Prise en photo à son
insu au moment où elle raccrochait ses bas, une jeune vendeuse se retrouve à la
première page d'un magazine. Ayant toujours rêvé de devenir mannequin ou
vedette de cinéma, Antonietta exige du photographe Corrado Betti qu’il l’aide à
lancer sa carrière. Il la présente donc au comte Sennetti, très introduit dans
le milieu du cinéma. Mais si Antonietta prend son idylle avec Corrado très au
sérieux, pour ce dernier, il ne s’agit que d’une conquête de plus.
Orgueilleuse, Antonietta se venge en l’ignorant lorsque Sennetti la transforme
en vedette. Corrado prend alors conscience de ses sentiments pour elle.
La Chance d’être une
femme constitue le second volet d’un diptyque inauguré avec Dommage que tu sois une canaille (1955).
Ce premier film fut fondamental pour tous ses participants, relançant la
carrière du vieux routier du cinéma italien Alessandro Blasetti - passé par l’ère
des « téléphones blancs », anticipant le courant néoréaliste avec Quatre pas dans les nuages (film, 1942),
accompagnant le regain du péplum dans Fabiola
(1949) puis trouvant sa place dans la comédie italienne des années 50 - surtout
en réunissant le couple mythique du cinéma italien, Sophia Loren/ Marcello
Mastroianni. L’immense succès du film appelait une « suite » qui se
fera donc avec La Chance d’être une femme.
L’un des atouts du premier film était également la présence d’un Vittorio De
Sica - qui réunira d’ailleurs le couple dans ses propres grandes comédies comme
Hier, aujourd’hui et demain (1963) ou
encore Mariage à l’italienne (1964) –
hilarant en vieux mentor roublard et bien qu’il soit indisponible, le script
reprend néanmoins cet élément avec cette fois Charles Boyer dans son seul rôle
en Italie.
Le scénario est particulièrement roublard par ses va et
vient entre féminisme et environnement machiste. En ces années 50, une des
voies d’émancipation les plus simples pour la femme italienne semble passer par
une carrière artistique reposant souvent plus sur sa plastique que son esprit,
dans le cinéma ou le mannequinat. Le paradoxe sera pourtant de voir cette
liberté possible dépendante d'une soumission notamment sexuelle aux pontes
masculins pouvant accélérer une carrière. Tout le film repose là-dessus à
travers le personnage d’Antonietta (Sophia Loren) jeune vendeuse dont l’horizon
s’éclairci après avoir été photographiée à son insu en train de rajuster ses
bas, le cliché faisant la une des magazines. La schizophrénie du film s’exprime
dans la séquence entière puisque juste avant Antonietta se sera extraite de la
voiture d’un conducteur trop entreprenant qui l’avait prise en stop. Tout en
ayant exprimée son indépendance par ce refus, la silhouette chaloupée de Sophia
Loren hélant d’autres véhicules pour la prendre suggère une imagerie de
prostitution explicite et c’est le moment précis où est prise la photo.
Tout le
récit reposera donc sur cette hésitation, notamment dans le rapport entre
Antonietta et Corrado (Marcello Mastroianni) l’auteur de la photo. La
complicité et les sentiments se ressentent d’emblée dans leur échanges, Corrado
étant tout autant charmé par les formes voluptueuses que le caractère plein d’aplomb
d’Antonietta tandis que celle-ci s’amuse de la roublardise de ce mentor. Les
codes de l’exploitation carriériste et sexuelle amènent cependant un caractère
vicié à la possible romance. Tout en scrutant bien la montée du désir mutuel
lors de la scène de la première séance photo en studio, Blasetti par le prisme
de la comédie atténue la facette amoureuse du moment par des éléments subtils.
L’assistant de Corrado s’éclipse ainsi discrètement en habitué des méthodes de
coucheries du patron et Mastroianni semble constamment entre le calcul
libidineux et la sincère exaltation pour son modèle (l’engouement presque
enfantin dont il lui détache les bretelles de maillot de bain). L’attitude
désinvolte de Corrado après leur étreinte glace donc une Antonietta qui va
décider de jouer le jeu, en apparence.
Alessandro Blasetti reproduit donc le schéma initial dans
des cercles de plus en plus prestigieux. Le comte Gregorio Sennetti (Charles
Boyer) fait office de pygmalion truculent mais escroc tout de même, et si notre
héroïne gagne en élégance et sophistication c’est pour être tout autant
exploitée par ses interlocuteurs plus nantis. L’imagerie de prostitution prend
un tour plus glamour avec l’ascension d’Antonietta notamment lorsque Blasetti
cadre les entrées et sorties de chambre du corridor d’un grand hôtel d’où
sortent des jeunes femmes ayant passées des « auditions ». Le but d’Antonietta
n’est cependant plus la réussite mais de titiller Corrado, partagé entre le
détachement de celui qui connaît le fonctionnement du milieu et les vrais
sentiments qu’il éprouve pour elle. Mastroianni est très attachant avec ce
personnage en retrait et désormais incapable de retrouver sa veulerie
habituelle.
Sophia Loren excelle également, s’affermissant à la fois dans ses
manières mais aussi sa séduction plus espiègle. Tout ce que l’environnement
pourrait dégager de sordide pour un personnage plus vulnérable devient ici un
immense terrain de jeu où elle ridiculise tous les prédateurs masculins - le final
où elle se présente à son grossier chauffeur de la séquence d’ouverture est
particulièrement savoureux. Pour déclarer son amour à un Corrado résigné, il lui
faudra cependant retrouver toute le caractère de romaine irascible et
tempétueuse. On perd beaucoup ici du rythme enlevé de Dommage que tu sois une canaille mais on gagne en finesse avec un
propos toujours aussi schizophrène puisque l’héroïne semble renoncer à la
carrière pour les bras d’un homme, même si on imagine bien mal en Sophia Loren
une future ménagère soumise.
Sorti en dvd zone français chez SNC/M6 Vidéo
Extrait
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