Un homme meurt. La
mort est constatée par un médecin. La femme qui l'aime et qu'il a aimée est
encore sous le choc quand, soudain, il revient à la vie. Que va-t-il faire, que
vont-ils faire tous deux de ce sursis, de cette vie "en plus" qui leur
est accordée ?
Dans de nombreux films d’Alain Resnais, il est question pour
les personnages de se soumettre ou s’affranchir d’un courant qui peut endosser
plusieurs formes à laquelle se plie le concept du film. L’héroïne d’Hiroshima mon amour (1959) doit s’affranchir
du courant du souvenir nourrit de ses regrets, ces mêmes souvenirs emportant
Claude Rich dans les méandres de l’expérience scientifique à laquelle il
participe dans Je t’aime, je t’aime
(1968). A l’inverse c'est à un courant de l’oubli que résistera Delphine Seyrig dans
le labyrinthe de L’Année dernière à Marienbad (1961). Et parfois il s’agit de ne pas céder à une puissance
supérieure comme le narrateur omniscient de Providence
(1977), tout comme les élans romanesques du trio de Mon oncle d’Amérique (1980) échappent aux préceptes
anthropologiques qu’ils sont supposés illustrer. Pour cette troisième et
dernière collaboration avec le scénariste Jean Gruault (après Mon oncle d’Amérique et La vie est un roman (1983)), Alain
Resnais scrutera l’abandon ou la résistance à une pulsion de mort.
Le film s’ouvre sur la crise qui va provoquer la mort de
Simon (Pierre Arditi) sous le regard en détresse de sa compagne Elisabeth
(Sabine Azéma). Alors que le médecin le déclare cliniquement mort, Simon se
relève pourtant quelques instants plus tard, miraculeusement revenu à la vie.
Cet évènement semble provoquer une forme d’exaltation chez lui l’amenant à se
détacher de toute entrave, de tout entourage dont il n’aurait eu que faire et
inversement en donnant son dernier souffle. Sa passion pour Elisabeth n’en
devient que plus intense le temps d’étreintes fiévreuses et d’un lien quotidien
de plus en plus fusionnel. Ce que l’on pourrait prendre pour un sursaut de vie
dissimule en fait une angoisse morbide. Alain Resnais fait de la musique de Hans
Werner Henze le guide de ces idées noires.
La forme ne ressemble une fois de
plus à rien d’autre dans cet usage de la musique totalement séparée de l’image,
moteur des émotions plutôt que ponctuation ou accompagnement. Les abimes de la
mort dont Simon a arpenté les rebords se manifestent ainsi par des courts interludes/inserts
en écran noir ou ténèbres enneigées sur lesquels tonne la partition tourmentée
de Henze. Cela se fait de manière insidieuse par l’expérimentation sonore qu’exige
Resnais, la hauteur des mesures devant s’accorder à la tessiture de la voix des
acteurs (et inversement) dans l’enchaînement des séquences ce qui nécessitera
une préparation méticuleuse (d’autant que la bande-originale sera composée
après le tournage selon les directives contraignantes de Resnais) et un travail
aussi brillant qu’invisible d’Albert Jurgenson au montage.
A l’image cette tonalité funèbre s’exprimera à la fois par l’austérité
(ce quasi décor unique dont on s’échappe si peu) et une stylisation appuyée lors
des étreintes du couple baignée de lumière rouge - où la notion de « petite
mort « de la jouissance n’aura jamais mieux portée son nom. Une fois cette
atmosphère délétère installée, la mort isole les personnages telle cette scène
où l’arrière-plan se fait sombre et opaque alors que Simon et Elisabeth se
réconfortent, seuls leurs visages en gros plan étant éclairés.
Les personnages
au départ plein d’allant et de désir semblent donc comme affectés physiquement
avant de l’être moralement, Pierre Arditti se désagrégeant pour ne plus faire
qu’un avec ce cadre sinistre tandis que seule l’énergie du désespoir semble
animer Sabine Azéma impuissante face à la déchéance de l’homme qu’elle aime. La
dernière partie questionne cette forme d’idéal romantique mortifère où l’union
ultime doit se faire par la mort. Le couple d’amis Fanny Ardant/André Dussolier
constitue donc un pendant lumineux par son vécu où l’amour s’épanouit dans la
vie, même si une impasse philosophique se posera lorsque la seule réponse à ces
pulsions de mort s’exprimera par la religion.
C’est passionnant d’autant qu’Alain
Resnais ne tranche pas, cet attrait des abimes étant tout à la fois l’expression
d’une souffrance mentale (on apprendra que Simon a déjà voulu marquer un ancien
amour par cet élan suicidaire) que celle d’un amour pur, inconditionnel et
indélébile comme le soulignera le personnage ambigu de Fanny Ardant. Le
dialogue évoquant les deux traductions de l’amour de Dieu, Eros et Agapé
devenant possessif ou apaisé selon l’usage du grec ou du latin expriment toute
la dualité possible de ce sentiment amoureux. Alain Resnais signe un film hanté
et austère qui captivera ou laissera de côté même les plus férus de son art (l’accueil
public et critique sera très mitigé malgré cinq nomination aux Césars) mais l’originalité
et la radicalité de l’ensemble en font une de ses œuvres les plus marquantes.
Sorti en dvd zone 2 français chez Mk2
Bonjour Justin, j'avais beaucoup aimé ce film, un de mes Resnais préférés, qui comme tu l'as dit, est tout à fait singulière par sa mise en scène.
RépondreSupprimerStrum
Salut Strum, j'aime vraiment cette période 80 (Mon oncle d'Amérique, Mélo ou La Vie est un roman) de Resnais dont je découvre pas mal de films récemment où il poursuit les expériences narratives et visuelles des 60's dans une veine plus accessibles et tout aussi fascinante. Il me reste I want to go home à voir de cette période, il n'a pas très bonne réputation mais bon pas à l'abris d'une bonne surprise quand même.
SupprimerEffectivement, c'est une des plus belles périodes de Resnais, voire sa plus belle. I want to go home n'est pas terrible, mais bon au moins tu le verras sans grandes attentes.
RépondreSupprimerStrum
Oui même un mauvais Resnais il doit y avoir de quoi picorer un peu je pense on verra bien !
Supprimer