Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 30 avril 2022

Safe - Todd Haynes (1995)


 Carol White, une femme au foyer aisée et passive, partage son temps entre les séances d'aérobic, la cuisine et les achats pour sa maison. Son univers douillet bascule lorsqu'elle développe une allergie à ce qui l'entoure. En proie à la dépression, elle finit dans un inquiétant centre de traitement new-age.

Safe est le premier film majeur de Todd Haynes, et qui inaugure un cycle sur le mal-être féminin dans son œuvre que l’on retrouvera dans Loin du paradis (2003) et Carol (2016). Cependant dans ces derniers les contextes causant la crise des héroïnes (l’Amérique provinciale raciste influencée par Douglas Sirk dans Loin du Paradis, celle urbaine plus bourgeoise et patriarcale dans Carol) et leurs échappées provocatrices possibles (une romance interraciale dans Loin du paradis, romance lesbienne pour Carol) s’inscrivaient dans des thématiques sociales et intimes précises. Safe préfigure tout cela mais semble plus insaisissable dans son malaise progressif.

Carol (Julianne Moore) est une femme au foyer de Los Angeles qui vit dans le confort matériel, totalement dévouée à l’entretien de sa maison, ses sorties avec ses amies. Très vite pourtant la mise en scène nous signale la vacuité de tout cela, que ce soit l’absence de désir sexuel avec son époux, la caméra arpentant les pièces bien trop propres et ordonnées de la maison, tout cela manque de vie. La silhouette de Carol se perd dans ces instantanés presque publicitaires d’un quotidien creux. Lors d’une sortie en ville, elle va malencontreusement respirer la fumée d’une voiture, ce qui va lui provoquer des crises d’essoufflement et d’étouffement de plus en plus récurrentes. L’idée du film vint à Todd Haynes lorsqu’en 1991 il lut un article sur le phénomène du « environnemental illness », ces personnes faisant une réaction à l’environnement chimique les entourant et développant des réactions physiologiques. Todd Haynes réalisera bien plus tard le film Dark Waters (2020) où il aborde l’angle écologique et judiciaire du sujet mais Safe nous parle de tout autre chose. 

Avant de respirer la fumée supposée avoir déclenchée ses symptômes, Carol a vécu un désagrément assez anodin lorsqu’elle s’est fait livrer un canapé de couleur noire différant du blanc qu’elle avait commandée. L’harmonie avec son cadre domestique uniforme disparait ainsi et c’est comme si la propre illusion de bonheur qu’elle s’en faisait s’était estompée aussi avec cette erreur. Dès lors Todd Haynes joue sur les deux tableaux, celui des maux physiques réels et encore méconnus par la médecine ne trouvant aucun trouble de santé chez Carol, ou celui des maux psychologiques où son mal-être enfoui a fini par se manifester par des perturbations physiologiques. Si les deux causes restent possibles et liées, leur émanation et les solutions envisagées sèment le trouble.

Dès que Carol cherche de la plus infime façon à s’échapper du carcan normé de son quotidien, son corps réagit tel ce saignement de nez après qu’elle ait voulut changer de coiffure. Il en va de même lorsque les circonstances la forcent à rentrer dans le rang, ainsi le lendemain d’une querelle avec son époux frustré sexuellement, une promiscuité qui pourrait possiblement mener à l’acte provoquera une autre crise. Les médecins ne lui trouvent rien et l’envoient chez un psychologue, mais là aussi Carol ne semble pas prête à chercher dans son être mental la cause de ses maux et préférera les trouver dans une pure explication biologique et allergique. Julianne Moore livre une prestation impressionnante, son masque de « housewive » se désagrégeant progressivement, notamment par le fait qu’elle joue la seconde moitié du film sans maquillage (les produits chimiques de ceux-ci pouvant être cause des crises). 

Todd Haynes exprime à la fois des problématiques environnementales encore peu explorées, mais creuse surtout la nature hypocondriaques, paranoïaque et agoraphobe qui se développe chez ceux pensant en être victime - ce danger bien réel ravivant toute une foule de terreurs intimes. Le seul moyen pour Carol d’échapper au conformisme qui l’oppresse sans pouvoir l’exprimer verbalement, c’est par ces manifestations physique. Plus l’héroïne s’isole du monde, plus elle semble paradoxalement pâle, maigre et souffreteuse comme si plus que la pollution c'est la vie elle-même et ses contraintes qui la rongeait. Réfugiée dans une communauté aux allures de secte, le moindre surgissement d’urbanité polluante ravive ses maux et l’enferme dans une prison définitivement mentale. Un camion passant sur une route à proximité, le bruit d’un avion dans l’environnement sonore, la peur et sa solution extrême suivront tel cette bouteille d’oxygène qui ne la quittera plus. Todd Haynes filme une des plus glaçante et saisissante vision de la dépression, dans ce qu’elle a de plus terrible : le sentiment d’une souffrance sans fin et inexpliquée. 

