Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 31 janvier 2012

Le Professionnel - Georges Lautner (1981)


Issu de l'élite de l'armée française, Joss Beaumont est chargé d'exécuter le président du Malawi. Un contre-ordre tombe, la cible est devenue un ami de l'Etat. Pour l'empêcher de nuire, Beaumont est incarcéré, mais ne tarde pas à s'évader, décidé à mener à bien l'opération malgré l'opposition de sa hiérarchie.


Plus que n'importe quel autre de ses films à la même période, Le Professionnel témoigne de la toute puissance de Belmondo sur le cinéma français populaire d’alors. Un sujet explosif, un grand réalisateur aux commandes (Lautner, avec qui il avait déjà fait Flic ou Voyou et Le Guignolo), Ennio Morricone au score et un beau cast de gueules témoignent de l’ambition de l’entreprise. Pourtant, le film témoigne également du déclin imminent de Belmondo en tant que star d’action (ce que confirmeront ses derniers films dans le genre, les piteux Les Morfalous, Joyeuses Pâques ou Hold Up), enfermé dans une formule qui fait tâche quand il s’attaque à un récit un peu plus ambitieux.

Adapté du roman Mort d’une bête à peau fragile de Patrick Alexander, le thème du film s’avérait particulièrement audacieux dans une France encore marquée par le scandale des diamants de Bokassa (le film faisant indirectement référence à l’intervention française pour renverser le dictateur), en dénonçant les activités troubles des services secrets français dans une Afrique pas vraiment émancipée malgré la décolonisation. Avec autant d’atouts, la relative débandade n’en est que plus inexplicable, mais trouve pourtant son explication dans l’évolution de la carrière de Belmondo.

Au départ bien plus passionné par le théâtre, il intègre difficilement le Conservatoire (admis seulement à la troisième tentative) où, malgré un talent évident, on lui fait bien comprendre que son physique hors-norme n’entre pas dans les critères de « jeune premier » souhaités, au point qu’un de ses professeurs lui affirme qu’il ne sera jamais crédible en prenant une femme dans ses bras. La Nouvelle Vague, en quête de figures atypiques, l’accueillera à bras ouvert et lancera sa carrière. Il alternera ainsi avec brio durant les 60’s classiques du cinéma populaire de l’époque (Un Singe en hiver, Cartouche, L’Homme de Rio), films d’auteur exigeants (Pierrot Le Fou, A Bout de Souffle), et collaborations avec grands réalisateurs, dont une fructueuse association avec Jean Pierre Melville.

La rupture se fait au début des années 70 où, passé La Sirène du Mississipi de François Truffaut, le comédien Jean Paul Belmondo cesse d’exister et laisse la place à « Bebel », la star d’action rigolarde et indestructible effectuant elle-même ses cascades. Une décennie dorée pour Belmondo, qui se crée ainsi un personnage mythique (au point de littéralement inspirer un personnage d’animation avec le Cobra de Buichi Terasawa), et enchaîne les gros succès franchement divertissant (dont le génial Le Magnifique) qui auront bercé notre enfance. Cependant, l’absence de l’alternative qui lui aura si bien réussi dans les 60’s (hormis le Stavisky de Alain Resnais) l’enferme dans son personnage et sa formule, et pose ainsi toutes les limites du Professionnel.

Un tel sujet aurait mérité un traitement rigoureux et sans faille, une puissance dramatique de tout les instants (bien intermittente ici), et au final le film regorge de moments embarrassants, essentiellement dus à la volonté de traiter l’histoire à la sauce Bebel : Belmondo se déguisant en clochard pour aller voir sa femme, distribuant les baffes dans un bar ou frayant avec une prostituée de luxe forcément folle de lui au premier regard. On peut également y ajouter la scène d'ouverture de tribunal, avec ses avocats africains aux intonations outrées fleurant bon la vision sans âge de l’Afrique coloniale (et des scènes africaines tournées... En Camargue !), l’assistante flic lesbienne et adepte de la torture, ou encore un duel à la Sergio Leone entre Belmondo et Robert Hossein, amusant mais n'ayant strictement rien à faire là. Autant d’éléments présents uniquement pour mettre en valeur la virilité de Belmondo et amener une touche d’humour malvenue, la réalisation de Lautner (qui entamait là une belle décennie de disette) étant dépourvue de son inventivité coutumière, et les dialogues de Michel Audiard faisant rarement mouche.

Cela est d’autant plus regrettable que le film parvient à être réellement captivant quand il ose enfin ressembler à ce qu’il aurait dû être : un drame d’espionnage fort. Belmondo est ainsi formidable d’intériorité et de détermination dans sa vendetta suicidaire, avec de formidables échanges avec le personnage de Michel Beaune notamment. La dernière partie, où il manipule les services secrets pour régler son compte au dictateur africain, puis le destin final, dramatique, de Joss Beaumont (qui traumatisa les jeunes fans de Bebel en son temps), font ainsi largement regretter la direction prise par le film.

Un Belmondo assez symptomatique de la deuxième partie de sa carrière, ne devant au fond sa réputation qu’à sa conclusion brillante.

Sorti en dvd chez Studio Canal

lundi 30 janvier 2012

Mille Milliards de Dollars - Henri Verneuil (1982)


Journaliste à "La Tribune", Kerjean apprend que l'homme politique Benoit Lambert a reçu un pot de vin pour faciliter une transaction internationale. Après son article, Benoit Lambert se suicide, en apparence. La rumeur était fausse. Comprenant qu'il a été manipulé, Kerjean se cache en province, d'où il entend faire éclater la vérité.

