Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 29 janvier 2016

La Femme modèle - Designing Woman, Vincente Minnelli (1957)

Michael Hagen, reporter sportif, et Marilla Brown, dessinatrice de mode, se marient sur un coup de tête, peu après leur rencontre. Les heureux époux découvrent assez rapidement qu'ils n'ont rien en commun. Marilla déteste le milieu de la boxe et Michael ne supporte pas les relations professionnelles de sa femme. L'exiguïté de son studio l'a conduit à emménager dans le luxueux appartement de son épouse. Il s'y sent très vite mal à l'aise.

Vincente Minnelli signe une de ses comédies les plus irrésistibles avec ce charmant Designing Woman. Le sujet est amené par Helen Rose, célèbre costumière de la MGM et collaboratrice régulière de Minnelli dont George Wells va tirer un scénario. L'histoire en conjuguant humour et timing de screwball comedy et la recherche esthétique de ses comédies musicales. Le scénario est une merveille dans la description de l'opposition des contraires à travers le couple formé par Gregory Peck et Lauren Bacall. Si l'ouverture avec les différents protagonistes se présentant face caméra annonce des évènements fâcheux, la romance initiale escamote astucieusement les différences entre le journaliste sportif Michael Hagen (Gregory Peck) et la dessinatrice de mode Marilla Brown (Lauren Bacall).

Le cadre idyllique de la Californie ensoleillée offre un arrière-plan radieux pour s'aimer, le jeu sur les ellipses (le séjour prolongé de Lauren Bacall qui ne peut plus quitter son homme), le sens du détail (Lauren Bacall et son appétit dévorant quand elle est amoureuse) et les idées narratives (la voix-off intérieure en contrepoint charmant trahissant leur émotion notamment Gregory Peck devinant les sentiments de Bacall après sa copieuse commande au restaurant) rendant touchante cette romance express aboutissant à un mariage improvisé.

Une fois le couple revenu dans son cocon New Yorkais, Minnelli va reprendre et décupler tous les éléments qui les ont réunis pour les faire s'affronter. Le déséquilibre sera graduel notamment par leurs classes sociales opposées, huppée pour Lauren Bacall et plus populaire avec Gregory Peck. L'appartement encombré de célibataire de Gregory Peck fait peine face à celui espacé et luxueux de Lauren Bacall, cette dernière sort horrifiée d'un match de boxe qu'il commente quand lui s'ennuiera ferme lors d'un de ses interminables défilé d mode. Quand les amis des uns et des autres cohabitent dans la même pièce, là encore l'effet comique naît de la partie de poker enfumée et macho de Peck face à la lecture de pièce de théâtre des amis artistes de Bacall. Minnelli amène cet entrechoquement des mondes par son jeu sur l'espace et la caractérisation, les artistes investissant progressivement la pièce (notamment avec l'excellent personnage de chorégraphe joué par Jack Cole) tandis que les gens du commun imposent les personnalités les plus grotesques comme l'attachant boxeur retiré Maxie Stultz (Mickey Shaughnessy).

L'explosion est pourtant à chaque fois évitée grâce aux sentiments du couple, en tout cas jusqu’à ce que la jalousie s’en mêle avec l’ex-petite amie Lori Shannon (Dolores Gray). La satisfaction et lâcheté ordinaire masculine ainsi que l'acuité féminine sont brillamment croqué par Minnelli dans ce jeu constant sur ce qui est pensé et montré. Peck aura beau feindre rencontrer pour la première fois Lori Shannon, Bacall a tout compris en un regard et une scène banale devient un génial moment de tension et de gêne. La psychologie très différente des sexes opposés revêt le même mordant lors d'un dialogue où Lauren Bacall mène la conversation vers des aveux possibles de Gregory Peck sur cette ancienne liaison, mas lui pensant au contraire que ce n'est certainement pas le moment de s'épancher.

Gregory Peck (qui obtint le rôle après le retrait de James Stewart et Cary Grant initialement envisagés) est excellent dans un registre comique pas si souvent exploité de sa part, détournant ce qui fait habituellement le charisme de ses personnages (la présence physique virile, le flegme, l'éloquence) pour devenir des tares témoignant de son incompréhension du psychisme féminin. De même Lauren Bacall (qui elle supplante une Grace Kelly fraîchement princesse ce qui lui vaudra la phrase She got the prince, I got the part) égratigne aussi l'image de séductrice glaciale qu'on lui connaît (mais loin d'être son seul registre), absolument craquante d'imperfection tant dans le registre énamouré que la jalousie et la mauvaise foi.

La mise en scène de Minnelli par son audace constante dynamise constamment le récit. Les trouvailles sont légions, dans le comique immédiat et franchement tordant (les lendemains de gueule de bois de Gregory Peck où le moindre bruit devient tonitruant) que dans une sorte de génie pour l'effet à retardement parfois inattendu ou d'autant plus hilarant parce qu'on l'a vu venir de loin (Gregory Peck trahi par un chien récalcitrant et une chaussure trouée). Le moment où Lauren Bacall démaque sa rivale en reconstituant sa silhouette par le souvenir d'une photo déchirée relève ainsi du pu génie renforcé par le jeu outré de l'actrice qui renforce la drôlerie de la scène.

