Après une séquence pré-générique où
elle tabasse son souteneur abusif, Kelly, une prostituée très « classe »
et sûre d'elle, arrive dans une nouvelle ville pour changer de vie.
Elle y rencontre d'abord le flic Griff qui surveille son territoire,
évite la boîte de « Candy » la mère maquerelle qui recrute volontiers de
la chair fraîche, enfin se fait recruter comme infirmière dans
l'hôpital spécialisé dans les soins à des enfants handicapés. L'hôpital a
été créé par le notable de la ville, Grant. La réussite de Kelly comme
soignante d'enfants est reconnue et on lui fait rencontrer le riche et
esthète Grant.
Samuel Fuller poursuit avec The Naked Kiss sa réflexion sur les bas-fonds entamée dans les classiques que sont Le Port de la drogue (1953) ou Les Bas-fonds new-yorkais (1961). Alors que ces deux films se déroulait dans un pur environnement urbain, The Naked Kiss
se passe lui dans une petite ville américaine dont Fuller exploite
l'imagerie bienveillante pour la confronter à une noirceur saisissante
dans un croisement déroutant de mélodrame, étude de mœurs et pur
thriller. L'envers de ces bourgade américaines faussement apaisées est
un thème classique du mélodrame des 50's que Fuller revisite avec un
mélange de crudité et de stylisation qui lui est propre.
Le film
s'ouvre dans une pure atmosphère de cauchemar où la prostituée Kelly
(Constance Towers) tabasse son souteneur ivre avant de lui prendre
l'argent qu'il lui doit. Outre le chaos et la violence dégagée par cette
incroyable entrée en matière, l'étrangeté et l'onirisme qui traversera
tout le film s'illustre avec cet instant incroyable où Kelly se révèle
être chauve.
Nous la retrouvons deux ans plus tard où elle exerce
toujours sa profession en province et c'est lors de son arrivée dans une
petite ville qu'elle décidera de changer de vie après la rencontre avec
son ultime client, le flic local Griff (Anthony Eisley). Kelly se
reconstruira ainsi progressivement une identité et existence,
s'installant dans une chaleureuse maison d'hôte, embrassant avec passion
le métier d'infirmière dans un hôpital pour enfants handicapés et
attire l'attention du richissime bienfaiteur local Grant (Michael Dante
reprenant un rôle initialement écrit pour Robert Ryan).
Fuller instaure
une atmosphère de rêve éveillé souligné par la photo immaculée de
Stanley Cortez qui donne un tour apaisant au renouveau de Kelly. La mise
en scène de Fuller s'attarde moins sur les courbes provocantes de
Constance Towers que sur son visage compatissant pour ses jeunes
patients, tous les personnages rencontrés sont bienveillants (la
première rencontre chaleureuse avec la logeuse) et les séquences
surréalistes et à la virtuosité cotonneuse sont nombreuse pour appuyer
ce sentiment de bien-être : Kelly racontant une histoire entourée d'une
nuée d'enfants captivés ou encore la scène d'amour où elle s'imagine
voguant dans une gondole à Venise. Loin de la vulgarité crue de la scène
d'ouverture ou de l'étreinte avec Griff, ces scènes d'amours font
preuve d'une sensualité et d'une recherche esthétique tout en sobriété
et poésie.
Loin des couleurs pétaradantes des mélodrames des
50's, cette pâle et fonctionnant comme un songe au ralenti annonce en
fait grandement le Blue Velvet
(1986) de David Lynch. Comme le fera Lynch, Samuel Fuller laisse donc
poindre progressivement l'envers de cette perfection de façade avec
filles-mères, avortement et maison close avoisinant la ville. Le
personnage de Griff, jamais convaincu par la rédemption de Kelly rôde
comme une ombre inquisitrice venant constamment rappeler ce passé
coupable mais désormais notre héroïne assume sa nouvelle vie et est même
prête à empêcher d'autres jeunes femmes à commettre les mêmes erreurs
qu'elle (saisissant et jubilatoire moment où elle règle son compte à une
odieuse mère maquerelle jouée par Virginia Grey). Pourtant lorsque le
mal absolu se révèlera avec le terrible secret de Grant, même elle ne
pourra rien, voyant sa vie dissolue passée la marquer de façon
indélébile et exprimant un jugement moral dont il est impossible de se
défaire.
Fuller s'avère aussi audacieux que subtil pour amorcer un
rebondissement glauque et inattendu au terme duquel la réaction violente
de Kelly ne fait qu'appuyer sa bonté profonde. Même dans ces lieux d'un
possible renouveau, les monstres sont tapis et Fuller l'exprime en
entremêlant la scène la plus belle et la plus insoutenable. On a ainsi
un moment de pure grâce lorsqu'on Kelly entonne une chanson accompagnée
des enfants de l'hôpital, une innocence bafouée lorsque l'horrible
penchant de Grant est révélé alors que l'enregistrement de cette
précédente séquence inonde la bande-son.
Constance Towers (déjà chez
Fuller dans Shock Corridor
l'année précédente) offre une prestation magnifique d'où s'estompe peu à
peu tout l'aura lascive et de stupre pour finalement une figure martyre
et angélique (son visage plongé dans la pénombre derrière les barreaux
de sa prison). La magnifique conclusion exprimera fonde liberté d'esprit de son
héroïne dont silhouette disparait d'un pas déterminé dans le décor,
prête à renaître ailleurs une fois de plus.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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