Mille Milliards de Dollars est une belle réussite de grand thriller politique subversif et paranoïaque à la française. L’intrigue complexe et ambitieuse est toujours d'actualité dans sa dénonciation du capitalisme sauvage à travers les méfaits d'une multinationale américaine aux agissements des plus douteux sous couvert de profits. Ce démantèlement du capitalisme est un des aspects les plus intéressant du film avec pas mal de moments forts comme l'interview entre Patrick Dewaere et Mel Ferrer (fabuleux en grand patron cynique) où deux visions du monde s'oppose, la réunion des directeurs de filiale tremblant de trouille devant un Ferrer les humiliant comme des enfants quand les objectifs ne sont pas remplis.

Le côté très démonstratif que peuvent avoir les scènes de révélations (avec de longs tunnels de dialogues) sont tempérés par les rebondissements constamment surprenant, la petite histoire de pots de vin de départ nous emmène finalement très loin jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale et les origines douteuses de la multinationale.

Henri Verneuil (également auteur du scénario et qui signe un de ses meilleurs et plus ambitieux films, prolongement de son excellent I comme Icare) fait preuve d’une inventivité constante pour éviter toute lourdeur avec de nombreux flashback ou encore de fausses images d'archives dans un traitement glacial qui confère toutes la crédibilité nécessaire à cette grande machination internationale. Patrick Dewaere est parfait en journaliste tenace et jusqu'auboutiste, et son jeu décalé amène un peu de légèreté et d'humanité (d'ailleurs la conclusion relativement optimiste surprend) dans un univers faisant froid dans le dos, d’autant que l’actualité récente montre que rien n’a changé, bien au contraire.

Extrait qui n'a pas pris une ride...

dimanche 29 janvier 2012

127 heures - 127 Hours, Danny Boyle (2011)


Le 26 avril 2003, Aron Ralston, jeune homme de vingt-sept ans, se met en route pour une randonnée dans les gorges de l’Utah. Il est seul et n’a prévenu personne de son excursion. Alpiniste expérimenté, il collectionne les plus beaux sommets de la région. Pourtant, au fin fond d’un canyon reculé, l’impensable survient : au-dessus de lui un rocher se détache et emprisonne son bras dans le mur de rocaille. Le voilà pris au piège, menacé de déshydratation et d’hypothermie, en proie à des hallucinations… Cinq jours plus tard, comprenant que les secours n’arriveront pas, il va devoir prendre la plus grave décision de son existence...

Au premier abord, ce nouveau film de Danny Boyle semble être un choix conscient du réalisateur de faire une œuvre en tout point opposée à son précédent et célébré Slumdog Millionnaire. Au conte de fée moderne de Slumdog répond un scénario adapté du livre de la réelle mésaventure de Aron Ralston, qui se retrouva six jours et cinq nuits le bras coincé dans un rocher, seul au fond d’un canyon. Ce cadre minimaliste et resserré (autant esthétiquement que narrativement) répond également au foisonnement de péripéties, au Bombay surpeuplé et la fougue galvanisante du film de 2008. Et pourtant, malgré les apparences, les deux œuvres sont étonnamment proches l’une de l’autre et significatives du changement amorcé par le réalisateur depuis le début des années 2000.

Pour comprendre cela, il faut sans doute remonter au film le moins connu d’une filmographie plutôt populaire, Millions, sorti en 2004. Jusqu’à celui ci, Boyle est plutôt un cinéaste associé à une tonalité noire (La Plage, 2000), cynique (Petits Meurtre entre amis, 1994) et désespérée (Trainspotting, 1996), et cela même lorsqu’il s’attaque à des genres populaires comme la comédie romantique Une Vie moins ordinaire (1997). Millions, malgré quelques maladresses, marquait donc une transition, le passage de Boyle à une facette plus lumineuse avec cette curieuse histoire de petit garçon qui, à quelques jours du passage à l’euros, décide de faire le bien avec le butin d’un cambriolage qu’il a découvert.

Touchant, naïf et original Millions a réellement changé l’approche de Boyle sur ses sujets, ce qui se ressentira sur ses films suivants comme Sunshine (qui malgré son ton sombre s’offre une étonnante note d’espoir dans sa conclusion) et surtout le conte moderne Slumdog Millionnaire. Dès lors (et pour qui connaît le livre de Ralston), ce 127 heures ne pouvait tout à fait avoir la noirceur qu’on semble en droit d’attendre au premier abord.

Boyle évite totalement la facilité de l’épure documentaire et évacue tout réalisme artificiel à son récit, esquivant ainsi le gadget du film concept en faisant confiance à ses qualités de narrateur. La première partie du film est donc sacrément tapageuse, avec un Boyle retrouvant ses réflexes tape à l’œil pour nous faire ressentir le sentiment de toute puissance du frimeur individualiste incarné par James Franco. Loin d’en être antipathique pour autant, notre héros est présenté dans toute sa fougue insouciante, le temps d’une jolie rencontre avant le drame qui va l’immobiliser. Une nouvelle fois, alors que l’on pourrait s’attendre à une certaine introspection et retenue dans le cadre clos qui emprisonne le héros, Boyle surprend.