L'intrigue policière bien intégrée à l'ensemble est néanmoins plus bancale mais elle conduit à un climax très réussi. Minnelli retrouve ses réflexes de comédie musicale dans la grande bagarre finale où non content de gérer parfaitement ses gags (Maxie Stultz boxant alliés comme ennemis sans distinction) il fait de la joute une véritable chorégraphie qui culmine avec l'arrivée du virevoltant danseur qui va corriger tout le monde dans un style comique et martial qui annoncerait presque les facéties d'un Jackie Chan. Un très bon moment donc, bourré de charme et mené tambour battant.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

mercredi 27 janvier 2016

Une femme cherche son destin - Now, Voyager, Irving Rapper (1942)

Dominée par une mère possessive, riche puritaine de Boston, Charlotte Vale est une jeune femme disgracieuse et renfermée sur elle-même. Dépressive, elle est soignée par le docteur Jaquith, célèbre psychiatre. Soutenue par son docteur et sa belle-sœur Lisa, Charlotte décide, après accord de sa mère, de suivre une analyse en maison de repos. Trois mois plus tard, Charlotte s’est métamorphosée en une femme élégante et séduisante. Pour parachever sa transformation et sa guérison, le docteur Jaquith et Lisa lui organisent une croisière en Amérique du Sud. Au cours du voyage, elle fait la connaissance de Jerry Durance, un voyageur solitaire, marié à une femme qui prétexte une mauvaise santé afin d’éviter que son mari la quitte.

Now, Voyager constitue une sorte d'apogée du règne de Bette Davis à la Warner, un mélodrame et Woman's Picture poignant et juste. Le film adapte un roman d’Olive Higgins Prouty et constitue la première production indépendante d'Hal Wallis pour la Warner. Le producteur hésite au départ entre Irene Dunne, Norma Shearer, et Ginger Rogers pour incarner l'héroïne, jusqu'à ce que Bette Davis jette son dévolu sur le rôle. On ne lui refuse rien au sein du studio à l'époque et elle obtiendra gain de cause après avoir milité avec force. A l'époque Bette Davis est fortement impliquée dans l'effort de guerre et est des plus actives pour collecter des fonds, cet engagement jouant aussi dans le choix de ses rôles avec cette série de grands mélodrames destinés à distraires les femmes esseulées dont les époux étaient au front. Captivée par le rôle, son investissement dans Now Voyager va même plus loin, supervisant autant les éléments (comme la garde-robe) qui concerne son personnage que le casting de ses partenaires et leur look. Elle façonnera ainsi l'allure modeste de Paul Henreid après des premiers essais où elle trouvait les choix pour son look trop tapageur.

Charlotte (Bette Davis) est une vieille fille brimée par une mère abusive dont le mal-être rejaillit sur son allure craintive et négligée (Bette Davis ayant eu la main lourde avec robe de godiche, lunettes à double foyer et sourcils proéminent). Le docteur Jaquith (Claude Rains) en charge de soigner sa dépression va lui redonner confiance au sein de sa clinique, l'embellie mentale se reflétant sur son physique et pour parachever la thérapie elle fera un voyage seule en Amérique du Sud. La rencontre avec Jerry Durrance (Paul Heinreid) va faire de la vieille fille une femme accomplie et amoureuse au cours du périple, même s'il est marié. Le début du film fait un peu peur avec l'accoutrement grossier de Bette Davis mais dès que le voyage en Amérique du Sud se lance, la magie ne s'interrompra plus. Irving Rapper procède par de constant effet de miroir pour exprimer l'état d'esprit tourmenté de Charlotte et son rapport au regard des autres.

Cela fonctionnera par le dialogue (les remarques moqueuses de la nièce qui enfonce Charlotte plus bas que terre dans un champ contre champ humiliant) ou la narration avec un flashback douloureux où un premier amour lui est arraché par sa mère. Cela s'exprime aussi visuellement avec ces mouvements de caméra dévoilant le conscient (le panoramique où elle regarde son visage élégant et métamorphosé dans le reflet d'une vitre) et l'inconscient avec les nuits agitées de Charlotte aspirant à autre chose là aussi passant par un panoramique allant de son lit à la fenêtre. La plus belle manifestation de ce thème fonctionnera bien sûr par la romance avec Jerry dont les regards aimant contribuent à l'épanouissement de Charlotte, Bette Davis au-delà de la transformation physique s'illuminant littéralement par cet amour naissant.

