Le film raconte
l'histoire d'une famille charentaise de paysans rusés, les Goupi. Le père Goupi
fait revenir son fils de Paris, censé être devenu un homme important et y avoir
acquis une bonne situation, avec l'intention de le marier à sa cousine. Mais la
jalousie de « Tonkin », un autre de ses cousins, face à ce nouveau venu de
citadin, fera de la nuit de son arrivée une nuit d'agitation et de crimes
inexpliqués qui sèmeront la panique et le doute au sein de la famille.
Au premier abord, Goupi
mains rouges pourrait sembler une production française imprégnée des
valeurs du Gouvernement de Vichy. Cette histoire familiale sur fond de retour à
la terre s’inscrit en tout point dans le traditionalisme véhiculé par le « Travail,
famille, patrie » du Maréchal Pétain. Ce raccourci superficiel vole en
éclat lorsqu’on constatera qu’il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de
Pierre Very paru en 1937. Les adaptations de Pierre Very avaient à l’époque le
vent en poupe après les succès de Les
Disparus de Saint-Agil (1938) et L’Assassinat
du Père Noël (1941) de Christian-Jaque. Ayant lui-même écrit le scénario de
L’Assassin a peur la nuit de Jean
Delannoy (1942), autre succès issus de ses écrits, Pierre Very est également
sollicité lorsqu’est lancé la production de Goupi
mains rouges. Jacques Becker qui vient de signer sa première réalisation avec
Dernier atout (1942) se porte
candidat (en grand féru du roman) avec succès, la société de production Minerva
hors du giron de la Continentale (société de production française sous
financement allemand durant l’Occupation) n’ayant pas les finances pour engager
un réalisateur trop prestigieux.
Si dans Les Disparus
de Saint-Agil Pierre Very revenait à ses souvenirs adolescents, c’est à son
enfance rurale et aux histoires que lui racontait sa grand-mère que nous ramène
Goupi mains rouges. Cette dimension
mystérieuse aura cours de manière décalée dans les premières scènes lorsque « Monsieur »
Eugène Goupi (Georges Rollin) est impressionné pour la blague par son oncle
Goupi mains rouges (Fernand Ledoux) alors que lui le parisien découvre l’espace
rural de sa famille paysanne. La forêt nocturne chargée de secrets, les
fantômes et sortilèges de pacotilles amènent une excentricité qui se reflétera
dans le réel pittoresque où nous découvrirons la famille Goupi. Les répliques
vachardes, la rudesse et la méchanceté ordinaire imprègnent ce quotidien,
notamment par l’intermédiaire de la cruelle maitresse de maison Tisane (Germaine
Kerjean qui campera plus tard une matrone tout aussi détestable et adepte du
fouet dans Voici le temps des assassins
(1956) de Julien Duvivier).
La rancœur et l’avidité régissent les rapports des
uns avec les autres, qu’ils soient sentimentaux (Mains Rouges et sa fiancée
suicidée, Tonkin (Robert Le Vigan) aimant en vain sa cousine Muguet (Blanchette
Brunoy)) où vénaux avec ce magot caché dans la maison par le patriarche « L’Empereur »
(Maurice Schutz) et convoités par tous. Jacques Becker nous montre ainsi une
famille purement dysfonctionnelle et chargée de névroses, notamment avec un
Robert Le Vigan touchant en vilain petit canard soignant son rejet dans la
nostalgie de son expérience des colonies.
L’imagerie pastorale rassurante est quasiment absente de l’esthétique
du film se déroulant la plupart du temps en intérieur. Les Goupi ne représente
pas le noble labeur fermier par leurs activités plus « commerciales »
(tenanciers d’auberge, vente de terrains, commerce d’alcool, caractérisé d’ailleurs
par le sobriquet de certains personnages comme « Mes sous » (Arthur
Devère)) et les plus proches de la vie rural le sont plus par volonté d’isolement
que par un réel amour de la nature comme le très ermite Mains Rouges. Ce n’est
que lorsque les sentiments se font plus nobles que Jacques Becker laisse cet
espace rural se déployer dans toute sa beauté.
Dans cette idée la plus belle
scène du film est sans doute l’échange simple et tendre entre Eugène et Muguet
au petit matin, assis sur l’herbe et s’avouant implicitement leur amour. Cette
jeunesse symbolise la génération future des Goupi mais pour rassembler la
famille, la roublardise reste encore le meilleur atout lorsque tous feront
front face aux gendarmes venus enquêter sur les derniers évènements suspects.
La cellule familiale apparait ainsi certes tumultueuse mais néanmoins aimante.
Première grande réussite de Jacques Becker, le film sera un grand succès à sa
sortie et lancera définitivement sa carrière de réalisateur.
Sorti en Bluray et dvd zone 2 français chez Pathé
Ce que tu en dis me donne envie de le découvrir. Je découvre petit à petit Robert Le Vigan (d'abord via la bande-dessinée La cavale du Dr Destouches, ensuite par l’intermédiaire du roman Le château de Sigmaringen écrit par Pierre Assouline). Je l'ai vu pour la première fois dans Le Petit Roi de Julien Duvivier (le film n'est pas fameux mais la photographie est magnifique). Un curieux personnage mais pas un mauvais acteur il me semble, ce que tu sembles confirmer.
RépondreSupprimerAh oui, je voulais encore ajouter que je trouvais qu'il avait quelques traits de ressemblance avec l'acteur Sean Penn !
RépondreSupprimerIl campait aussi un étonnant Jesus Christ dans le Golgotha de Julien Duvivier. Il a une belle filmo sur les années 30/40 par contre je dcouvre sur sa fiche wiki que ce fut un collabo et antisémite notoire qui l'a bien payé après-guerre ouch !
RépondreSupprimerTout à fait, et c'est par son passé collaborationniste que j'ai d'abord fait sa connaissance. Quelle ironie de le retrouver en JC chez Julien Duvivier. Encore un film que j'aimerais voir !
SupprimerGrand film. Je te le conseille également Sentinelle. Le Vigan est fantastique là-dedans.
RépondreSupprimerStrum