L’idée est de ressentir physiquement comme spirituellement la manière dont l’aventure va profondément transformer Ralston et l’amener à se remettre en question. La première approche est de plonger dans ses souvenirs à travers des visions de son passé et des personnes qui lui sont proches. Dans l’idée, le procédé est très intéressant, mais malheureusement la nature des souvenirs qui submergent Franco s’avère trop commune et clichée, alors qu’il y avait matière à un mélodrame puissant façon Les Choses de la Vie. Les micros flash-back sont trop brefs pour sortir des lieux communs les situations qu’ils illustrent, tels Ralston se souvenant des bons moments avec son ex petite amie (jouée par Clémence Poesy) et de la rupture causée par son égoïsme.

De même, l’imagerie croisant new age et romantisme Arlequin de ces moments n’est pas des plus réussies, avec photo voilée céleste du plus mauvais goût. Malgré le parti pris intéressant d’éviter la claustrophobie facile exigée, Boyle se rate donc dès qu’il cherche à faire sortir la trame de la grotte où est coincé Ralston. Par contre, dès qu’il y reste, le film atteint une puissance émotionnelle extraordinaire.

James Franco confirme enfin ici tous les espoirs placés en lui depuis des années par une prestation incroyable. Objectivement, le personnage de Ralston tel que présenté paraît assez creux et il parvient à lui donner une vraie consistance dans l’épreuve qu’il traverse. Sa confiance en soi inoxydable s’effrite ainsi peu à peu face à ce piège inéluctable, et sa présence d’esprit avec. Dans la réalité, le vrai Ralston s’était filmé pendant ces moments là et Boyle reprend bien évidemment le procédé avec brio. Franco, seul face à l’écran pendant toute une moitié de film, se met ainsi à nu de manière bouleversante. La folie, la schizophrénie guettent dangereusement Ralston, qui passe de l’abattement le plus total à l’assurance suicidaire. Boyle fait preuve de bien plus de brio pour capter l’épreuve traversée par cet homme et, entre stylisation et épure, trouve le ton juste dans un grand moment hallucinatoire.

La fameuse séquence où Ralston se coupe le bras pour échapper à sa prison de roche se pare donc de cette intensité, tout l’effort et la douleur physique de l’acte se ressentant à travers le point de vue de Franco. Aucun débordement sanglant superflu, c’est juste de la rage de vivre d’un homme dont il est question. Cet instinct de survie se poursuit dans les derniers instants d’errance, avec un Ralston brisé mais transfiguré par l’expérience et plus fort que le poseur insouciant des heures précédentes. 127 heures se pose donc en véritable leçon de vie et de courage, dépassant ses maladresses par la force émotionnelle qu’il dégage et l’implication de son interprète principal. C’est également, après Slumdog Millionnaire, la preuve que Boyle est désormais devenu un cinéaste de la lumière. Cela lui va bien.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox

vendredi 27 janvier 2012

Rue sans issue - Dead End, William Wyler (1937)


Dans l'East-side à New York, des immeubles cossus surgissent peu à peu au sein des quartiers déshérités. Ainsi l'opulence jouxte de façon éhontée des bâtiments délabrés, habités par une population miséreuse.

Au bout d'une rue qui se termine abruptement sur les bords de l'Hudson, se joue le théâtre ordinaire de la misère sociale. Drina participe à la grève de son usine pour obtenir une augmentation des salaires ; Joel, sans emploi, vit de petits boulots et ravale l'échec de sa carrière d'architecte ; une bande de gamins jouent aux durs et s'initient aux règles barbares des gangs.

Le tristement célèbre gangster "Baby Face", pris de nostalgie, revient incognito dans le quartier pour retrouver sa mère et son amour de jeunesse. Sa déconvenue sera à l'image de cette rue sans perspectives d'avenir.


Au premier abord, Dead End semble être une incursion inattendue de la MGM dans le film de gangster dans le but de concurrencer les productions à succès de la Warner qui triomphent depuis le début des années 30. Pourtant on constatera vite que plusieurs éléments dénotent avec ce que l'on est en droit d'attendre d'un film de ce genre. La mise en scène sèche, percutante et l'esthétique urbaine "réaliste" habituels sont oubliés dès la scène d'ouverture qui situe le modeste quartier de l'East-Sidé où va se dérouler l'action. Symboliquement, on part des cieux paisibles et hors du temps depuis les hauteurs des palaces luxueux habités par les nantis avant qu'un mouvement de caméra descende dans les ténèbres pour nous révéler ce qui les entoure. On découvre alors un quartier populaire grouillant et pauvre où les travailleurs modeste côtoient les mauvais garçons et voyous divers.

Wyler fait preuve d'emblée d'une sophistication marquée dans sa mise en scène et le visuel du film. Ainsi entre maquettes et matte painting les buildings des riches se posent en tours de Babel irréelle et inaccessible tandis que le quartier en lui-même bien que très bien reconstitué (parmi les 4 nominations à l'oscar que recevra le film on trouve la meilleure Direction artistique) trahi constamment sa nature de décor studio, que Wyler assume parfaitement avec un mouvement de grue impressionnant qui nous le fait survoler. Le film tiendra finalement plus de tranche de vie à la ligne narrative ténue que du vrai récit criminel.

Ces diverses "entorses" tiennent en fait à l'origine du projet, Dead End étant adapté d'une pièce de Sidney Kingsley. Celui-ci est célèbre à l'époque pour avoir reçu le Prix Pulitzer grâce à Men in White, pièce de 1934 où il abordait la difficile question de l'avortement illégal. On l'a compris, le propos sera plus ouvertement social que les films Warner où cela constituait un arrière-plan et où les biopic plus ou moins officiels de gangsters côtoyaient l'adaptation de roman policier. Là où des films comme Scarface ou L'Ennemi Public jouent avec ambiguïté de la double option du divertissement excitant et de la dénonciation de cette vie criminelle, Dead End s'arrête uniquement à la seconde solution.