L'attitude gauche, le regard fuyant et les airs gênés source d'humiliation au départ prennent un tour très touchant car s'estompant pour traduire l'assurance croissante par les sentiments. On a ainsi de très belles séquences romantiques superbement filmées comme cette nuit brésilienne toute en tendresse contenue ou cette scène mythique (et maintes fois copiées comme plus tard dans La Colline de l'adieu (1955) d'Henry King) où Jerry Allume deux cigarettes pour en donner une à Charlotte.

La dernière partie montrera Charlotte désormais suffisamment forte pour tenir tête à sa mère (Gladys Cooper génialement détestable et acariâtre), mener sa vie avec indépendance et exprimer un amour interdit et impossible en étant capable à son tour d'aider une âme en détresse. Irving Rapper amène ce glissement avec un lyrisme ténu, sans dramatisation outrancière (voir le sobre décès de la mère) et tenant son récit au rythme de l'âme désormais apaisée de Charlotte notamment ponctué par un final superbe et tout en délicatesse.

Sorti en dvd zone 1 chez Warner et doté de sous-titres français 

lundi 25 janvier 2016

Jeanne d'Arc - Joan of Arc, Victor Fleming (1948)

Jeanne D’Arc est l’avant-dernier film hollywoodien (le dernier étant Les Amants du Capricorne d’Alfred Hitchcock) d’Ingrid Bergman avant ses aventures cinématographiques et sentimentales en Italie aux côtés de Roberto Rossellini. Même si c’est bien le scandale de cette liaison avec Rossellini qui provoquera son bannissement d’Hollywood, ce départ arrivait à point nommé tant Ingrid Bergman accomplissait là un rêve longtemps poursuivit en interprétant à l’écran la Pucelle d’Orléans. A son arrivée aux Etats-Unis, David O. Selznick lui fit miroiter en vain cette possibilité lorsqu’il l’engagea pour un contrat de sept ans mais soi en proie à des difficultés financières, soit par mauvaise volonté, le projet ne vit jamais le jour. La dimension d’icône religieuse et historique n’était pas le principal attrait d’Ingrid Bergman pour Jeanne D’Arc mais plutôt celle féministe voyant à force de volonté une jeune paysanne illettrée se faire une place emblématique dans un monde d’hommes. 

La star en imaginait un parallèle à son propre parcours où d’une enfance chaotique dans sa Suède natale elle se hisserait au rang des plus grande stars hollywoodiennes par son abnégation. Ingrid Bergman avait rongé son frein en interprétant Jeanne d’Arc sur scène d'après la pièce Joan of Lorraine de Maxwell Anderson et une fois libérée de son contrat avec David O. Selznick elle tentera d’en monter une adaptation cinématographique sur son nom. La société de production Sierra Pictures sera spécialement créée pour l’occasion et Ingrid Bergman sollicite Victor Fleming à la réalisation, lui qui fut le premier à la sortir de ses emplois habituels de personnages victime dans  Docteur Jekyll et M. Hyde (1941).

Le scénario (coécrit par Maxwell Anderson lui-même) joue essentiellement sur la facette de sainte immaculée de Jeanne d’Arc, son ouverture sur une nuée de cloche puis les vues de fresque religieuse sur fond de voix-off pieuse annonçant le ton du récit. L’ensemble du film aurait plutôt tendance à évoquer les atmosphères exaltée que l’on trouve dans le péplum biblique, pas encore complètement revenu en grâce à Hollywood (ce sera pour la décennie suivante et les besoin en spectaculaire du cinémascope) mais dont on retrouve une certaine grandiloquence ici à travers la musique de  Hugo Friedhofer gorgée de chœurs  célestes ainsi que par le jeu hébété d’une partie du casting. Il suffirait d’un rien pour que le film cède au kitsch mais le but de Victor Fleming est justement d’équilibrer le film entre emphase extatique et facteur humain. C’est paradoxalement par l’illustration de Jeanne d’Arc que naît cette facette plus fragile qui crée la proximité plutôt que la distance avec l’icône. Les voix appelant Jeanne vers sa glorieuse destinée n’existent que par l’émotion qu’elles éveillent chez la jeune fille et c’est sa détermination à suivre leurs échos qui les rendent réelles. 

Tout en affirmant la piété de son héroïne, Fleming dévoile son courage et son audace dans une veine intime. Ainsi le contexte géopolitique d’une France à l’agonie ne se découvre qu’à travers le regard de Jeanne, connaissant son avenir depuis longtemps sans oser y souscrire (par peur comme par respect de sa famille) et qui décidée à obéir à l’appel quand elle entendra la situation catastrophique d’Orléans, dernier bastion français face à l’envahisseur anglais. La parole et la croyance de celui qui en use fait foi, nul besoin de visions de désolations pour comprendre que le pays souffre, le tourment et la souffrance de Jeanne est celle de la France. C’est cette foi ardente permet à Jeanne de faire vaciller la décision d’un pouvoir corrompu (José Ferrer en Charles VII tour à tour cynique et convaincu), de susciter le respect d’une armée démobilisée et enfin d’éveiller l’amour de tout un peuple pour lequel elle ravive l’espoir de jours meilleurs.

