Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 28 février 2021

Les Cent Cavaliers - I cento cavalieri, Vittorio Cottavavi (1964)

Vers l’an 1000, en Castille, en pleine occupation maure, un cheik et ses cent cavaliers s’installent dans un petit village paisible. Couvrant d’abord les habitants de cadeaux, les envahisseurs deviennent vite des tyrans exploitant les villageois. Fernando, un jeune paysan, rassemble des hommes, les entraîne, et se met à la tête de la résistance contre les Maures.

Les Cent cavaliers est une évocation de la Reconquista espagnole, cette période du Moyen-Age qui vit la reconquête par les royaumes chrétiens des territoires de la péninsule Ibérique et des îles Baléares occupés par les maures. Cette période historique connaît un regain d’intérêt dans la fiction avec le monumental Le Cid d’Anthony Mann (1961) qui inaugure les dispendieuses superproductions de Samuel Bronston tournées en Espagne. Cela jouera dans la communication du régime Franquiste d’alors et influencera du coup l’engagement dans des productions locales ou internationales traitant de cette période. Les Cent cavaliers en bénéficiera avec son financement hispano-germano-italien mais Vittorio Cottafavi va largement détourner le récit épique attendu. Cottafavi figure, avec Riccardo Freda ou Pietro Francisi parmi les cinéastes qui durant les années 50 et le début des années 60 creusèrent le sillon d’un cinéma de genre (péplum, cinéma d’aventures) hors du néoréalisme plébiscité par la critique, et sans la reconnaissance dont bénéficièrent les ténors de la comédie italienne. Vittorio Cottafavi parvint notamment dans le péplum à détourner la commande pour amener les récits sur des terrains inattendus, que ce soit Messaline (1959) et sa femme fatale antique ou Hercule à la conquête de l’Atlantide (1961) et sa réflexion sur l’eugénisme. 

Les Cent cavaliers est de la même veine avec son approche singulièrement décalée de la Reconquista. L’introduction par sa mise en abyme amusée crée d’emblée une distance tout en montrant géographiquement et politiquement les forces en présence, avec ce village neutre placé entre l’indifférence de la Castille et la possible menace des maures. On va découvrir ses notables en plein égoïsme insouciant à se disputer les recettes de récoltes de blés. Le passage du cheikh Abdelgalbon (Wolfgang Preiss) et ses cavaliers va ainsi imposer l’invasion maure de façon inattendue. Cottafavi sort du cliché de l’envahisseur maure rustre et barbare pour montrer une infiltration sournoise, qui éveille les bas-instincts cupide à coup de flatterie et de présents avant que l’étau tyrannique se resserre. Les villageois creusent leur propre tombe, avant de se rebeller trop tard et de subir la brutale autorité de l’occupant  qui les réduit à une main d’œuvre servile. Le film oscille entre sérieux et farce pour un même propos, la chute des peuples s’amorce en leur sein avant d’être exploité par une menace extérieure.  

Cottafavi convoque donc une tonalité profondément italienne, commedia dell’arte qui préfigure L’Armée Brancaléone (1966) et sa suite Brancaléone s’en va-t-aux croisades (1970) de Mario Monicelli. Cette dimension latine se ressent autant dans la tumultueuse relation amoureuse entre Fernando (Mark Damon) et Sancha (Antonella Lualdi) que dans le pittoresque de certains protagoniste comme la cour des miracles que constitue le groupe de voleur. C’est cependant quand la satire s’applique aux dominants qu’elle est le plus savoureuses. Le cheikh Abdelgabon est paradoxalement trop attentiste pour un envahisseur, sa paranoïa égocentriste voyant dans toutes les maladresses de ses adversaires les manœuvres d’un grand stratège omniscient. 

C’est pourtant tout l’inverse de ce qu’est Don Gonzalo (Arnoldo Foà survolté dans une prestation à la Gassman), va-t’en guerre idiot et frustré de n’avoir pu guerroyer plus jeune lors d’un précédent conflit avec les maures. Sous la moquerie, Cottafavi distille est message pacifiste où le salut viendra de la génération suivante et les fils de Abdelgabon et Gonzalo, Fernando et Halaf (Manuel Gallardo) aux tempéraments plus paisibles et ouverts l’autre. Le problème du film est de rester trop en surface pour exprimer cette veine progressiste excepté la très belle scène de duel entre Halaf et Fernando. Alors que l’aspect farce domine presque tout le récit hormis quelques sursauts dramatiques (le massacre et les tortures infligés par les maures aux villageois), le rapprochement culturel entre maures et espagnols se résume à des vignettes (la relation entre Halaf et Laurencia (Barbara Frey)) sans véritable développement dramatique. 