C’est celle qui vous laisse à la merci des gourous en tout genres pétris de bonnes intentions. L’aridité de la dernière partie est bouleversante et sobrement mordante comme la vue furtive de la luxueuse demeure du gourou surplombant les habitats jansénistes attribués à ses patients). Todd Haynes s’inspire notamment de vrais icônes New Age comme Louise Hay dont les ouvrages étaient prisés par les connaissances gays du réalisateur pensant vaincre les symptômes du sida à travers ces préceptes de volonté domptant le déclin physique sans traitement médicamenteux. Le poignant et pathétique monologue final de Carol lors de son anniversaire est d’ailleurs inspiré des retranscriptions de malades de cet « environemental illness » tentant de verbaliser leur mal-être. Le plan final nous hantera longtemps et imprègne de tout le mystère et désespoir de ce tragique destin. Todd Haynes se plaît souvent à scruter des personnages ayant un grain de folie, certains en font un manifeste artistique comme dans Velvet Goldmine (1998) ou I'm not there (2007) et d'autres le traîne tel une damnation avec Safe.

Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Films

jeudi 28 avril 2022

Le passé se venge - The Crooked Way, Robert Florey (1949)


 Eddie Rice, un héros de guerre, est amnésique. Peu à peu, la mémoire lui revient, et il découvre qu'il a été un gangster recherché.

Le Passé se venge est avec Quelque part dans lanuit de Joseph L. Mankiewicz (1946), un des grands film noir exploitant le thème de l’amnésie. Les deux films ont un postulat proche avec un vétéran de guerre amnésique devant remonter le fil de son passé. Si Quelque part dans la nuit nous embarque dans une intrigue tortueuse reflet de la mémoire embrumée de son héros, Le Passé se venge se concentre davantage sur la dualité de Eddie Rice (John Payne). De retour dans sa ville de Los Angeles, il est rapidement rattrapé par un passé peu reluisant puisqu’il s’avère être Eddie Riccardi, ancien malfrat guetté par la police et les anciens alliés qu’il a trahit dont le menaçant Vince (Sonny Tufts). 

Robert Florey traduit cette dualité dans son approche formelle. Toute la première partie où Eddie Rice est plus spectateur qu’acteur de son destin, malmené par les uns et les autres, détesté par son ex-femme Nina (Ellen Drew), se déroule en plein jour et dans des lieux communs et exposés de la ville. C’est l’envers lisse, vierge et sans aspérités que représente Eddie Rice qui s’incarne ainsi mais également l’affaiblit et l’expose aux menaces. Il est toujours reconnu et interpellé par un protagoniste en sachant davantage sur lui et, curieux de remonter le fil de son passé, les suit toujours pour le pire.

Lorsque à mi-film les évènements se retournent contre lui et qu’ils se trouve acculé, l’atmosphère devient essentiellement nocturne, oppressante et stylisée à travers la superbe photo de John Alton. Dès lors on sent aussi la face sombre et brutale du héros, celle de son côté Eddie Riccardi (assez cocasse d'ailleurs que le côté vierge et positif corresponde au nom de famille wasp et la part enfouie et négative au nom à consonnance étrangère), ressurgir dans une présence plus inquiétante et la transformation du jeu de John Payne. Ahuri, naïf et presque benêt durant la première partie, sa présence corporelle devient féline et intimidante, son phrasé plus sec et ses manières plus violente. L’intérêt du film tient grandement à sa remarquable prestation. 

Un film noir plutôt prenant et réussi donc, avec quelques caractéristiques mineures mais assez originale pour l’époque avec le rôle assez important de la police scientifique, un coupable étant à un moment confondu à cause d’un de ses ongles retrouvé sur un cadavre. 

Sorti en dvd zone   français chez Sidonis

mardi 26 avril 2022

Amants - Amantes, Vicente Aranda (1991)


 Madrid, années 1950. Paco, un jeune provincial qui vient d'achever son service militaire, cherche du travail afin d'assurer un avenir au couple qu'il compte former avec sa fiancée, Trini. Il loue une chambre chez Luisa, avec laquelle il découvre la passion physique. Partagé entre les deux femmes, Paco perd pied. L'issue de ce triangle amoureux sera tragique et sordide.