Victor Fleming trouve constamment le ton juste entre l’ampleur croissante de l’aura de Jeanne et le caractère humble de celle-ci. Durant la scène où elle va à la rencontre de Charles VII, le travelling n’accompagne que son mouvement parmi les silhouettes anonymes des courtisans jusqu’à la découverte du souverain. Ce dernier, caché dans l’assemblée comme face à ses responsabilités envers la France est ainsi mis à nu et ne pourra qu’acquiescer aux désirs de Jeanne. Un même travelling arrière la figera dans un tableau en mouvement lorsqu’elle exhortera les soldats à une plus vertu qui fera d’eux une armée sainte. Cette nature d’emblème divin d’une cause juste s’affirmera avec plus de force encore durant les scènes de guerre. Jeanne se distingue sur le champ de bataille par son armure à l’éclat immaculé et portant haut l’étendard, n’ayant de guerrière que l’allure mais incarnant surtout un symbole galvanisant les troupes et effrayant l’ennemi. 

Le scénario s’écarte des interprétations faisant de Jeanne une combattante (d'où par exemple l'absence d'un évènement historique capital comme la Bataille de Patay) et privilégie une fois de plus son aura et sa parole, la simple présence dans ce carnage suffisant à exprimer le courage de cette frêle jeune femme. Victor Fleming privilégie une esthétique évocatrice plutôt qu’une vraie grande bataille spectaculaire. Les ciels rougeoyant, les compositions de plan et cadrages évoquent parfois son Autant en emporte le vent mais accentuent surtout la théâtralité des évènements en cours dans une approche qui annonce le Excalibur (1981) de John Boorman. Seule le dernier « tableau » du désintérêt pieux de Jeanne sera perverti lors du couronnement de Charles VII. Fleming compose une fresque somptueuse avec ce décor d’église extraordinaire mais cette fois la pureté de Jeanne la perd : tandis qu’elle se jette aux pieds de son roi, celui-ci envieux n’a d’yeux que pour la foule qui scande le nom de Jeanne. Les renoncements et trahisons à venir s’annoncent dans ce qui est pourtant l’apogée de l’épopée de Jeanne.

Après avoir réussi à imposer sa foi à un monde perverti durant la première partie, Jeanne devra la maintenir vivace lorsqu’elle se trouvera à la merci de l’ennemi anglais, vendue par les bourguignons. La dernière partie dépeint ainsi le long et arbitraire procès qui aboutira à la mise au bûcher de Jeanne. Ce passage est certes intéressant – et suit vraiment fidèlement la chronologie et le détail des évènements - quant à sa description de la perversion religieuse sur l’autel de la politique le sujet mais sera traité avec bien plus d’acuité plus tard avec Les Diables (1971) de Ken Russell. Ce qui intéresse ici c’est toujours Jeanne qui ne pouvant pas convaincre, doit résister, sûre des convictions et du Dieu qui l’ont conduite à toute ses épreuves. Fleming avait réussi sous les exploits à maintenir cette fragilité signe d’espoir et de réserve, et l’émotion n’en sera que plus forte face à l’oppression physique et psychologique des anglais. 

C’est cette fois en la figeant au centre du cadre, en la scrutant en légère plongée que Fleming lui donne une grandeur à la fois divine et humaine alors qu’elle est la plus vulnérable. Sa volonté vacille, la faisant redevenir une jeune fille ayant peur de mourir et perdue dans le silence où l’on abandonnée les voix. C’est une passionnante et subtile confrontation au doute (que Luc Besson tentera avec moins de finesse d’exprimer aussi dans sa version où il place Jeanne face à sa conscience), une mise à l’épreuve qui fera comprendre son rôle à Jeanne. C’est par son sacrifice qu’elle deviendra une adversaire indestructible, scrutant l’ennemi du haut des cieux qu’elle s’apprête à rejoindre. Fleming une fois de plus oscille entre grandiloquence (où les chœurs s’emballent, le peuple se lamente et les cieux s’entrouvrent) et le visage calme de Jeanne face aux flammes montantes du bûcher. Cette volonté de grandeur se devine d'ailleurs par la trame fidèle à la grande Histoire mais qui en omet les échecs (la série de défaite de Paris à Compiègne qui conduit à l'arrestation quasiment éludé).

Ni vraiment spectaculaire, ni réellement intimiste, le film divisera grandement à sa sortie. Ingrid Bergman habitée comme jamais se montrera déçue par ce film trop longtemps fantasmé mais cela viendra sans doute plus du souvenir de la romance tumultueuse - et expliquant l’intensité à fleur de peau de son interprétation -  entretenue durant le tournage avec un Victor Fleming dont ce sera le dernier film - il décède d’une crise cardiaque deux mois après la sortie. Après une première mitigée, un remontage amputera le film de 40 minutes (il ne sera restauré qu’en 1998) mais rien n’y fera même si le film ne sera pas un total échec financier. Ingrid Bergman s’affirmera comme femme libre de ses choix par son aventure avec Roberto Rossellini mais l’association du public avec son personnage n’en rendra que plus forte la vindicte morale. C’est pourtant bien par cette dualité entre sainte icône et adolescente chétive qu’elle offre une des plus fascinantes Jeanne d’Arc de l’histoire du cinéma. 

