
du monde adulte. A la proposition de donner deux pennys pour les oiseaux se
substitue l’ordre de donner la somme pour un plus concret investissement
financier à faire fructifier. Un état d’esprit auquel les enfants s’opposent
avec force.
Mary Poppins servira ainsi de pont entre la rêverie
enfantine et le monde des adultes, l’amour bien réel pouvant lier les deux. Ce
rapprochement se fera par une extraordinaire séquence où l’urbanité de la ville
et la magie du conte, comme opposé en ouverture forme un tout dans une
réconciliation en forme d’orgies visuelle. Le travail redevient un jeu avec des
ramoneurs déchaînés, l’enjouée Chem
cheminée/ Chim Chim Cher-ee avait
annoncé cette légèreté prête à se déchaîner lors d’un Prenons le rythme /Step in Time tonitruant.
Les toits
deviennent le théâtre de phénomènes extraordinaires avec ce pont de fumée et
une nouvelle fois le mélange des techniques donne un résultat inoubliable où
les arrière-plans en matte-painting, les danseurs démultipliés par les effets
visuels et l’esprit joyeux confèrent un émerveillement et une bonne humeur
contagieuse. On aurait d’ailleurs tort de ne voir dans la réussite esthétique
du film que les seuls exploits des animateurs et auteurs, le réalisateur Robert
Stevenson retranscrivant dans une veine bariolée une imagerie qu’il avait déjà
exploiter dans sa transposition gothique en diable de Jane Eyre ou du mélodrame Cœurs insondables.
Si ses employeurs peuvent le lâcher à la première
déconvenue, l’amour de ses enfants est indéfectible, chose dont prendra enfin
conscience le père et David Tomlinson lui amène une touchante vulnérabilité
après sa raideur initiale. Ce retour à l’insouciance va ainsi permettre la
libération et la plénitude de cette famille portée par Laissons-le s'envoler / Let's
Go Fly a Kite où le cerf-volant comme les enfants peuvent enfin prendre
leur envol. Mary Poppins fière d’avoir accompli sa mission peut reprendre, non
sans émotion, son envol.
Triomphe artistique et émotionnel, Mary Poppins s’avère
à l’image de son héroïne un film presque parfait – malgré les exploits câblés
la séquence des rires suspendus est un peu longuette et de trop – et qui sera
un triomphe commercial récompensé par cinq Oscars dont celui de la meilleure
actrice pour Julie Andrews qui damne le pion à Audrey Hepburn nominée pour My Fair Lady. Avec un joli sens de l’ironie,
Julie Andrews dont la carrière cinématographique était lancée remerciera Jack
Warner de sa clairvoyance.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Disney
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