Amants est le film le plus célèbre de Vicente Aranda, dans la continuité de sa filmographie des années 80. Après des débuts plus commerciaux où il s'oriente vers le cinéma fantastique au début des 70's, Vicente Aranda se fait connaître par ses brûlots politiques et sociaux où il aborde des sujets audacieux comme la transidentité dans Cambio de sexo (1977). Dans les années 80, il va développer cette approche engagée signant des adaptations prestigieuses de romans espagnols contemporain comme La muchacha de las bragas de oro (1980) et Si te dicen que cai (1989) d'après Juan Marsé, Asesinato en el Comité central (1982) d’après Manuel Vázquez Montalbán ou encore Tiempo de silencio adapté de Luis Martín Santos. Amants s'inscrit dans ce sillage puisque même si pas adapté d'un roman, il se situe dans la période Franquiste et transpose un fait divers de 1948 resté fameux en Espagne et appelé "El crimen de la canal". 

Au premier abord malgré le contexte socio-historique semble seulement constituer un arrière-plan sans influer sur le destin des protagonistes. Paco (Jorge Sanz) jeune homme venant de finir son service militaire est fiancée à la belle Trini (Maribel Verdu) et se met en quête d'un emploi afin d'assurer leur futur ménage. Trini est domestique chez l'ancien commandant (Enrique Cerro) de Paco tandis que ce dernier en attendant de trouver un emploi va louer une chambre chez Luisa (Victoria Abril actrice fétiche de Vicente Aranda)) une jolie veuve. Dès le départ, les injonctions de vie s’imposent à Paco et Trini. Le commandant ayant obtenu son grade grâce au prestige de sa famille enjoint ainsi Paco à se plier aux vertus du travail afin d'être un homme, un vrai. 

Paco et Trini ne peuvent vivre ensemble à la fois pour cette notion patriarcale d'homme devant subvenir aux besoins de sa famille (alors que Trini dispose d'importantes économies qui pourraient leur permettre de démarrer leur ménage) mais aussi religieuse avec le poids du catholicisme les obligeant à attendre le mariage. Leur relation en reste à une tendresse presque adolescente mais dès que Paco se montre un semblant plus entreprenant, il est repoussé par une Trini effarouchée. Paco ne parvient pas à s'inscrire dans ce conformisme qui s'impose à lui et perd rapidement tous les pénibles emplois où il est engagé, et se dérober ainsi à la contrainte d'un métier non désiré retarde également les responsabilités d'un mariage pour lequel il n'est pas prêt. La liberté, il va la trouva dans les bras de sa logeuse Luisa qui ne l'entretient et ne lui demande rien si ce n'est de l'aimer fougueusement dans la promiscuité de l'appartement. Cette liaison constitue ainsi une libération morale, sociale et sensuelle (et une autre opposition entre la travailleuse Trini et Luisa vivant dans l'illégalité) que Vicente Aranda filme avec un érotisme torride.

Il parvient parfaitement à retranscrire le sentiment de libération, de lâché prise au propre comme au figuré qui se ressent dans les jeux amoureux des amants. Le drame va naître des carcans sociaux dépeint plus haut, qui empêchent tout choix définitif au sein de ce triangle amoureux. Paco déchiré entre l'affection, la respectabilité que représente sa relation avec Trini et les voluptés de sa liaison avec Luisa, ne se décidera jamais vraiment pour l'une ou l'autre. Trini voit en Paco son premier et seul amour et le poursuivra de façon quasi obsessionnelle malgré son infidélité évidente, au point de finalement se donner prématurément à lui (initiée par sa patronne bourgeoise pour souligner l'hypocrisie des apparences respectables) mais sans l'extase et l'expérience que propose Luisa - Aranda travaille d'ailleurs un mimétisme formel contrarié lorsque Paco passe d'un lit à l'autre entre les deux. Cette dernière apparaît faussement détachée mais cache difficilement son affliction dès que son jeune amant s'éloigne un tant soit peu d'elle, et le "puni" en l'entraînant dans de nouvelles étreintes frénétiques. 

Un des aspects captivant du film est que Aranda déleste, malgré le sujet s'y prêtant, le récit de toute envolée romantique, de toute imagerie romanesque. L'ensemble est froid, clinique notamment à travers la photo hivernale de José Luis Alcaine et l'obsédante ritournelle musicale de José Nieto. Les personnages luttent contre leurs sentiments, leur désir, mais avant tout face à leur peur de défier les codes du monde qui les entoure. Quand ils penseront y parvenir, ce sera pour courir vers une autodestruction tragique le temps d'un dernier quart d'heure assez suffocant de noirceur dont le faux "happy-end" est vite étouffé par un panneau nous indiquant l'issue réelle de ce fait divers. Une œuvre puissante qui sera largement célébrée avec les Goya du meilleur film et meilleur réalisateur pour Vicente Aranda, et l'Ours d'Argent de la meilleure actrice à Berlin pour Victoria Abril - mais ses deux partenaires sont tout aussi excellents.

Sorti en dvd zone 1 américain chez Tanelorn Films

Désolé pour le trailer en allemand, impossible d'en trouver un d'époque en espagnol sur youtube