Sorti en dvd zone 2 français à l'Atelier du film

samedi 23 janvier 2016

Histoire de trois amours - The Story of Three Loves, Gottfried Reinhardt et Vincente Minnelli (1953)

À bord d'un paquebot, des passagers se remémorent leur plus grande histoire d'amour...

The Story of Three Loves est un charmant film à sketches où se dessine trois visages de l'amour tour à tour tragique, éphémère, dangereux et rehaussé par le faste de la MGM dans un somptueux et dépaysant (Londres, Rome et Paris) écrin romantique.

The Jealous Lover de Gottfried Reinhardt

Charles Coudray, directeur d'un célèbre corps de ballet et passager d'un paquebot voguant sur l'océan, revoit sa douloureuse histoire d'amour à Londres : pourquoi n'a-t-il mis qu'une seule fois en scène son chef-d'œuvre Astarte ?

Un premier sketch sur lequel plane l'ombre des Chaussons Rouges (1948) de Michael Powell et Emeric Pressburger. La présence de Moira Shearer en danseuse étoile contribue bien sûr à l'analogie mais aussi le thème de l'histoire avec une héroïne déchirée entre sa vocation et une existence ordinaire. Quand Powell et Pressburger en faisait un enjeu existentiel, le scénario y ajoute un élément plus concret avec la jeune Paula Woodward (Moira Shearer) contrainte de renoncer à la danse à cause d'un problème cardiaque. Assistant nostalgique à un ballet du célèbre directeur Charles Coudray (James Mason), elle s'attarde pour exécuter quelques figure après le spectacle et attire l'attention de ce dernier. Un segment captivant qui sonne comme le rendez-vous manqué entre la muse et son pygmalion. La romance s'amorce et se conclut tragiquement alors que les protagonistes se subjuguent mutuellement.

Paula revit à travers l'intérêt et le regard exalté de Charles, lui faisant la démonstration de son talent au péril de sa vie. Un don de soi que ressent Charles captivé et on devine que le lien naissant sera bien lus qu'artistique. Moira Shearer intense et effectuant chaque pas comme s'il était le dernier est fabuleuse d'intensité dans le geste et l'interprétation et Gottfried Reinhardt (fils de Max Reinhard et qui devait en connaître sans doute un lot sur la mise en valeur scénique) capture magnifiquement par le montage et sa mise en scène le lien profond se créant entre regardant et regardée : impossible de s'arrêter pour elle et de décrocher le regard pour lui. La chorégraphie de Frederick Ashton exprime bien cette dimension de grâce et de tragédie dans le décor presque hors du temps de la demeure de James Mason. Malgré le côté redite en format court des Chaussons Rouges une belle réussite qui frustre même pas sa conclusion abrupte.


Mademoiselle de Vincente Minnelli

Une gouvernante française, Mademoiselle, se remémore son étrange romance. La riche famille Clayton Campbell, séjournant à Rome, lui a confié l'éducation de leur jeune fils Tommy âgé d'une douzaine d'années. Mademoiselle s'applique à apprendre le français et la poésie à son élève récalcitrant, mais rêve de rompre son monotone quotidien d'enseignante ne serait-ce que pour quelques heures. Madame Pennicott, une dame âgée qui n'est autre qu'une sorcière, a reçu le souhait de Tommy aspirant à devenir rapidement adulte.

 Ce deuxième sketch laisse à Vincente Minnelli la possibilité d'exprimer son attrait pour le conte avec ce Cendrillon au masculin. Jeune garçon insensible à la douceur et l'âme romantique de sa gouvernante française Mademoiselle (Leslie Caron), Tommy (Rick Nelson) n'aspire qu'à devenir adulte pour faire ce qui lui plaît. Une étrange sorcière (Ethel Barrymore) va exaucer son vœu et une fois adulte (sous les traits du beau Farley Granger) il va succomber à des émotions nouvelles en tombant amoureux de Mademoiselle le temps d'une nuit.

Minnelli filme une délicieuse rêverie, pleine d'urgence et de candeur où une Rome de studio brille de mille feux pour accompagner cette brève romance. La caméra aérienne et les idées visuelles en pagaille marque la rétine avec ce panoramique dévoilant la transformation de Tommy où le mouvement de grue nous introduisant dans l'histoire. Farley Granger, gauche et dépassé est très attachant, tout comme une Leslie Caron à croquer de candeur juvénile tandis qu'un scénario astucieux revisite les motifs de conflit entre l'enfant et sa gouvernante pour en faire ceux du rapprochement des deux amoureux comme l'utilisation (et la prononciation) du mot "suspendu" en français. Un petit bijou là aussi un peu frustrant, une telle histoire avait le potentiel pour un film à part entière.