On a bien un criminel redoutable en la personne d'Humphrey Bogart mais l'empathie naît des très attachants Joel McCrea et Sylvia Sydney, gens ordinaires qui se démènent pour survivre. A la construction Ascension/Apogée/Chute typique du genre l'unité de temps et de lieu de la pièce escamote la facette la plus glorieuse qu'est l'apogée. On alterne ainsi entre les méfaits appelant à une escalade criminelle future de petites frappes du quartier et les désillusions que va vivre le caïd Baby Face Martin (Humphrey Bogart) en quête de souvenir sur les lieux de son enfance.

Si on oscille entre espoir et pessimisme pour les gamins, leur futur possible vu à travers Bogart s'avère implacable. Riche, craint et puissant Baby Face Martin est surtout un homme seul et désormais sans passé (l'opération lui ayant changée le visage est ainsi lourde de sens) ni racines. Rejeté par les sien (terrible scène avec sa mère) ou voyant des souvenirs tendre prendre un jour monstrueux (sa fiancée devenue prostituée jouée par Claire Trevor), le truand perd toute sa prestance pour révéler un être aux abois. Humphrey Bogart est excellent et traduit parfaitement ce changement d'état d'esprit tandis que Wyler ne magnifie jamais les quelques occasions données de mettre le gangster en action.

La dimension sociale s'avère très réussie grâce à la prestation de Joel McCrea toujours excellent en monsieur tout le monde modeste et une Sylvia Sidney au regard mélancolique et à l'allure fatiguée par un labeur sans fin. Le triangle amoureux avec une jeune femme riche amoureuse de McCrea (Wendy Barrie) est un peu trop esquissée pour captiver complètement (malgré des moments réussis McCrea qui guette sa riche soupirante oisive à son balcon tandis que Sylvia Sydney baissée se plaint de ses chaussures usagées), tout comme la sous-intrigues de grève et de combat syndical.

Le film pêche sans doute à un peu trop marquer son message (sans doute pour signifier clairement la différence avec les films Warner) notamment par une analogie et symbolique constante qui finit par lasser (les riches contraint de quitter l'hôtel par la porte de service débouchant sur le quartier pauvre, la fête constante sur fond de jazz tonitruant dans les étages tandis que le drame se noue en bas) mais néanmoins l'émotion fonctionne réellement de bout en bout. Wyler dynamise bien un récit qui ne se déleste pas complètement de son origine théâtrale une mise en scène percutante dans les quelques moments d'actions (très efficace bagarre et gunfight final) et une certaine audace dans la crudité de sa description notamment la vulgarité des gamins. Plutôt intéressant dans ses choix donc sans être un grand Wyler.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

jeudi 26 janvier 2012

Kick-Ass - Matthew Vaughn (2010)


Dave Lizewski est un adolescent gavé de comics qui ne vit que pour ce monde de super-héros et d'incroyables aventures. Décidé à vivre son obsession jusque dans la réalité, il se choisit un nom – Kick-Ass – se fabrique lui-même un costume, et se lance dans une bataille effrénée contre le crime. Dans son délire, il n'a qu'un seul problème : Kick-Ass n'a pas le moindre superpouvoir...

Phénomène récurrent dans le monde des comics, la mise en abîme de la figure du super héros a gagné le cinéma après dix ans de domination sans partage au box-office. Le mouvement avait été lancé l’an dernier avec l’excellent (et décrié par les geeks puristes) Watchmen de Zack Snyder. Ce dernier n’avait qu’un seul vrai défaut, la fidélité absolue au matériau d’origine qui plaçait l’intrigue dans un univers parallèle, plongé dans la Guerre froide et donc bien éloigné de nos préoccupations actuelles. Un défaut et une qualité en fait, puisqu’il conférait à l’œuvre ce fascinant aspect métaphysique et réflexif, sortant des sentiers battus du blockbuster.

 Matthew Vaughn prend totalement le chemin inverse avec Kick-Ass, objet pop et référentiel bien de son époque. Si on ne sait pas encore comment le film vieillira, ici et maintenant c’est clairement une des prodctions récentes les plus réjouissantes. Kick-Ass est tout d’abord l’adaptation d’un comics de Mark Millar. Scénariste remarqué pour son travail au sein de Marvel, il a bouleversé pour le pire et le meilleur les comics de ces dernières années. On retrouve dans ses titres les plus personnels un goût prononcé pour la violence, les personnages extrêmes et la provocation gratuite et juvénile. Tous ces éléments s’agençaient formidablement dans Wanted, reconstruction trash et bourrée d’humour noir d’un univers super héroïque parallèle (où les tueurs à gage ont supplanté les super héros). Le film qui en fut tiré en 2008 ne pouvait suivre les mêmes traces et donna au final un ersatz amusant et inoffensif de Matrix et Fight Club, bien éloigné du nihilisme de la version papier.

Pas de risque de ce côté-là avec Matthew Vaughn qui dut batailler et produire lui-même dans un premier temps ce Kick-Ass face au refus des studios. Par conséquent, le film garde la patine divertissante et fun du blockbuster, tout en se permettant des écarts de violence et de ton rarement vus dans un spectacle grand public. Le début offre un joyeux détournement des situations et dialogues les plus fameux des films de super héros. Le générique d’ouverture parodie ainsi quelques notes du célèbre thème de Superman sur fond de ciel nuageux. Ce sera ensuite le Spider-Man de Sam Raimi qui sera repris et moqué à la fois.