Cela nuit à l’implication émotionnelle à un récit par ailleurs drôle et enlevé. L’approche anti épique est parfois frustrante au vu de l’amorce brillante de certaines scènes (le convoi qui se transforme en armada en un seul plan sur toute la largeur du cinémascope) mais c’est une volonté de Cottafavi de ne pas magnifier et rendre spectaculaire la geste guerrière qu’il juge vaine. C’est particulièrement vrai lors de la bataille finale où après une époustouflante scène de charge à cheval, le combat en lui-même est volontairement confus, grotesque et passe en noir et blanc. Le regard est peut-être trop intellectuel, satirique et finalement distant pour totalement impliquer le spectateur en attente d’aventures. Le film sera d’ailleurs un échec qui sonnera le glas de la carrière cinématographique de Vittorio Cottafavi qui se rabattra sur la télévision. Les Cent cavaliers reste néanmoins un film à voir, son mélange d’élégance et d’approche débraillée détonant dans le film historique de l’époque hormis Tom Jones de Tony Richardson (1963) ou les Brancaléone cités plus haut. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Artus

vendredi 26 février 2021

Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier - Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón, Pedro Almodóvar (1980)

Pepi cultive de la marijuana sur son balcon. Un flic qui habite en face, le remarque et vient chez elle pour le lui reprocher. Son regard est concupiscent si bien qu'elle soulève sa robe et lui propose de faire l'amour en échange de son silence. Le flic accepte. Pepi décide alors de se venger de ce viol avec l'aide de Bom et son groupe de musiciens, mais aussi celle de Luci, la femme masochiste, mais abandonnée du policier…

Premier film de Pedro Almodovar, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier est un vrai témoignage du vécu du jeune réalisateur, mais aussi un portrait des mutations de la société espagnole d’alors. Almodovar grandi dans un milieu rural et une famille conservatrice dont il va chercher à s’émanciper lorsqu’il ira faire ses études à Madrid. Malgré le dénuement économique de cette nouvelle vie urbaine, c’est une nouvelle vision du monde qui s’offre à lui et l’épanouit lorsqu’il va découvrir la faune nocturne madrilène où se croisent artistes, groupe punk et communauté gay. A la même période la société espagnole vit une période de transition entre les années qui suivent la mort de Franco et le début des 80’s où se reconstruit le paysage politique. Le conservatisme d’antan cohabite alors avec l’émancipation sociale en cours et l’émergence de la Movida, ce qu’illustre parfaitement le galop d’essai d’Almodovar. Après s’être fait la main sur quelques court-métrages, Almodovar parvient à signer ce premier long grâce à l’aide financière et artistique de tout le cercle underground gravitant autour de lui au fil des années. 

Tourné pendant un an et demi durant les week-ends, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier est l’illustration de la somme d’influence et d’expérience d’Almodovar à cette époque. Le film s’attache plus à témoigner d’une atmosphère et d’une époque que de proposer une vraie trame construite. La liberté de ton frappe dès la mémorable scène d’ouverture où Pepi (Carmen Maura) est violée par le policier violent (Félix Rotaeta) à cause de sa culture de cannabis. On y ressent la désinvolture sexuelle qui aura court tout au long du film (et préfigure l’usage du viol comme ressort dramatique toujours déroutant dans des œuvres à venir comme Kika (1993) ou Parle avec elle (2002)). 

C’est aussi une manière d’opposer d’emblée l’Espagne vieillissante et répressive d’avant et celle juvénile et ouverte d’aujourd’hui. L’aspect conservateur passe donc par ce personnage de policier (et des dialogues très significatifs qui lui sont attribués) duquel va tenter de se venger Pepi. Le meilleur moyen de le briser est d’infiltrer ce monde déluré dans son foyer par l’entremise de sa femme Luci (Eva Siva). En bon macho conservateur, le policier réserve ses écarts divers à l’extérieur et réduit sa femme à ses tâches domestiques sans autoriser la moindre fantaisie sexuelle dans leur vie de couple. Seulement il se trouve que Luci est une masochiste qui s’ignore et souffre d’être traitée « comme une mère » par son mari. Pepi va donc se rapprocher d’elle pour l’ouvrir à des mœurs et un milieu interlope qui vont la déniaiser.
Almodovar y va brut de décoffrage dans les situations avilissantes qui font jubiler une Luci qui n’attendait que cela, malmenée de façon diverse et variée dont une séquence où elle se fait uriner dessus. Almodovar capture à la fois avec réalisme et décalage toute l’excentricité de cet underground madrilène entre concert punk, figures queers outrancières et tenues vestimentaires criardes. La forme du film bien que très brut avec son format 16 mm, fait preuve d’une stylisation qui tend à montrer comment ce mouvement culturel de la Movida contamine les foyers et l’imaginaire espagnol. La narration est entrecoupée de cartons aux dessins pop art (signé du dessinateur BD qui s’occupera plus tard de la direction artistique des Jeux Olympiques de Barcelone), on aura de fausses publicités à la forme parodiques et au message provoquant où l’on devine l’influence du roman-photo dans le passif d’Almodovar.