Equilibrium de Gottfried Reinhardt

Accoudé sur une rampe du paquebot, Pierre Narval se souvient de son histoire d'amour à Paris. Acrobate, il s'est retiré du métier après le décès de son partenaire au cours d'un numéro de trapèze et dont il se sent responsable. Il sauve de la noyade Nina Burkhart, une jeune femme italienne qui a voulu se suicider en se jetant du haut d'un pont.

 Un dernier sketch qui se déleste de l'imagerie féérique des deux précédents, l'émerveillement venant des prouesses physiques des protagonistes. Sauvant du suicide la jeune italienne Nina (Pier Angeli), le trapéziste Pierre Narval (Kirk Douglas) voit en elle la partenaire idéale à ses numéros. Retiré du métier suite à un drame, il voit en cette jeune femme dépressive ne craignant pas la mort celle qui ne cèdera pas à ses émotions dans les airs. Pourtant en se découvrant une culpabilité commune face à un passé tragique, c'est précisément leurs sentiments naissants et la confiance qui en découle qui rendra leur duo fusionnel. Le film est vraiment impressionnant dans ses numéros de voltige, si Pier Angeli semble constamment doublée par contre Kirk Douglas (hormis des plans d'ensemble plus lointain et dangereux) donne vraiment de sa personne avec brio.

Peu d'artifices narratifs ou d'ornement musical pour ce sketch, Gottfried Reinhardt cherchant à faire partager le détachement des personnages et décrivant méticuleusement le processus d'apprentissage du trapèze. L'alchimie entre un intense Kirk Douglas et une Pier Angeli plus flottante fait passer subtilement l'émotion (la vraie romance des deux en coulisse se ressentant) qui culmine dans le lâcher prise d'un ultime numéro vertigineux. Comme les deux autres segments il y avait matière à un long mais ce sketch bien construit ne laisse pas le petit sentiment d'inachevé des deux autres. Un beau film à sketch à l'esthétique chatoyante qui lui vaudra d'ailleurs une nomination aux Oscars pour sa direction artistique.

Sorti en dvd chez Warner dans la collection Warner Archives sans sous-titres 

jeudi 21 janvier 2016

Le Portrait de Jennie - Portrait of Jennie, William Dieterle (1948)

Eben Adams (Joseph Cotten) est un peintre fauché qui rencontre Jennie (Jennifer Jones), une petite fille dans Central Park portant des vêtements d'un autre âge. De mémoire, il fait d'elle un beau croquis qui impressionne ses marchands d'art. Cela lui inspire un portrait - le "Portrait Of Jennie". La revoyant grandie, il s'éprend alors de celle qui semble n'être qu'une apparition appartenant au passé...

Autant en emporte le vent (1939) s’était avéré un triomphe artistique, commercial et personnel grandiose pour David O. Selznick. Le producteur prenait là une éclatante revanche sur  l’industrie qui rejeta son père Lewis J. Selznick, célèbre distributeur dont la faillite freina sa progression. Cette volonté de redorer le blason de son nom (auquel il ajouterait ce fameux O. si aristocratique) guiderait David O. Selznick dont le talent allait passer par la MGM, la RKO ou Paramount où il produirait de grands films (King Kong (1933), la première version de Une étoile est née (1937)) tout en dévoilant son goût pour la grande adaptation littéraire et le récit romanesque (Le Marquis de Saint-Evremond (1935) réalisé par Jack Conway et adapté de Dickens, Anna Karenine (1935) de Clarence Brown d’après Tolstoï…). Cette ambition folle et ce gout de la démesure atteindrait donc des sommets avec Autant en emporte le vent où, devenu producteur indépendant avec la Selznick International Pictures, il épuiserait trois réalisateurs (George Cukor, Victor Fleming et Sam Wood) au terme d’un tournage épique mené un le perfectionnisme et la tyrannie d’un général. Vrai auteur du film en définitive, ce succès serait avant tout le sien.

 Au terme de cet exploit et après une ultime réussite avec Rebecca (1940) récompensé de l’Oscar du meilleur film, O. Selznick prendra de longs congés pour ne revenir à la production qu’en 1944. Ce retour sera marqué par une seule et unique obsession, réitérer le succès d’Autant en emporte le vent. La force du film reposait sur un équilibre ténu entre la puissance évocatrice du film faisant passer ce romanesque par une imagerie grandiose et l’histoire d’amour tumultueuse dont les surprenants élans de cruautés contredisaient les canons romantiques. Cet équilibre ne serait jamais complètement retrouvé dans ses productions suivantes pour donner nombre de films inclassables. L’atmosphère intimiste des homefront Depuis ton départ (John Cromwell, 1944) et Étranges Vacances (William Dieterle, 1945) se laisse par moment déborder par ce goût de l’emphase (la somptueuse scène de bal du film de Cromwell) et Duel au soleil (King Vidor, 1946) poussera tous les curseurs de la grandiloquence, de la passion brutale et vénéneuse ainsi que de l’érotisme exacerbé dans une épopée pleine de bruit et de fureur - à l’écran comme en coulisse avec là aussi trois réalisateurs exploités puisque William Dieterle et  Josef von Sternberg participèrent après le départ de King Vidor - au Technicolor incandescent. O. Selznick y ferait de sa future épouse Jennifer Jones une icône tout en s’attirant les foudres la censure pour un nouveau grand succès.