 Face au cliché du traumatisme dramatique motivant la vocation de héros, nous sommes ici face à un simple adolescent, malingre et complexé, cherchant à tromper son ennui en se voyant plus beau qu’il n’est par ce moyen d’évasion. Un parti pris bien plus empathique avec le lecteur de comics donc, qui s’y identifiera bien plus qu'aux sentiments chevaleresques déployés habituellement. Vaughn retraduit sans détour les élans les plus extrêmes de Millar, tant dans le côté ludique que sombre. Ainsi la première expédition justicière du héros après une amorce de comédie se conclut avec une violence qui nous ramène brutalement à la réalité.

 C’est paradoxalement avec les personnages les plus délirants que le film glisse progressivement vers une tonalité plus grave. Le duo de héros père et fille Big Daddy/Hit Girl offre ainsi une vraie tendresse sous l'aspect décalé. Nicolas Cage, singeant le jeu d’Adam West (interprète de Batman dans la série parodique des années 60) est aussi hilarant qu’émouvant en père attentif, bien qu’il ait fait de sa toute jeune fille le bras armé de sa vengeance. Cette dernière est jouée par la charismatique Chloé Moretz (déjà vue en ado mature étonnante dans 500 jours ensemble) qui crée instantanément un personnage culte avec sa Hit Girl. La jubilation est de mise face à cette gamine qui trucide à tour de bras les truands les plus coriaces sur fond de Joan Jett, en balançant des répliques "badass" tout en gardant son espieglerie enfantine.

 A la manière d’un Tarantino, l’équilibre est ténu mais cette relation filiale porte réellement l’aspect dramatique (et héroïque) du film. Elle emmène aussi progressivement l’intrigue plus légère concernant Dave/Kick-Ass (Aaron Johnson tout en fragilité est très bon également) sur ce même terrain plus sérieux. Les émotions se bousculent ainsi lors de la dernière partie où culmine le combat des héros avec le mafieux redoutable joué par Mark Strong. Les aspects finalement faussement parodiques et outrés qui ont précédé nous auront grandement attachés aux personnages. Matthew Vaughn qui avait si bien su mêler distanciation et émotion à fleur de peau dans son formidable Stardust parvient à un meilleur résultat encore. Ses intentions se dévoilent lors de la scène clé du film, un formidable morceau de bravoure héroïque réarrangé pour la génération myspace. Il y mélange filmage classique, vision de jeu vidéo FPS et images youtube dans un crescendo dramatique saisissant, porté par un montage parfait. D’amusante, Hit Girl devient soudainement poignante de courage et Dave dépasse les préoccupations superficielles adolescentes pour accéder à la figure de héros.

 Matthew Vaughn réalise là un film bien de son temps (les références à la culture populaire du moment pleuvent), profondément ancré comics (l’ensemble est particulièrement flashy, décors comme costumes) mais dont la force narrative et émotionnelle peut rassembler autant les geeks que les non initiés. Périssable peut-être, le temps nous le dira mais ici et maintenant, Kick-Ass est presque un grand film.

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan

mercredi 25 janvier 2012

Romance d'amour - Love Story, Leslie Arliss (1944)


Un magnifique mélo Gainsborough qui transcende totalement un pitch à faire peur tant il semble chargé dans le larmoyant outrancier. Lissa Campbell (Margaret Lockwood), pianiste à succès décide de mettre sa carrière entre parenthèse pour participer à l'effort de guerre. Catastrophe le jour de la visite médicale où les médecins lui annoncent qu'il ne lui reste plus que quelques mois à vivre ! Partie se ressourcer dans la campagne de Cornouailles, elle tombe amoureuse de Kit Firth (Stewart Granger) jeune ingénieur qui lui aussi dissimile un terrible secret, il devient aveugle...

Leslie Arliss le prouvera encore de magistrale façon avec son mémorable film suivant The Wicked Lady, il est passé maître dans l'art d'enchaîner les rebondissements les plus rocambolesque sans sombrer dans le ridicule. C'est encore le cas ici où les évènements évoqués s'enchaînent dans la première demi-heure avant que le récit (adapté d'un roman de Drawbell) prenne un tour intimiste étonnant. Arliss fait passer toutes les énormités par la caractérisation de son couple qui rend le tout crédible et touchant. Lissa et Kit ont ainsi deux attitudes totalement différentes face au funeste destin qui les attends et qu'ils se dissimulent encore(ce double secret rappelle un peu à Hollywood le I'll be seing you de Dieterle).

Pour les derniers mois qui lui reste à vivre, Lissa embrasse la vie plain-pied, bien décider à ressentir les émotions dont son existence reclus de musicienne professionnelle l'ont privées. Elle rayonne littéralement (cette magnifique scène où elle surplombe une falaise cheveux au vent) et semble plus vivante que dans les premiers instants du film où elle ne savait rien de son mal. A l'inverse, Kit se réfugie dans une vie de coureur de jupons sans attache ni responsabilité mais la rencontre de Lissa viendra bouleverser ses velléités de détachement.

Le script exploite d'ailleurs bien l'arrière-plan de la guerre pour accentuer le drame. Ainsi Margaret Lockwood se demande longuement pourquoi Granger, jeune homme fort et vigoureux n'est pas mobilisé. Honteux de lui avouer ses raisons, il feint l'égoïsme et finit par la faire douter de son courage et fait vaciller leur relation. Stewart Granger d'habitude si viril et imposant exprime ici une subtile vulnérabilité alors qu'à l'inverse la frêle Margaret Lockwood est d'une constante vigueur et saura remotiver son compagnon. A cela s'ajoute un triangle amoureux avec l'amie d'enfance de Granger jouée par Patricia Roc.

Sa performance est encore meilleure que celle plus connue de The Wicked Lady où elle étoffe déjà considérablement un rôle potentiellement ingrat. Moins affectée par les malheurs que ces partenaires, elle compose peut être le personnage le plus tragique du film par ses tourments bien plus ordinaires. Confrontée à de terribles dilemmes (laisser Kit devenir aveugle pour l'avoir rien qu'à elle), elle voit impuissante (beau moment symbolique lors des adieux à la gare où elle est en retrait du couple qui ne se quitte pas des yeux) l'homme qu'elle depuis toujours s'attacher à une autre.

Leslie Arliss impose un rythme lent où chaque moment partagé par le couple se doit d'être vécus comme s'il était le dernier à travers de belles séquences romantiques rurales où les paysages de Cornouailles sont magnifiés (la balade en barque dans la crique, le théâtre en plein air face à la mer) par le lyrisme de la mise en scène.

L'alchimie entre Stewart Granger et Margaret Lockwood fait merveille et la nature hors-normes de leurs personnages (on peut faire un rapprochement avec Le Secret Magnifique de Sirk et ses héros plus grands que nature également) se voit équilibrée par une tout aussi touchante Patricia Roc et aussi Tom Walls en mentor bienveillant. Très beau film auquel on peut juste reprocher un épilogue à rallonge qui n'ose pas la grande tragédie finale attendue. Jusqu'au bout, le film esquive les clichés qui le guettent pour un étonnant happy-end en pointillé...

Sortie en dvd zone 2 anglais dans au choix le coffret consacré Stewart Granger ou celui de Margaret Lockwood tout deux édités par ITV et doté de sous-titres anglais. Vivement recommandé c'est gorgé de pépite dont plusieurs ont déjà été chroniquées sur le blog.

Film en entier sur youtube semble- il pas pour longtemps certainement...

mardi 24 janvier 2012

Dommage que tu sois une canaille - Peccato che sia una canaglia, Alessandro Blasetti (1954)


Un jeune chauffeur de taxi tombe amoureux d'une belle fille du peuple qui ne pense qu'à le voler.

Marcello Mastroianni et Sophia Loren forment LE couple emblématique du cinéma italien dont la seule évocation éveille le souvenir de grands éclats de rires (Mariage à l'italienne, Hier aujourd'hui et demain...), de chaudes larmes (Un journée particulière) et surtout de grands moments de l'âge d'or du cinéma local tout au long de leurs douze films communs. Ce couple naît dans Dommage que tu sois une canaille, film charnière qui les réunit pour la première fois et les faits stars tout en étant un jalon fondamental de la Commedia all'italiana naissante.

Alessandro Blasetti façonne ce couple de légende en contribuant à créer l'image qui fera de Sophia Loren une star, celle de cette jeune italienne du peuple gironde et malicieuse. Il impose également un Marcello Mastroianni à la carrière déjà bien entamée mais abonnée aux seconds rôles, ce qui changera avec ce Peccato che sia una canaglia dont l'esthétique séduisante et touristique s'exportera avec succès et contribuera à la notoriété internationale de l'acteur.

Alessandro Blasetti de son côté a déjà une carrière bien remplie mais en perte de vitesse à ce moment-là. Son parcours l'aura vu être un des pionniers du néoréalisme avec Quatre pas dans les nuages (1942) (ou par les méthodes de tournages de Sole), être un fasciste convaincu (avant de se raviser) contribuant à la période dite des "téléphones blancs" et tâtant de tous les genres dont le péplum avec Fabiola (1949). Il se réinvente donc ici une nouvelle fois tout en créant presque la comédie italienne moderne.

Le film constitue vraiment un moment charnière où l'expérience de Blasetti associé au souffle nouveau de ses interprètes donne un résultat novateur. L'héritage néoréaliste se signale ainsi par l'arrière-plan réaliste de cette Rome mettant en valeur les milieux populaires, que ce soit du côté des travailleurs avec le vaillant taxi joué par Mastroianni ou la famille de joyeux escrocs formés par Sophia Loren et son père joué par Vittorio de Sica. Cependant l'esthétique misérabiliste laisse place à une imagerie élégante et joyeuse d'une cité estivale touristique (ce moment où Sophia Loren s'improvise guide dans un anglais impeccable) et grouillante.

On sent que l'on est encore dans la comédie italienne populaire des années 50 puisque sur des même bases Le Pigeon (voire même un Gendarmes et voleurs de Monicelli qui a précédé) ira bien plus loin mais l'idée est déjà là : apporter un décalage à un cadre, des personnages et situations réalistes par l'humour. Le couple Marcello Mastroianni /Sophia Loren instaure quant à lui une vraie dynamique de screwball comedy revisitée à l'italienne. On connaît la formule, un pauvre bougre masculin mené par le bout du nez par une espiègle jeune femme et c'est ici un honnête taxi dont la vie devient un cauchemar lorsque la peu recommandable Sophia Loren jette son dévolu sur lui. Quiproquos en pagailles et gags divers jalonnent le chemin de croix d'un Mastroianni génialement ahuri et malléable qui devra apprendre à mater une Loren qui n'attends que cela.

Celle-ci, gouailleuse, séductrice et sensuelle impose un charme dévastateur (très sérieux coup de chaud lorsqu'elle déambulera en maillot de bain) et exprime finement par ses moues et regards en coin son attachement à celui qu'elle ne cesse de tourmenter. Sans elle, cette Lina aurait pu être parfaitement détestable et il n'en est rien. Cerise sur le gâteau, un Vittorio de Sica absolument grandiose en patriarche arnaqueur qui lui aussi distille une élégance et une drôlerie pleines d'aplomb notamment l'hilarant final à rallonge dans le commissariat.

Blasetti parvient à un équilibre parfait avec des situations tout à la fois variées et répétitives (Mastroianni victime d'un des méfaits de Loren mais qui revient malgré lui vers elle) où l'aspect très enlevé (les échanges musclés des amoureux) masque en fait un film finalement fort nonchalant et sans vrai pic dramatique ni rebondissement marquant. L'aspect screwball bien que présent se voit dynamité par cette approche posée et typiquement européenne, l'approche anglo-saxonne millimétrée du genre s'estompe pour une langueur "à l'italienne" en somme. La preuve avec cette conclusion où jamais une gifle n'a été plus romantique, grande comédie. Suite au succès du film, Blasetti réunira les acteurs dès son film suivant La Chance d'être femme (1955) que j'ai très envie de voir du coup.

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo

lundi 23 janvier 2012

Les Titans - Arrivano I Titani, Duccio Tessari (1962)


Kadmos, roi de Thèbes, répudie sa femme pour épouser Hermione, sa favorite. Il consacre sa fille Antiope au culte virginal de Vénus, un oracle l'ayant prévenu de la perte de son trône le jour où celle-ci trouverait l'amour. Il se fait proclamer dieu par son peuple et abolit toute trace de religion étrangère. D'ailleurs, pour participer aux fêtes célébrant la destruction du dernier temple élevé à la gloire de Jupiter, Kadmos fait appel aux athlètes de tous les coins de l'Hellade. Il provoque ainsi la colère de Zeus, qui décide de le châtier, et arme, à cette fin, le bras de Kryos, chef des Titans, en lui promettant la libération de ses frères s'il mène à bien sa tâche...


Les Titans est un péplum mythologique mêlé de comédie des plus agréables et qui dépoussière pas mal un genre d'ordinaire si sérieux. Comédie et pas parodie, ce qui conserve tout son intérêt à l'histoire tout en lui donnant un tour sacrément ludique et enlevé. Le récit est mené tambour battant par Tessari, bourrées d'idées (le casque qui rend invisible) et d'énergie (des combats d'un dynamisme euphorisant) avec une direction artistique élégante (seules les scènes aux enfers et la Gorgone sont un peu kitsch) et des effets spéciaux au charme rétro euphorisant.

Loin des colosses bodybuildés qui peuple le péplum italiens, Giuliano Gemma (teint en blond pour l'occasion) dénote pour notre plus grand plaisir est en Kryos. Tel un héros de film de cape et d'épée qui se serait trompé de genre, il est constamment bondissant, moqueur et charmeur, tout en aisance moqueuse. Usant plus de son intelligence que de ses muscles, il évoque plus des héros littéraires roublards comme Bilbo le Hobbit ou encore Cugel L'astucieux plutôt qu’une figure plus imposante et sérieuse.

Si le film s'emmêle pas mal les pinceaux entre la mythologie grecque Tessari évite le kitsch dans la représentation des dieux, celle-ci étant évoquée à travers le dialogue (soulignant ainsi sans l’illustrer leur importance dans le quotidien de ces croyances) où de manière assez discrète hormis une séquence très réussie avec Pluton.

Ennio De Concini, scénariste à qui on doit le renouveau du genre au sein du cinéma italien (il a participé au Ulysse de Camerini, le diptyque Les Travaux d’Hercule/ Hercule et la Reine de Lydie de Pietro Francisi et contribué à des tentatives singulières comme Le Colosse de Rhodes de Sergio Leone ou l’excellent Messaline de Vittorio Cottafavi) semble avoir voulu clairement donner une œuvre en décalage et trouve avec le touche à tout Duccio Tessari le partenaire idéal pour cela. Parmi les très bons moments, toutes les scènes de séduction entre Genma et Jacqueline Sassard sont charmantes notamment grâce à la candeur de cette dernière assez en Antiope inconsciente de son charme.

On saluera également l’énergie des scènes d’actions tel Kryos qui se joue de multiples assaillants en riant (renforçant le sentiment de cape et d’épée transposée dans le péplum) et surtout l'arrivée triomphale des Titans au secours de Kryos pour une grosse baston finale démesurée. L’esprit d’Astérix n’est pas loin lors des combats délirant où l'armée du méchant Kadmos (très bon Pedro Armendriz) est ridiculisée de fort belle manière. Une certaine idée du divertissement à l’état pur.


Sorti en dvd zone 2 français chez René Château mais uniquement en (excellente) vf. Sinon se tourner vers un dvd italien s'il en existe, si un lecteur peut renseigner là dessus éventuellement.

Extrait

samedi 21 janvier 2012

Les Aventures du Baron de Münchausen - The Adventures of Baron Munchausen, Terry Gilliam (1988)


Dans une ville assiégée par les Turcs, une pièce de théâtre conte les aventures du fameux baron de Münchausen. Surgit alors un vieillard, affirmant être le « vrai » baron de Münchausen, faisant un scandale et interrompant la pièce. Horatio Jackson, le dirigeant de la ville, un notable méprisant, l'ignore ; les membres de la troupe le prennent pour un fou. Seule Sally, fille du directeur de la troupe de théâtre, le prend au sérieux. Il lui raconte comment, avec l'aide de ses compagnons Berthold, Adolphus, Albrecht et Gustavus, il a gagné le trésor du sultan, et déclenché ainsi la guerre.

