Orville Spooner et Barney Milsap habitent à Climax, Nevada. L’un donne des leçons de piano, l’autre est garagiste. Tous deux composent des chansons. Un jour Dino, un chanteur de charme sur le retour, s’arrête à Climax. Barney sabote sa voiture de façon à lui faire passer la nuit chez Orville, où il pourra écouter leurs compositions. Mais Orville est extrêmement jaloux de sa femme, Zelda, et Dino un grand séducteur. Barney a alors l’idée de faire jouer le rôle de Zelda à Polly, une prostituée locale.
Parmi les films les plus audacieux et provocateur de Wilder, Embrasses moi idiot offrait au réalisateur la possibilité de revisiter des thématiques abordées dans son célèbre Sept ans de réflexion. Le film de 1955 malgré ses qualités était bardé de compromis (rappelons que dans la pièce d’origine l’adultère est consommé contrairement au film) dû à la censure et cette fois Wilder est bien décidé à avoir une approche plus frontale de son sujet. Le film (adapté d’une pièce d’Anna Bonacci) est d’ailleurs au départ pensé comme une sorte de suite à Sept ans de réflexion puisque le rôle finalement tenu par Kim Novak fut initialement écrit pour Marilyn Monroe. Autre bouleversement notable, le mari jaloux joué par Ray Walston devait être tenu par Jack Lemmon dont l’emploi du temps s’avéra trop chargé. Peter Sellers le remplaça un temps mais affaibli par de nombreuses crise cardiaque dû abandonner le tournage.
Billy Wilder n’a jamais craint dans le passé de s’attaquer à des sujets provocateurs mais avait toujours su y mettre les formes et la sensibilité pour faire passer la pilule, notamment dans La Garçonnière. Ce qui frappa avec Embrasses moi idiot, c’est l’absence totale de retenue qui créait l’équilibre avec l’audace des histoires. La scène d’ouverture donne le ton avec ce spectacle de Las Vegas où Dino multiplie les blagues graveleuses sur ses danseuses, provoquant une hilarité si grotesque du public qu’elle renforce encore leurs vulgarités. Tout n’est ici qu’outrance qui force largement la caricature à des fins comique.
Wilder trouve avec ce film un réel aboutissement aux expérimentations de ses comédies des années 50 mais également un prolongement des idées d’autres maîtres comiques contemporain ou l’ayant influencé. La porosité entre réel/fiction et la mise en abyme de Sept ans de réflexion et Certains l’aiment chaud s’exprimait par des clins d’œil au spectateur via la parodie (le baiser dénaturant celui célèbre de Tant qu’il y aura des hommes dans Sept ans de réflexion, Some like it hot et son début se moquant des films de gangsters). Ici c’est par la connaissance du public des mœurs douteuses de Dean Martin que s’illustre cette idée, l’acteur prenant un malin plaisir à forcer le trait de star dissolue qui lui est associée.
La morale finale (l’adultère comme moyen de ressouder le couple) se rapproche grandement du Ange de Lubitsch et la géniale trouvaille des accords de violons et clavecins tourmentés qui précèdent chaque crise de jalousie de Spooner reprend celle du Infidèlement Votre (1948) de Preston Sturges où différentes pièces de musique classique accompagnait les sentiments du mari joué par Rex Harrison. Wilder avait déjà emprunté ce motif en usant de Rachmaninov pour accentuer la culpabilité de Tom Ewell dans Sept ans de réflexion.
Le style est inventif, le ton est moderne et racoleur et les acteurs s’en donnent à cœur joie. Le couple formé par Ray Walston et Felicia Farr est d’un naturel et d’une complicité étonnante au détour de quelques dialogues (Tu as encore feuilleté ton playboy ? lui lance-t-elle coquinement alors qu’il se montre très entreprenant) et situations intime alors que quelques années plus tôt le Code Hays ne les auraient même pas autorisés à partager la même chambre.
Wilder aurait donc pu se contenter d’un joyeux et cinglant jeu de massacre à l’image de son hilarant Un, deux, trois où il épinglait l’antagonisme de la Guerre Froide. Pourtant il parvient à toucher au cœur par le personnage de Kim Novak. Tout le casting évoquent des pantins destinés à nous amuser mais Kim Novak en apparence ayant le rôle le plus caricatural est en fait l’âme du récit.
Elle traîne son sex-appeal ravageur avec une tristesse résignée de femme objet et de manière inattendue les assauts de Dean Martin révoltent plus qu’ils ne font rire, on n’a pas envie de la voir céder à ce goujat. Wilder noue subtilement une complicité entre elle et Ray Walston (la chanson en forme de déclaration d’amour) qui pour cet unique moment les fait mari et femme, aucun étranger ne s’interposera entre eux.
Kim Novak exprime une fragilité et une mélancolie magnifique et son expression à se voir traiter comme une épouse, une femme respectable, est touchante. C’est cet échange se faisant entre la fille perdue et l’épouse établie qui provoquera le scandale du film avec un rebondissement final culotté de la part de Wilder allant cette fois au bout de sa logique. Les ligues de décences catholiques dénonceront le film qui sera le premier condamné ainsi depuis le Baby Doll d’Elia Kazan et en provoquant l’échec commercial. Wilder, peu habitué jusque-là aux bides (cela allait malheureusement changer) se montrera peu tendre à l’avenir lorsqu’il évoquera Embrasses moi idiot, raté selon lui. Nobody’s perfect, et au contraire aujourd’hui saluons une des plus belles réussites du maître.
Quel film ! Quelle Kim Novak ! Quel Billy Wilder ! Quelle provocation ! J'adore !
RépondreSupprimerClair vraiment un Wilder injustement sous-estimé (y compris pas lui même) c'est toujours galvanisant à revoir !
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