Si dans Duel au soleil le couple Gregory Peck/Jennifer Jones décuple les outrances de Rhett Butler/Scarlett O’Hara, un autre plus apaisé s’esquisse entre Joseph Cotten et Jennifer Jones. L’année précédente et prêté à la Paramount par O. Selznick, les deux acteurs avaient été réunis devant la caméra de William Dieterle dans le superbe mélodrame Love Letters (1945). Obsession amoureuse pour un personnage irréel/disparu, romantisme tortueux et baigné de psychanalyse, divers éléments que l’on verra dans Le Portrait de Jennie produit par O. Selznick se retrouvent déjà dans Love Letters. Le producteur apprécie l’alchimie des deux stars (qui s’étaient néanmoins croisées dans Depuis ton départ) en tant que couple et les exploitera à nouveau de ce registre. Le film est aussi la découverte du jeu fiévreux et sensuel de Jennifer Jones alors que ses premiers rôles importants (Le Chant de Bernadette (1943) et Depuis ton départ) ne le laissaient pas deviner et là aussi largement exploité par la suite par O. Selznick et d’autres grand réalisateurs.

Le Portrait de Jennie adapte le roman éponyme de Robert Nathan paru en 1940, un récit de fantôme bref et fragile auquel O. Selznick va pourtant conférer la forme grandiloquente de Duel au Soleil et Autant en emporte le vent. Tout en conservant la dimension psychanalytique de Love Letters, William Dieterle fait baigner cette ampleur supposé inappropriée pour le récit intimiste de Robert Nathan à une veine éthérée à souhait. Les premières images donnent le ton avec une vision céleste et aérienne où la caméra traverse les nuages avant de nous dévoiler une perspective irréelle des cieux tandis qu'en voix off sont déclamés ces vers de John Keats :

Who Knoweth If To Die
Be But To Live...
And That Called Life
By Mortals
Be But Death? »
Beauty is truth, truth beauty, that is all ye know on earth, and all ye need to know

Cette voix-off lourde de sens et déclamant des questionnements abstraits sur la relativité du temps prend bientôt les intonations plus humaines du personnage d’Eben Adams (Joseph Cotten). Peintre sans le sous qui survit en écoulant péniblement quelques tableaux, il est moins rongé par cette existence misérable que par l’absence d’âme, de la flamme qui manque dans ses œuvres à la technique pourtant assurée. Tout change lorsqu'il fait la rencontre de Jennie (Jennifer Jones), étrange petite fille dont les références et les vêtements évoquent une autre époque. L'échange est aussi bref que magique et Jennie après lui avoir fait promettre de ne pas l'oublier et d'attendre qu'elle grandisse disparaît mystérieusement de la vue d’Eben Adams mais certainement pas de son esprit pour alimenter son art. Le film joue ainsi constamment de cette interrogation, Jennie est-elle une création issue de l'esprit de Cotten afin de lui donner inconsciemment l'étincelle créatrice ou alors une réelle apparition surnaturelle ayant traversée le temps, l'espace ou l'au-delà pour vivre une déroutante passion ? Le mystère reste entier notamment grâce à l'incroyable réussite esthétique du film.

Tout semble véritablement se dérouler dans un rêve éveillé y compris dans les séquences dénuées de surnaturel, et lorsque celui-ci se manifeste l'éblouissement et l'envoûtement se fait constant. Dans son premier film hollywoodien Le Songe d’une nuit d’été (1935), William Dieterle avait su le temps de quelques séquences grandioses dépeindre la bascule dans la féérie au sein de la forêt où se déroule l’intrigue de Shakespeare. Il réitère l’exploit ici dans un cadre urbain avec une ville de New York comme on l’a rarement dépeinte au cinéma - et pour l’essentiel vraiment tourné en extérieur. La ville semble constituer une dimension parallèle entre le passé dont est issue Jennie et le présent où l’attend Eben, l’esthétique vaporeuse donnant l’étrangeté du songe à l’ensemble du récit. Cette volonté se ressent d’ailleurs avec cette absence de générique inhabituelle à l’époque qui nous introduit justement à l’histoire avec cette même impression de se raccrocher à une rêverie en cours.

