Susan Applegate,
dégoûtée par sa vie new-yorkaise de coiffeuse pour homme à domicile, décide de
retourner dans l'Iowa. Ses économies ne lui permettant pas de payer la totalité
du voyage en train, elle se déguise en fillette pour bénéficier d'un billet
demi-tarif. Traquée par les contrôleurs, Susan se réfugie dans le
compartiment–lit d'un bel officier instructeur. Croyant avoir affaire à une
gamine de douze ans, il s'institue son protecteur.
Uniforme et jupon court
constitue le vrai départ de la carrière de réalisateur de Billy Wilder. En exil
à Paris après avoir fui la montée du nazisme en Autriche, Il y avait réalisé le
méconnu Mauvaise Graine (1934) avant
le départ aux Etats-Unis. Entre les huit ans qui séparent son premier scénario Music in the Air de Joe May (réalisateur
allemand qui contribua à l’arrivée de Wilder aux Etats-Unis) et la réalisation
d’Uniforme et jupon court, Wilder
s’est imprégné de la langue/culture américaine, et intégré au système studio en
tant que scénariste. Sa fructueuse collaboration avec Charles Brackett aura été
source de grandes réussites notamment pour son mentor Ernst Lubitsch (La Huitième Femme de Barbe-Bleue (1938)
et Ninotchka (1939)) mais aussi de
frustration dans le traitement de ses scripts. Mitchell Leisen (dont Wilder et
Brackett ont écrit certains des meilleurs films comme La Baronne de Minuit (1939) ou Arise, my love (1940)) rejette ainsi une séquence loufoque écrite pour l’ouverture
de Par la porte d’or (1941) et
suscite définitivement chez Wilder le désir de mettre désormais en scène
lui-même ses scripts. Entretemps Preston Sturges aura ouvert la boite de
Pandore en étant le premier scénariste hollywoodien à passer à la réalisation
avec Gouverneur malgré lui (1940),
brèche où s’engouffreront notamment John Huston et donc Billy Wilder entre
autre.
Avec Uniforme et jupon
court Billy Wilder pose les jalons de sa filmographie comique à venir, et
ce alors que jusqu’à Sabrina (1953)
et surtout Sept ans de réflexion
(1955) son nom sera avant tout associé à un registre dramatique – si l’on
excepte le mineur La Valse de l’empereur
(1947) et La Scandaleuse de Berlin
(1948). Le film – adapté de la pièce de Edward Childs Carpenter – conjugue donc
sujet de départ possiblement scabreux (La Garçonnière (1960) Certains l'aiment chaud (1959) Sept ans de réflexion
(1955) Embrasse-moi idiot (1964) ...),
jeu sur le travestissement sexuel et identitaire (Certains l'aiment chaud et Embrasse-moi
idiot encore) et un traitement d'une justesse et d'une perfection telle
qu'il désamorce toute la provocation potentielle du propos. Chez Wilder la
duperie est moins source de mensonge que de révélateur à la fois pour le berné
et l’usurpateur. La gold digger Marilyn Monroe fini par s’amouracher du fourbe
et pauvre Tony Curtis dans Certains l’aiment chaud, l’époux potentiellement
volage fini par éprouver le manque de sa famille dans Sept ans de réflexion et
celui jaloux d’Embrasse-moi idiot
retrouve une conscience qui lui fait renoncer à ses ambitions.
L’influence de
Lubitsch qui rendait les sentiments sincères plus vibrant par l’immoralité (Ange (1937) et Sérénade à trois (1933) en tête) est manifeste chez Wilder mais à
la sophistication de son mentor il troque un habile mélange de grotesque et de
finesse. C’est le naturel qu’il parvient à tirer de ses personnages qui fait
ainsi passer tous les artifices grossiers. En l’occurrence ici l’interprétation
de Gingers Rogers la fait brillamment basculer du registre populaire gouailleur
dans lequel elle excelle (tant dans une veine comique qu’ouvertement dramatique
notamment chez Gregory La Cava) vers une candeur adolescente, au propre comme
au figuré. C’est d’abord Susan Applegate (Ginger Rogers) la citadine démunie et
qui en a tout vu avec les hommes (soi la Ginger Rogers de La fille de la cinquième avenue (1939) ou Primrose Path (1940)) que nous découvrons en ouverture avec l’énième
déconvenue d’un nouveau job qui tourne au harcèlement sexuel. Au départ de
cette ville où rien ne lui a réussi s’ajoute ainsi le renoncement à son statut
de femme adulte et indépendante puisqu’elle retourne chez sa famille.