Parmi les romans occidentaux les plus populaires jusqu’à la première moitié du XXe siècle (au point de connaître une première version cinéma orchestrée par Goebbels pour le régime nazi), le roman de Rudolf Erich Raspe est largement tombé dans l’oubli lorsque Gilliam s’attaque à son adaptation en 1988. Münchausen est probablement le plus fascinant des trois films du cycle de l'imaginaire de Gilliam, car élargissant le propos au-delà du simple questionnement sur le rapport entre le réel et l’imaginaire. Totalement identifié à son héros, Gilliam fait définitivement le choix du monde imaginaire. Associant la maîtrise formelle acquise dans Brazil et le foisonnement d’idées de Time Bandits dans un film ayant enfin le budget de ses ambitions, Terry Gilliam livre là un spectacle total.


 Dès l’introduction du vieux baron dans le théâtre, le réalisateur esquive l’artifice de la transition et des reflets semant le doute sur la véracité des événements se déroulant sous nos yeux (hormis les acteurs du théâtre ayant les mêmes traits que les compagnons légendaires du baron). Dès l'instant où la petite Sally voit en lui le héros qu’il est, le statut du baron ne se verra plus discuté. Dans Bandits Bandits, l’imaginaire était un moyen d’évasion et dans Brazil, il faisait figure de refuge. Gilliam va plus loin encore ici, en en faisant tout simplement une source de vie. Les manifestations saisissantes traque incessante de la mort –, les alternances entre vieillissement et rajeunissement du Baron, tout cela se voit provoqué par la croyance absolue dans le pouvoir de l’imaginaire, l’aventure étant un moyen constant d’échapper au temps qui passe, au poids du destin.

 Tourné à Cineccittà et composé d’une équipe technique parmi les meilleures d’Italie (dont le grand Dante Ferreti aux décors, et Michele Soavi à la seconde équipe), Münchausen s’approprie et réinvente l’esthétique des plus grands visionnaires du cinéma d’évasion. On pense évidemment à Méliès lors du voyage dans lune, au Pinocchio de Walt Disney durant l’épisode de la baleine, le tout régulièrement bousculé par l’humour de Gilliam, telle la prestation hilarante d'Oliver Reed en Vulcain.

 L’ombre de Fellini plane dans ce foisonnement visuel et exubérant, Gilliam troquant l’ambiance décadente du maître italien (malgré une première apparition érotique à souhait d'Uma Thurman) par une euphorie et un plaisir de raconter tout enfantin. Les séquences féeriques sont légions, telle cette danse avec Uma Thurman où l’exaltation permet de poursuivre la valse dans les airs.

La menace des Turcs en filigrane fait le lien d’une narration audacieuse multipliant les saynètes et temps forts indépendants, parti pris qui décontenança grandement le public de l’époque, habitué à une forme plus classique. Probablement le film le plus impressionnant de Gilliam, Münchausen multiplie les prouesses techniques et visuelles dans plusieurs séquences inventives et spectaculaires. On se souviendra longtemps du baron faisant un aller retour dans les airs, projeté par un boulet de canon et se raccrochant à un obus, le tout en étant pourchassé par la mort.

 Alors qu’il faudra à Peter Jackson l’armée des infographistes de Weta pour reproduire le même effet dans La Communauté de l’Anneau, Gilliam réalise en live, vingt ans plus tôt, ce travelling arrière insensé sur la rangée de lance de l’armée turque avant la grande bataille finale. Les facultés surhumaines des compagnons du baron provoquent quant à elles des élans outranciers à la Tex Avery (Berthold qui rattrape la balle tirée sur le baron à toute vitesse), qui renforcent le melting pot des inspirations.

 La conclusion, révélant que tout était narré par le baron et que l’on n'a jamais quitté le théâtre, laisserait craindre une pirouette malvenue. C’est bien mal connaître Gilliam, qui fait bénéficier le monde réel des exploits accomplis dans celui de l’imaginaire : les Turcs sont partis sans demander leur reste. Quand on croit, tout est réalisable.Tournage cauchemardesque, budget explosé et échec cuisant au box office, Gilliam paye encore aujourd’hui les excès des Aventures du Baron de Münchausen. Pratiquement aucun projet personnel accepté par les studios depuis 20 ans : l’adaptation de Watchmen, envisagée dès le début des années 90, celle du roman De Bons présages de Neil Gaiman et Terry Pratchett ou encore Defective Detective, le film de science-fiction matiné de film noir écrit avec son ami Charles McKeown.

La mise en images des folies de Gilliam le visionnaire coûte cher et les studios ne sont plus du tout disposés à ouvrir les caisses au wonder boy déchu. Même s’il réalisera encore de grands films, jamais plus il ne retrouvera la verve, l’insouciance et la prise de risque de son cycle de l’imaginaire (Bandits, Bandits, Brazil et ce Münchausen. Le jeu en valait il la chandelle ? Oui, assurément, tant ce maëlstrom de visions folles hante encore les grands enfants rêveurs qui sommeillent en nous. Merci du voyage, Monsieur Gilliam !

Sorti dans une très belle édition collector anniversaire chez Sony avec notamment un making-of édifiant sur le cauchemar que fut le tournage. Et dire que Gilliam connaîtra pire encore par la suite...