Cette liberté offre un vrai souffle rafraîchissant au film qui nous fait naviguer d’un excès à l’autre avec un humour ravageur. Il est cependant intéressant d’analyser la manière dont s’illustre cette mutation sociétale. La division des deux mondes ne change pas à la fin du film, les parias excentriques restent dans leur monde et n’ont finalement apporté au conservateur qu’une manière plus outrancière et amusante de reproduire l’ancien modèle sociale. Pepi et ses amis restent dans une provocation bonne enfant alors que Luci peut enfin gouter à la jouissance en étant placée sous l’autorité plus explicitement brutale de son époux, ce qui satisfait ses fantasmes de soumission. C’est déjà passionnant sous cette forme brouillonne et se développé avec une finesse croissante par Almodovar dans ses films suivants. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Films

mercredi 24 février 2021

Harry dans tous ses états - Deconstructiong Harry, Woody Allen (1998)


 Harry Block est un écrivain tourmenté qui écrit des romans inspirés de sa vie. Certains de ses proches sont furieux de se reconnaître dans les personnages et évènements décrits. Il doit recevoir un hommage à son ancienne école mais il n'a personne avec qui y aller, il s'y rend finalement avec un ami cardiaque, une prostituée noire et son fils qu'il a kidnappé devant son école.

Woody Allen signe avec Harry dans tous ses états un de ses films les plus fous tout en revisitant certaines figures bien connues de son cinéma. Allen retrouve son personnage d’artiste névrosé et immature qu’il place ici dans une situation référentielle à lui-même et à ses influences. Harry Block (Woody Allen) est un écrivain qui nourrit largement sa fiction de son vécu au grand dam de son entourage sur lequel il se dédouane de ses petites lâchetés. Cette attitude se retourne contre lui lorsqu’il s’apprête à être honoré par son ancienne université et qu’il ne trouvera personne pour l’y accompagner. En amont et durant le périlleux voyage, Harry va refaire le film de ses déboires passés et peut-être se remettre en question. 

Le postulat est le même que Stardust Memories (1980) qui était lui-même emprunté à Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman (1957). Seulement Woody Allen troque la mélancolie de ces deux films pour une véritable furie irrévérencieuse et hilarante qui met à mal le personnage d’Harry. On a une autre réminiscence de Stardust Memories à travers la narration qui entremêle réalité et fiction de l’imaginaire d’Harry à la manière du Huit et demi de Federico Fellini (1963). L’emprunt est moins explicite ici (pas de reprise du noir et blanc, la dimension existentielle et référentielle moins marquée) et le film trouve une fois de plus son identité dans son ton hystérique et vachard. Le titre original Deconstructing Harry est bien plus explicite, puisque le récit s’applique à explorer par strates la psyché d’Harry, entre fiction à charge auto-complaisante et flashbacks faisant office de retour de bâton cinglant. 

Woody Allen ne cherche cependant pas à nous perdre dans ces différents niveaux narratif, mais plutôt à créer un contrepoint permanent qui vise à appuyer la mauvaise foi d’Harry et le conforter dans ses névroses ou à l’inverse l’accabler et le confronter à ces mêmes névroses. Le réalisateur joue la carte de l’absurde avec un festival de dialogues en dessous de la ceinture (qui démontre encore si besoin était qu’Allen est le père de la sitcom moderne), de situations décalées et d’idées formelles aussi folles qu’inventives. Ainsi l’anxiété d’Harry face au regard des autres se manifestera (dans la fiction avec Robin William et dans le réel par lui-même) par le fait de devenir flou aux yeux de son entourage ce qui donne des images incroyables, où l’expérimental sert le gag génial. Les effets de répétitions ou de coupures du montage montrent aussi la manière dont la réalité se vrille pour Harry qui perd pied. 

Woody Allen déploie dans un même film l’incarnation de son personnage et la manière dont il la délèguera à d’autres acteurs lors de ses films suivants (et ce dès Celebrity (1998) à suivre) mais dans une dimension méta où ses autres « lui-même » endossent des atours flatteurs, que ce soit par le casting prestigieux (Robin Williams, Tobey Maguire, Stanley Tucci…) ou le tempérament. Les ex-femmes se dédoublent aussi avantageusement dans la fiction (Demi Moore, Julia Louis-Dreyfus…) et le versant méta vient interroger et juger Harry dans le réel pour le placer face à ses contradictions.

Cette gymnastique narrative et psychanalytique conduit à des mélanges inattendus quand la fiction d’Harry charge à la fois l’ex-femme (en reprenant leur vie conjugale), sa sœur dont il moque la bigoterie juive et règle son compte avec son père. Woody Allen ne se refuse aucune extravagance, ce qui culmine avec un passage aux enfers entre inspiration de Milton et esthétique de peep-show dans un décor incroyable de rutilance rococo obscène. Au final Allen juge avec sévérité l’homme qu’il est tout en étant bien conscient que ses multiples failles nourrissent son art comme le montre un final émouvant et jubilatoire. 

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo