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mercredi 27 janvier 2016

Une femme cherche son destin - Now, Voyager, Irving Rapper (1942)

Dominée par une mère possessive, riche puritaine de Boston, Charlotte Vale est une jeune femme disgracieuse et renfermée sur elle-même. Dépressive, elle est soignée par le docteur Jaquith, célèbre psychiatre. Soutenue par son docteur et sa belle-sœur Lisa, Charlotte décide, après accord de sa mère, de suivre une analyse en maison de repos. Trois mois plus tard, Charlotte s’est métamorphosée en une femme élégante et séduisante. Pour parachever sa transformation et sa guérison, le docteur Jaquith et Lisa lui organisent une croisière en Amérique du Sud. Au cours du voyage, elle fait la connaissance de Jerry Durance, un voyageur solitaire, marié à une femme qui prétexte une mauvaise santé afin d’éviter que son mari la quitte.

Now, Voyager constitue une sorte d'apogée du règne de Bette Davis à la Warner, un mélodrame et Woman's Picture poignant et juste. Le film adapte un roman d’Olive Higgins Prouty et constitue la première production indépendante d'Hal Wallis pour la Warner. Le producteur hésite au départ entre Irene Dunne, Norma Shearer, et Ginger Rogers pour incarner l'héroïne, jusqu'à ce que Bette Davis jette son dévolu sur le rôle. On ne lui refuse rien au sein du studio à l'époque et elle obtiendra gain de cause après avoir milité avec force. A l'époque Bette Davis est fortement impliquée dans l'effort de guerre et est des plus actives pour collecter des fonds, cet engagement jouant aussi dans le choix de ses rôles avec cette série de grands mélodrames destinés à distraires les femmes esseulées dont les époux étaient au front. Captivée par le rôle, son investissement dans Now Voyager va même plus loin, supervisant autant les éléments (comme la garde-robe) qui concerne son personnage que le casting de ses partenaires et leur look. Elle façonnera ainsi l'allure modeste de Paul Henreid après des premiers essais où elle trouvait les choix pour son look trop tapageur.

Charlotte (Bette Davis) est une vieille fille brimée par une mère abusive dont le mal-être rejaillit sur son allure craintive et négligée (Bette Davis ayant eu la main lourde avec robe de godiche, lunettes à double foyer et sourcils proéminent). Le docteur Jaquith (Claude Rains) en charge de soigner sa dépression va lui redonner confiance au sein de sa clinique, l'embellie mentale se reflétant sur son physique et pour parachever la thérapie elle fera un voyage seule en Amérique du Sud. La rencontre avec Jerry Durrance (Paul Heinreid) va faire de la vieille fille une femme accomplie et amoureuse au cours du périple, même s'il est marié. Le début du film fait un peu peur avec l'accoutrement grossier de Bette Davis mais dès que le voyage en Amérique du Sud se lance, la magie ne s'interrompra plus. Irving Rapper procède par de constant effet de miroir pour exprimer l'état d'esprit tourmenté de Charlotte et son rapport au regard des autres.

Cela fonctionnera par le dialogue (les remarques moqueuses de la nièce qui enfonce Charlotte plus bas que terre dans un champ contre champ humiliant) ou la narration avec un flashback douloureux où un premier amour lui est arraché par sa mère. Cela s'exprime aussi visuellement avec ces mouvements de caméra dévoilant le conscient (le panoramique où elle regarde son visage élégant et métamorphosé dans le reflet d'une vitre) et l'inconscient avec les nuits agitées de Charlotte aspirant à autre chose là aussi passant par un panoramique allant de son lit à la fenêtre. La plus belle manifestation de ce thème fonctionnera bien sûr par la romance avec Jerry dont les regards aimant contribuent à l'épanouissement de Charlotte, Bette Davis au-delà de la transformation physique s'illuminant littéralement par cet amour naissant.

L'attitude gauche, le regard fuyant et les airs gênés source d'humiliation au départ prennent un tour très touchant car s'estompant pour traduire l'assurance croissante par les sentiments. On a ainsi de très belles séquences romantiques superbement filmées comme cette nuit brésilienne toute en tendresse contenue ou cette scène mythique (et maintes fois copiées comme plus tard dans La Colline de l'adieu (1955) d'Henry King) où Jerry Allume deux cigarettes pour en donner une à Charlotte.

La dernière partie montrera Charlotte désormais suffisamment forte pour tenir tête à sa mère (Gladys Cooper génialement détestable et acariâtre), mener sa vie avec indépendance et exprimer un amour interdit et impossible en étant capable à son tour d'aider une âme en détresse. Irving Rapper amène ce glissement avec un lyrisme ténu, sans dramatisation outrancière (voir le sobre décès de la mère) et tenant son récit au rythme de l'âme désormais apaisée de Charlotte notamment ponctué par un final superbe et tout en délicatesse.

Sorti en dvd zone 1 chez Warner et doté de sous-titres français 

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