Chaque moment précédent les apparitions de Jennie nimbent l’esthétique du film de cette approche de tableau en mouvement. Lors de première rencontre à Central Park, la nuit s’éclaire avec l’allure encore enfantine de Jennie qui se distingue au loin tandis que la caméra est recouverte de tulle qui donne à l’image une texture de tableau, comme pour imperceptiblement lié à l’art la nature du personnage.Les entrevues du couple sont nimbées d'une photo d'un blanc de plus en plus immaculé au fil de l'avancée du récit, rendant irréel l’urbanité où les apparitions de Jennie forment cette fois une ombre entêtante focalisant le regard cet éclat aveuglant. Dieterle conjugue ainsi ces apparitions à l’état d’esprit d’Eben.

Lors de la première rencontre nocturne, elle avait été la lueur dans la torpeur de son existence tandis que la seconde vision avec cette silhouette surgissant de la pâleur hivernale semble être une réponse à l’attente désormais insoutenable d’Eben de la retrouver. Lorsqu’ils se retrouveront plus tard au couvent où a séjourné Jennie, c’est ce halo diaphane qui dominera l’imagerie élégiaque du récit, tout s’harmonisant entre l’âge de Jennie et Eben mais aussi dans cet équilibre entre rêve et réalité. Joseph August (habitué de Dieterle puisque à l'œuvre sur son Quasimodo et Tous les biens de la terre) offre une photo stylisée où à presque chaque plan se ressent un désir de composer un tableau en mouvement, de marquer la rétine. L’onirisme et la flamboyance visuelle atteignent leur sommet lorsque Eben cherche enfin à capturer son amour de Jennie en peinture, la proximité de la muse et du créateur accompagnant avec grâce la passion amoureuse des amants.

L'interprétation habitée des deux acteurs joue grandement aussi sur la puissance émotionnelle du récit, sans quoi la réussite serait uniquement plastique. Joseph Cotten prolonge ces personnages désabusés de Étranges Vacances avec ce peintre taciturne transfiguré par l’amour et offre l'une de ses prestation les plus habitées. Et que dire de Jennifer Jones, tour à tour gamine espiègle, adolescente passionnée et amoureuse transie dont l’intensité des sentiments contrebalance constamment avec la facette rêvée que lui confère la mise en image. Jennifer Jones par son interprétation sensible et étrange fait de l’héroïne une figure aussi proche que lointaine, aussi charnelle qu’irréelle. La bande-son ponctue ces aspects enfantins et insaisissables par la comptine issue du livre Where I came from, nobody knows, and where I am going everyone goes. Brillamment mise en musique par Bernard Herrmann, elle s’intègre parfaitement au magnifique score d’un Dimitri Tiomkin qui réorchestre plusieurs pièces musicales de Debussy comme Prélude à l'après-midi d'un faune.

William Dieterle en liant constamment sa mise en scène aux élans de ses amoureux fait parvient à faire de cette extravagance esthétique un élément inhérent au récit et pas un élément le rendant hypertrophié. Les interrogations existentielles de la scène d’ouverture trouvent en somme des éléments tangibles auxquels se raccrocher avec cette romance déroutante et à la sophistication des images répond une tonalité apaisée qui change du tumulte habituel attendu avec une production O. Selznick. La facette surnaturelle évite les soubresauts relationnels bien humains mais exacerbés d’Autant en emporte le vent et Duel au soleil mais, figée dans cette béatitude hors du temps la romance est condamnée. C’est quand cette issue se fera de plus en plus inéluctable que le film perdra de cette atmosphère flottante.

Cela se fera dans une démarche paradoxale où Dieterle dépouille les environnements tout en chargeant primitivement l’image désormais nimbée de teintes de couleur - August usa d’ailleurs de lentilles de caméra issue du muet. Le souvenir d’une tempête, d’une île et d’un phare ayant jeté le seul voile d’inquiétude dans la présence lumineuse de Jennie, Eben va comprendre où il doit se rendre pour ne pas perdre son aimée. Les éléments se déchaînent dans un morceau de bravoure où la virtuosité technique est guidée par une puissance romanesque qui ose enfin le chaos. En tentant de se confronter au réel, Eben et Jennie réveillent les forces inconnues qui les ont unis en dépit du temps et de l’au-delà, le destin cherchant à les séparer se présentant sous la forme d'un titanesque raz de marée.

L’art et l’amour auront été intrinsèquement liés tout au long du récit par les choix esthétiques du film. C’est cette facette qui, au-delà des éléments scénaristiques disséminés (l’explication du foulard) donnera sa véracité à l’histoire. Le portrait de Jennie enfin achevé est magnifié en Technicolor dans la dernière scène, la fascination et le pouvoir évocateur qu’il dégage ne pouvant être né d’une émotion bien réelle. La bizarrerie du film en causera pourtant l’échec à sa sortie, mais aujourd’hui on peut estimer qu’il trône fièrement dans ce registre de la romance surnaturelle aux côtés d’un Peter Ibbetson ou Pandora

Sorti en bluray chez Carlotta