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dimanche 10 août 2025

Bona - Lino Brocka (1980)

Jeune fille issue de la classe moyenne philippine, Bona a cessé de fréquenter le lycée. Elle préfère suivre Gardo, acteur second couteau sur des films à petit budget. Son attitude finit par exaspérer son père, qui la met dehors. Bona part s’installer chez Gardo. Alors qu’elle pense pouvoir enfin vivre une histoire d’amour avec lui, la jeune fille devient sa bonne à tout faire, obligée de supporter le défilé incessant de ses nombreuses conquêtes…

Les héros de Lino Brocka sont souvent à la poursuite d’un idéal leur permettant de transcender leur condition, d’échapper à un environnement sinistre. Cela peut reposer sur un lieu dans Manille (1975), une liaison amoureuse/sexuelle avec Insiang (1976), une communauté dans Bayan Ko (1984), avec toujours au bout du chemin de terribles désillusions et souffrances. Bona exploite ce leitmotiv sur un mode plus minimaliste et insaisissable. La jeune Bona (Nora Aunor) n’est pas en quête d’une meilleure condition sociale, mais d’un rêve, d’une illusion représentée par Gardo (Phillip Salvador), acteur de seconde zone qu’elle suit sur ses tous ses tournages. Elle n’est qu’une parmi d’autres au sein d’un foyer familial qui la contraint, elle aspire à être celle qui compte pour Gardo. Un concours de circonstances l’amène à s’immiscer dans l’intimité de son idole, un cadre où elle cherchera à se maintenir, à n’importe quel prix.

Lino Brocka dépeint un conditionnement mental et structurel à la soumission pour les jeunes femmes Philipines. Bona fuit le conditionnement structurel trop normé de la famille, fonctionnant sur les invectives voire les coups du père, la limitant à l’espace du foyer et l’assignant aux tâches ménagères. A l’inverse Bona s’abandonne au conditionnement mental exercé par son admiration pour Gardo, pour finalement aboutir au même résultat servile. Elle s’est extirpée d’un environnement dont elle refusait les diktats pour les embrasser pleinement dans un autre ne réclamant pas sa présence. Ce conditionnement fonctionne également sur les hommes, car si le père puis plus tard le frère de Bona exerceront avec brutalité leur autorité masculine et patriarcale, Gardo l’endosse à son tour d’une manière plus passive en acceptant puis exploitant la dévotion de Bona – l’ironie étant de voir la star Nora Aunor dans ce type d’emploi alors qu’elle vivait une adulation plus folle et démesurée encore avec ses fans.

Lino Brocka déploie d’ailleurs un subtil mimétisme entre la demeure familiale et l’appartement de Gardo investi par Bona. Lors de son retour à domicile en début de film, la composition de plan assigne tous les membres de la famille à une place et tâche précise, seule Bona demeure debout et exclue de l’organisation codifiée du foyer – avec également le père dont le statut confère une liberté implicite. Au contraire, chez Gardo, Bona gravite autour de son homme, et a toujours sa place désignée, en retrait et à son service. Le travail sur la composition et l’usage du long plan fixe permet de tisser ce parallèle implicitement, en plus du fait de voir Bona s’affaire à d’harassant travaux domestiques. Si le cadre familial paraît immuable dans sa structure, la cohabitation entre Gardo et Bona est plus ambiguë. L’inconséquence du jeune homme l’empêche d’aller jusqu’au bout d’une logique machiste plus violente avec Bona et bien qu’incapable de lui rendre l’amour qu’elle espère de lui, parvient à se montrer sous un jour plus vulnérable face à elle. Néanmoins elle fait office de figure maternelle de substitution qui instinctivement pardonne et subit tout, l’amour physique étant réservé aux maîtresses de passage de Gardo. L’unique rapprochement charnel, presque de dépit, sera sans conséquence sur la dynamique de leur relation par la suite.

Le récit surprend ainsi en comparaison de l’ampleur narrative, géographique et formelle d’autres œuvres de Lino Brocka. Le réalisateur dépeint néanmoins un arrière-plan social captivant dans la vision de ce quartier pauvre. Un ailleurs un possible avec Nilo (Nanding Josef), un prétendant plus bienveillant, le modèle de couple bancal mais plus égalitaire s’illustre aussi à travers les voisins et leur bébé, tandis que dans l’ensemble une véritable solidarité s’affirme dans les tranches de vie capturées et à laquelle Bona s’intègre par sa profonde générosité. C’est donc progressivement la proposition généreuse et empathique de cet environnement, même avec ses limites, qui amorce le possible réveil et l’individualité de Bona – exprimé par l’image lors de la belle discussion au crépuscule entre Bona et Nilo. Lino Brocka enchaîne une belle scène de mariage (et à travers elle la possibilité de ce qui aurait pu être) avec un retour chez Gardo plus égoïste que jamais accompagné de sa conquête du jour. 

La mise au ban brutale de sa famille est aussi suivie d’une soirée d’anniversaire durant laquelle, sous couvert de générosité de Gardo, Bona est plus seule et démunie que jamais. Lorsque la prise de conscience de sa place dans le cœur et les projets de Gardo est tristement exprimée, la réaction est aussi subite que violente. Lino Brocka perverti dans ce final hargneux tout le dispositif de soumission patiemment mis en place, les motifs les plus marqués de cette servilité (la casserole d’eau bouillante) tout au long du récit servant désormais d’arme vengeresse. C’est cette fois Gardo qui arpente apeuré la maison au gré des déplacements de Bona, dans un renversement filmé de manière heurtée et libératrice par Brocka.

Le réalisateur exprime là une impasse au long cours (quel avenir pour Bona ayant tout sacrifié à cet homme indigne ?) et une jubilation immédiate dont le paradoxe est parlant et ambigu quant la fin de cette dynamique patriarcale.

Sorti en bluray frnaçais chez Carlotta 

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