Elliott et Hannah
forment apparemment un couple sans histoires et vivant dans l'aisance, avec les
deux enfants du premier mariage d'Hannah avec Mickey, producteur de télévision
hypocondriaque. Mais Elliott est secrètement amoureux de la sœur de Hannah, Lee,
qui vit de son côté une relation pesante avec Frederick, un homme plus âgé
qu'elle, qui s'avère être un artiste peintre résolument misanthrope. La
troisième sœur, Holly est un peu la « ratée » de la famille, en raison de son
instabilité amoureuse et professionnelle.
Hannah et ses sœurs
est une œuvre charnière pour Woody Allen, son plus gros succès commercial
(avant le récent Minuit à Paris
(2011)) et surtout une synthèse autant qu’une annonce de ses orientations
futures. Depuis la reconnaissance rencontrée avec Annie Hall (1978), la filmographie de Woody Allen avait suivie des
voies multiples : poursuite de cette veine romantico-comique et
existentielle avec Manhattan (1979)
et Broadway Danny Rose (1984), œuvre profondément
personnelle masquée sous l’argument potache (Zelig (1983)) ou la référence marquée (Stardust Memories (1980) et son influence fellinienne) et une
influence bergmanienne assumée dans son versant le plus dramatique (Intérieurs (1978)) comme le plus léger
(le délicieux Comédie érotique d’une nuit d’été (1982)). Toutes ces tentatives suivaient néanmoins une ligne claire,
guidée par Woody Allen lui-même et tout le bagage véhiculé par son personnage
cinématographique, par la narration tendant vers une même direction même dans
le récit choral (Intérieurs et son
atmosphère de malaise psychologique pesante, la fantaisie, l'unité de temps et de lieu de Comédie érotique d’une nuit d’été).
Avec Hannah et ses sœurs,
Allen éclate à travers les divers personnages tous les questionnements vus dans
les précédents films. La référence se fait plus subtile (la construction du
film reprend celle de Fanny et Alexandre
de Bergman la comédie, le drame et l’apaisement se nouant à chaque retrouvailles
de Thanksgiving) mêlée à une inspiration intime convoquant la personnalité d’Allen
(à travers Mickey l’hypocondriaque dépressif qu’il interprète et Elliot le mari
insatisfait, irrésolu et volage qu’incarne Michael Caine) mais aussi un miroir
déformant de sa compagne d’alors, Mia Farrow dont il interroge la perfection
apaisée de façade.
Entrecroiser les intrigues représentait le grand défi
narratif de Woody Allen qui ancre et annonce ainsi chaque bascule dans le
moment chaleureux de Thanksgiving. C’est la voix-off chargée de désir d’Elliot pour
sa belle-sœur Lee (Barbara Hershey) qui sort la réunion familiale de son
anonymat chaleureux et annonce l’inconséquence de la cadette Holly (Dianne
Wiest) opposée à la force de tranquille de l’aînée Hannah (Mia Farrow). Par sa
direction d’acteur remarquable, Allen tisse les liens contradictoires de chacun
dans cette ouverture subtile. Le débit maladroit et l’attitude gauche d’Elliott
le trahi, l’affection inconsciemment chargée d’attente de Lee rend possible le
rapprochement à venir. La caméra capture le mouvement perpétuel et le phrasé
anxieux de Holly dans la cuisine alors qu’à l’inverse par ses réponses calmes
et (trop) compréhensive, par sa position et posture fixe dans le plan Hannah
constitue un totem, un modèle impossible à égaler – ce que confirme le dialogue
quant à l’état de leurs carrières respective.
Le personnage de Mickey semble
comme extérieur à la trame mais apporte par son cheminement la hauteur
existentielle et spirituelle que ne peuvent capturer les autres protagonistes
engoncés dans leurs problèmes intimes. Woody Allen confronte sa figure de juif
binoclard pince sans rire à un doute, à une peur que ne peuvent apaiser les
bons mots et les moments loufoques comme dans les films précédents. Ce malaise
se confronte à une la crainte concrète de la mort pour Mickey, puis lorsque le
diagnostic d’une tumeur au cerveau s’avère négatif c’est face au grand vide
(celui dans lequel a failli l’attirer la mort, celui de son existence solitaire
vouée à son travail) que se réveillent ses angoisses, délestée de leur
sympathique excentricité.
Mickey a aperçu ce vide et ne parvient pas à l’oublier et
erre dans ses souvenirs dont les flashbacks développe également les autre
personnages. Moins lucide les autres échappent à leurs peurs par un charivari
amoureux qui les ramènent pourtant au point de départ. Elliot voit dans le
désir qu’il a de Lee la solution à ces problèmes, cette dernière voit dans des
hommes mûrs et protecteurs la sérénité qu’elle recherche. Hannah croit échapper
au malheur en se montrant la plus droite, la plus fiable quand bien même son
propre couple vacille. Mia Farrow, loin d’avoir le matériel dramatique de ses
partenaires fait pourtant passer une gamme d’émotions subtiles qui prouve qu’Allen
avait visé juste, au point de se montrer impudique. Une des dernières scènes où
Hannah est choquée de se retrouver autant dans le scénario de Holly pourrait
refléter le sentiment de Mia Farrow interprétant un personnage où Allen a inséré
nombre d’éléments biographique. Mia Farrow, mère (naturelle ou adoptive) d’une nombreuse maisonnée et
ayant grandie dans une fratrie de sept enfants constitue ainsi le modèle avoué
pour Hannah et Allen met en scène son sentiment d’infériorité face à cette
femme mature et responsable en toute circonstance.
Hannah est d’ailleurs la
seule à rester longuement opaque et réduite à sa seule bienveillance, ne voyant pas ses doutes exprimés dans une
voix-off qui la fragilise et l’humanise - alors que Dianne Wiest bouleverse le
temps d’une séduction avortée en taxi -, n’étant jamais ridiculisée par une
attitude stupide - à laquelle se plie aisément Michael Caine et Woody Allen. On
comprend alors bien mieux le titre du film, semblant placer Hannah en avant en tant
qu’héroïne (alors qu’elle est la moins concernée dans les péripéties) mais qui
en fait la met à part de ses sœurs et de son entourage. Le retour à l’apaisement
final ne sera possible qu’en la plaçant aussi face à ses doutes, la rendant
enfin vulnérable, accessible et dans l’attente de l’autre : l’écoute de
ses sœurs, l’affection et la protection de son époux. Une œuvre passionnante et prémonitoire, autant des tumultes
personnels du couple Mia Farrow/Woody Allen - ce dernier se reconstruisant avec une parente de son ex-femme déjà dans le film - que de la complexité et richesse
thématique de classiques à venir, notamment l’extraordinaire Crimes et délits (1989).
Sortie en dvd zone 2 français chez MGM
Un des chefs-d'oeuvre de Woody !
RépondreSupprimerStrum
Un film dense et complexe, mais aussi très drôle, avec la quête spirituelle du personnage joué par Woody Allen qui le mène de religion en religion, au grand désespoir de ses parents juifs pratiquants.
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