Parce qu'on l'empêche
de vivre sa passion pour un apprenti, la jeune Otsuya fuit la maison parentale
et se réfugie chez Gonji. Après avoir tenté d'abuser d'elle, ce dernier la vend
au tenancier d'une maison de geishas. Un jour, un artiste fasciné par la beauté
d'Otsuya lui tatoue une araignée sur le dos. C'est une révélation pour la jeune
femme qui décide, dès lors, de se venger de la gente masculine.
Tatouage est une
des œuvres les plus emblématiques du style singulier de Yasuzo Masumura. Le
réalisateur précède de peu tout en s’intégrant totalement à la Nouvelle Vague
japonaise des Nagisa Oshima ou Shohei Imamura. Mais quand ces derniers
adoptaient un style ouvertement frondeur afin de bousculer le système, Masumura
s’avère plus insaisissable. Son parcours le fait osciller entre le classicisme
des grands auteurs japonais tels que Mizoguchi ou Ichikawa dont il fut
l’assistant, tout en ayant un pied dans la modernité européenne puisqu’il
obtint une bourse d’études pour étudier le cinéma en Italie au début des années
50 avec comme illustre professeur Michelangelo Antonioni. Et en parallèle de
cet apprentissage cinématographique Masumura naviguera de ses études de droits
initiales à une formation philosophique avec une thèse sur Kierkegaard.
Tatouage illustre
à merveille ce parcours. Le postulat évoque ainsi autant les mélodrames au
féminin de Mizoguchi que les provocations à venir du Pinku Eiga (la scène de
tatouage d’ouverture sera reprise de manière plus sulfureuse encore plus tard
dans La Vie secrète de madame Yoshino
de Masaru Konuma (1976)). Formellement on navigue également entre un élégant
classicisme et une liberté de ton typique à la fois du cinéma européen mais
donc aussi de la Nouvelle Vague japonaise, notamment dans la description crue
et sensuelle du corps féminin, du désir charnel. Cette schizophrénie irrigue le
récit du cheminement de la jeune Otsuya (Ayako Wakao), tourmentée et
tourmenteuse dans son rapport aux hommes. Elle signe ainsi la perte de Shinsuke
(Akio Hasegawa), jeune apprenti de son père tombé fou amoureux et qu’elle
incite à s’enfuir avec elle. D’emblée Masumura se débarrasse de tout contexte
vaguement socio-historique qui aurait rendu le couple attachant dans ses choix
(tout juste apprend-t-on que le père destinait sa fille à un meilleur parti)
pour se concentrer sur leur rapport dominant/dominé.
Shinsuke est rongé par le
remord et la culpabilité tandis qu’entre autoritarisme, chantage affectif et
vertige des sens, Otsuya lui impose sa volonté. La dualité entre le plaisir charnel et la domination
mentale/physique tisse donc pour l’ensemble des personnages des pulsions
reposant sur la possession, qu’il en soit tour à tour acteur ou victime. Quand
la simple beauté d’Otsuya avive le désir du fourbe entremetteur Gonji (Fujio
Suga), c’est la fortune qu’elle pourrait lui rapporter qui excite le tenancier
de maison de geisha Tokubei (Asao Uchida) tandis que c’est la peau de
porcelaine de la jeune femme qui attire le tatoueur torturé Seikichi (Gaku
Yamamoto). Masumura navigue ainsi entre mysticisme, psychanalyse et simple
observation du mal inné dans le caractère d’Otsuya jamais présentée comme une
victime dans les situations – alors que le déroulement de l’intrigue le fait.
La scène du tatouage est ainsi typique de cette approche, Otsuya subissant
l’imposant dessin d’araignée sur son dos passant de victime à prédateur au fur
et à mesure que la figure marque son corps de façon indélébile. L’alternance
entre plan large sur l’artiste et son modèle, le dessin prenant forme, puis la
fascination du dessinateur se conjuguant à la douleur/plaisir d’Otsuya marque
la bascule de ce rapport dominant/dominé. D’ailleurs la séquence se termine sur
la jeune femme qui malgré sa chair à vif semble triompher sur Seikichi pétrifié
par le monstre qu’il vient de façonner.
Le mysticisme est alors un prétexte pour céder à ses mauvais
penchants pour Otsuya, la malédiction de l’araignée carnivore en elle servant
moins une supposée vengeance envers les hommes qu’un plaisir naturel à les malmener
de ses charmes. Les plus faibles sont poussés à une violence provoquée comme
Shinsuke, les plus forts sont exploités pour leur richesse avec l’orgueilleux
Serizawa (Kei Sato). Visuellement Masumura donne dans l’abstraction où le décor
studio domine pour tisser un arrière-plan abstrait qui nous immerge dans la
psyché des personnages tant dans les supposé « extérieur » (la scène
sur le pont enneigé avec sa nuit ne se cachant pas de sa nature factice, le
meurtre dans la forêt) que les intérieurs.
Là les poses alanguies d’Otsuya
l’associe littéralement à la mante religieuse quand elle enserre ses amants
soumis, son corps constituant une vraie arme d’hypnose avec cette nudité
subtilement exposée/masquée et en premier lieu le fameux tatouage. Il en résulte
un spectacle immoral et fascinant, baigné d’un charme sensuel et morbide (la
pâleur du corps d’Otsuya aussi cadavérique que séduisante) qui culmine dans un
final où ce croisement de pulsion, d’onirisme cru et de désir maladif culmine
avec ce plan sur le tatouage inondé de sang.
Sorti en dvd zone 2 français chez Zootrope Films
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