L’habile
argument comique de la fraude au billet de train et à son travestissement en
fillette de douze ans n’est qu’une manifestation exacerbée de sa déchéance. Ce jeu entre
la finesse et le grotesque se joue ainsi chez Wilder avec une magnifique scène
de « mue » où Susan quitte les oripeaux de femme adulte pour ceux de
la fillette gironde, le grotesque se jouant dans le cabotinage de Ginger Rogers
surjouant cette juvénilité à coup de voix aiguë, chewing-gum bruyamment mâché
et tripotage de nattes. Le monde réel et ses désillusions est toujours là à
travers la réaction des contrôleurs qui ne sont pas dupe et celui du conte de
fée peut commencer avec celle du Major Philip Kirby (Ray Milland) qui lui l’est.
Cette bienveillance aveugle au statut adulte de sa protégée (et donc de désir
pour elle) reconstruit un monde lumineux pour Susan subissant ou s’amusant de
sa régression. Wilder multiplie les situations et dialogues équivoques aussitôt
désamorcés, le vice n’ayant pas sa place dans l’imaginaire refaçonné d’une
fillette. C’est particulièrement vrai dans les scènes de train, notamment une
où Kirby apaise les supposée terreurs nocturnes de Susan et dont l’ambiguïté
comique sera reprise à l’identique dans la séquence quasiment remakée de Certains l’aiment chaud où Jack Lemmon
(travesti en femme) et Marilyn Monroe sèment la zizanie dans un train.
Dans cet entre-deux amoureux et moral repose tout le
charme du film. La lourde et insistante séduction de l’adulte en ouverture
devient un ressort comique amusant avec la maladroite et hasardeuse tentative
des adolescents cadets de l’école militaire. Ginger Rogers possède l’assurance
de l’adulte pour les repousser et l’insouciance de l’adolescente pour s’en
amuser, et même d’en user lors de l’hilarante scène de standard rappelant son
passif de comédie musicale le temps d’un numéro de claquette. C’est bien sûr
dans le lien à Kirby que cela est le plus captivant, notamment quand ce dernier
décide de lui expliquer les « choses de la vie ». Wilder passe
progressivement du plan d’ensemble au champ contre champ pour illustrer les
émotions contradictoires et coupables se développant au cours du dialogue
métaphorique sur « la lampe et les abeilles attirées par la lumière.
Dans
le regard et l’attitude de Ginger Rogers s’exprime l’amour et l’impuissance de
la fillette attirée par un homme adulte, mais aussi l’émotion de la femme face
au premier homme « bien » qu’elle n’ait jamais rencontrée. C’est
encore plus savoureux chez Milland prenant de la hauteur paternelle dans son
rôle de « Oncle Philip » mais progressivement si troublée par son
interlocutrice supposée si jeune, mais pourtant si attirante. L’acteur excelle
à exprimer ce malaise qu’il ne s’explique pas et Wilder dose si bien la chose
que le spectateur de l’époque soumis au Code Hays comme celui d’aujourd’hui
plus sensible à ce genre de sujet possiblement douteux ne verra le mal.
La magie se brise lorsque cette ambiguïté se rompt le souhait
d’une vraie relation amoureuse. Les masques et l’hypocrisie du monde des
adultes peuvent ressurgir à travers la cruelle fiancée jouée par Rita Johnson,
et coïncidant avec la réapparition du riche concupiscent de la première scène.
Le scénario est un peu plus laborieux que dans l’absurde assumé et la frénésie
de Certains l’aime chaud pour nous conduire à l’inévitable happy-end mais
conserve néanmoins son ambiguïté. Report d’un désir coupable sur une adulte,
découverte de la supercherie, tout est possible dans l’interprétation des
retrouvailles finales et c’est là tout le génie de Billy Wilder déjà fin
provocateur.
Sorti en dvd chez Carlotta et ressort en salle le 7 février
Sorti en dvd chez Carlotta et ressort en salle le 7 février
Belle analyse du cinéma travesti de Billy Wilder, j'ai bien ri à ce film, surtout que Ginger Rogers est délirante et Ray Milland plus réveillé que d'habitude, il est même très bien dans ce rôle de militaire assez naïf, quand même(une ado qui mesure 1,72m !! et avec des nattes !!)
RépondreSupprimerBref le courant passe, démesuré jusqu'à atteindre des instants de folie, des situations abracadabrantes induites part le travestissement initial, merci Billy.
Rebonsoir, j'avais découvert ce film il y a plusieurs années lors d'une ressortie sur grand écran, j'avais adoré. Ginger Rogers est très crédible en ado à nattes. Une comédie épatante. Bonne soirée.
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