Édouard et Caroline se
préparent pour une soirée mondaine organisée par la famille de cette dernière
et au cours de laquelle Édouard, pianiste, doit donner un concert. Mais il n'a
pas de gilet de smoking et doit aller en emprunter un chez le cousin de sa femme.
Pendant ce temps, Caroline décide de découper sa robe pour la mettre au goût du
jour, ce que son mari va lui reprocher à son retour. C’est le début d’une
longue soirée faite de disputes et de réconciliations.
Avec Edouard et
Caroline, Jacques Becker poursuit son exploration du couple dans la France d’après-guerre
suite aux réussites d’Antoine et Antoinette (1947) et Rendez-vous de
juillet (1949). La tonalité va cependant changer ici après la tendresse des
milieux modeste d’Antoine et Antoinette et
la tonalité festive de Rendez-vous de
juillet suite aux bouleversements dans la vie personnelle de Jacques Becker.
Il va rencontrer sur le casting de ce dernier la comédienne Annette Wademant qu’il
ne retient pas dans le film mais bien dans sa vie, s’installant avec la jeune
femme de 20 ans pour adopter une vie plus bohème. Becker va réorienter sa
compagne vers l’écriture au sein de l’IDHEC (ancêtre de la FEMIS), ses premiers
travaux s’inspirant de leur vie de couple tumultueuse. Le réalisateur fait donc
le choix audacieux de partir de cette base d’une novice pour signer son
prochain film. Ces prémisses vont véritablement faire office de cure de jouvence
pour Becker avec une œuvre à l’économie, tant au niveau narratif (avec une
intrigue ramassée sur quelques heures) que de la conception avec un tournage
ramassé (huit semaines contre les vingt de Rendez-vous
de juillet) et essentiellement en studio se réduisant à trois décors. L’approche
à la fois personnelle, spontanée et stylisée du film marquera durablement les
futurs chantres de la Nouvelle Vague qui y verront une illustration possible de
leur vision du cinéma.
Le couple d’Antoine et
Antoinette trouvait son équilibre dans le croisement de l’immaturité
masculine avec la douceur et la bienveillance féminine. L’union d’Edouard et Caroline sera beaucoup plus
conflictuelle et se manifeste d’entrée par l’image. La composition de plan lors
de la scène d’ouverture rassemble à l’image mais sépare dans leur activité Edouard
(Daniel Gélin) au piano dans le salon et Caroline (Anne Vernon) occupée à des
tâches ménagère dans la salle de bain. Le déséquilibre et la division s’illustre
ainsi symboliquement, Becker poursuivant cette réflexion dans le déroulement du
récit où tout est fait pour affirmer cette impossible réunion dans le cocon
conjugal. Tous les prétextes sont bons de la part des mariés (une commission à
faire, un coup de fil à passer…) ou d’éléments extérieurs (la concierge
réclamant un petit concert au piano) pour s’éloigner et quand ils s’estompent,
ce seront les motifs les plus futiles qui seront sources de disputes, que ce
soit un gilet disparu ou des dictionnaires mal rangés. Tous ces éléments
anodins servent en fait de prémisses à révéler la différence sociale source de
cet éloignement manifeste d’Edouard et Caroline.
Le moment n’est pas anodin
puisque Edouard doit se produire dans la soirée chez l’oncle nanti de Caroline
et devant ses amis pouvant peut être faire avance sa carrière. De milieu
modeste, complexé et à la fois intimidé par l’échéance, Edouard se montre
irascible envers une Caroline dont la frivolité trahit leur différence sociale,
le fameux gilet de concert disparu ayant été jeté car trop usagé. L’habitude de
riche cède à celle du pauvre quand Edouard devra quémander un gilet de rechange
chez l’oncle (Jean Galland) où chaque situations (Edouard toujours dans l’attente
et perdu dans le vaste espace de la maison de l’oncle) et dialogue (l’oncle et
le neveu (Jacques François) faisant mine d’avoir oublié la raison de sa venue
pour mieux le forcer à demander explicitement le gilet) le ramènent à ce statut
d’inférieur. Dès lors en retrouvant Caroline dans une robe retouchée typique de
la sophistication de son milieu bourgeois, Daniel voit rouge et a le geste de
trop en lui flanquant une gifle qu’il regrette aussitôt.
Le désaccord se sera exprimé de façon douloureuse certes
mais au moins explicite dans l’espace du domicile conjugal. Dès que le récit
investi la maison de l’oncle et introduit ses amis aristocrate, c’est l’hypocrisie
qui s’instaure. Au début de leur idylle, Jacques Becker et Annette Wademant s’étaient
installé chez l’appartement d’Henri-George Clouzot (parti au Brésil avec son
épouse) et comme déjà dit cette promiscuité nouvelle inspirera le film. Dans la
bibliothèque de Clouzot, Annette Wademant découvre et dévore le cycle A la Recherche du Temps Perdu de Marcel
Proust dont le regard désenchanté et ironique sur ce milieu aristocratique déclinant
sera une vraie source d’inspiration pour la description des aristocrates de Edouard et Caroline.
L’expérience de la
fuite de ces milieux pour ceux du cinéma guide également le regard cinglant de
Jacques Becker, tout comme l’influence de son mentor Jean Renoir dont il
emprunte la verve satirique de La Règle
du jeu (1939). Introduit dans la fosse aux lions, Edouard fait ainsi office
de curiosité, de possible jouet sexuel par Lucy Barville (Betty Stockfeld) et
Florence Borch (Élina Labourdette) et d’une attention aussi intense que feinte
lorsqu’il s’apprêtera à livrer son concert. Cet art du futile et du paraître qui
domine les lieux transparaît lors de moments piquant (Florence Borch
expérimentant son « regard de biche » sur l’assistance masculine), de
dialogues à double sens et de regard trahissant les adultères qui semble régir
les relations entre les nantis. Il faudra un personnage d’américain lucide et
attachant (William Tubbs) pour amener un semblant de bienveillance et
sincérité.
Jacques Becker aura divisé son couple par une confrontation
directe et sincère par l’image et leurs attitudes dans l’espace de leur
appartement. Le dialogue se fait plus codé pour les séparer chez l’oncle, l’espace
de la demeure et le regard des autres semble ouvrir un immense fossé entre eux
alors qu’une explication, qu’une réconciliation semblait possible dans l’espace
conjugal. Le retour à ce cadre signe donc les retrouvailles, mais de façon
progressive en délestant le couple des artifices psychiques comme
vestimentaires pour récréer l’intimité, pour faire renaître la complicité. Ce
final plein d’allant et spontané participe au vent de fraîcheur que procure le
film, porté par deux comédiens à la fougue juvénile communicative.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
Extrait
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Et une interview de Jacques Becker sur le film
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