Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 26 février 2019

Malicia - Malizia, Salvatore Samperi (1973)


À Acireale dans la province de Catane en Sicile, années soixante. Le marchand de vêtements Ignazio La Brocca, veuf avec trois enfants, prend une nouvelle bonne à tout faire, Angela, qui débute le jour même de l'enterrement de sa femme. Ignacio constate au fil des jours qu’Angela assure un service épatant. Nino, dans les quatorze ans, tombe profondément amoureux de la jeune femme mais constate aussi les intentions de son père et n’a alors de cesse d’essayer de les entraver.


Malizia fut le film qui fit définitivement de Laura Antonelli une star. L’actrice y définit sa persona filmique plus complexe que la seule image sexy à laquelle on pourrait la réduire. Laura Antonelli par la candeur virginale de son visage et les formes provocantes de sa silhouette parvient ainsi à être dans ses interprétations tout à la fois un fantasme soumis au désir masculin, une âme innocente surprise par son propre désir et enfin une véritable partenaire de jeu érotique assumant ce désir. Ainsi dans l’excellent Ma Femme est un violon de Pasquale Festa Campanile, elle incarne une ménagère subissant, accompagnant et s’amusant des jeux voyeuristes de son époux dans un équilibre ne tenant qu’à cette espiègle innocence. Dans cette idée Luigi Comencini saura tirer de l’actrice le meilleur dans Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas? (1974), où elle symbolise la volupté entravée puis furieusement libérée de la bourgeoisie sicilienne dont elle défie l’archaïsme. Il en va de même chez Visconti avec L’Innocent (1976) où Laura Antonelli incarne l’humanité surmontant les préceptes figés de l’écrivain Gabriele D'Annunzio.

Laura Antonelli ravive donc la pulsion machiste ordinaire et plus spécifiquement rattachée à la société italienne, définit la libération des mœurs sexuelle des 70’s mais aussi l’émancipation féminine dans ses fantasmes assumés. Toute cette identité contradictoire de Laura Antonelli est contenue dans Malizia. La jolie servante Angela (Laura Antonelli) est ainsi le miroir des désirs de cette famille d’hommes ayant vu fraîchement disparaître leur seule présence féminine avec cette mère décédée. Pour le père Ignazio (Turi Ferro) c’est la possible amante et l’espérée épouse qui viendra remplacer la maîtresse de maison disparue. Pour le fils aîné et jeune adulte Antonio (Gianluigi Chirizzi) ce n’est qu’une belle plante à posséder par les approches les plus rustres qui soient tandis que le benjamin à la langue bien pendue Enzino (Massimiliano Filoni) y voit une présence maternelle retrouvée – la tendresse avec laquelle Angela s’évertue à ce qu’il ne fasse plus pipi au lit.

La relation au cœur du film est celle entre le fils cadet et adolescent Nino (Alessandro Momo) et Angela. Le jeune homme en construction sentimentale et découverte de son désir manifeste pour Angela un sentiment romantique naïf et typiquement adolescent (les roses qu’il dépose dans la poche de sa blouse quotidiennement), et la matérialisation d’un fantasme ludique et/ou explicitement machiste. Si toutes les interactions entre Angela et les autres figures masculines rend ces dernières clairement libidineuses (Antonio et son père se rinçant l’œil chacun de leur côté sous la robe d’Angela faisant le ménage), Nino semble surtout incertain dans sa manière d’exprimer ce qu’il ressent pour Angela. La touchante maladresse initiale en fait un chevalier servant face aux assauts des autres, mais ses propres pulsions (les photographies sexy qu’il collectionne, les échanges verbaux assez crus avec ses camarades de classes) et la jalousie de l’amoureux frustré le font à son tour céder à cet élan machiste. Toute la différence se fait avec ce que renvoie la prestation de Laura Antonelli, proie mais certainement pas victime sachant se rebiffer face aux regards insistants et mains baladeuses des uns et des autres.

Mais entre Angela et Nino (clairement le plus aisé à repousser du lot), la relation s’avère bien plus complexe. L’affection d’Angela se devine le temps d’une scène où elle surprend son jeune prétendant lui déposant une rose, puis plus tard son désir pour elle s’avère à la fois flatteur, dérangeant et troublant. Voyeurisme et exhibitionnisme s’articule dans une relation amour-haine, attirance/rejet captivante que Salvatore Samperi orchestre dans un écrin feutré et sensuel.  Un regard traînant sur un corsage, une robe remontée révélant un porte-jarretelle, un frôlement de cuisse, tout concours à titiller les sens dans un environnement du quotidien notamment grâce aux teintes chaleureuses de la photo de Vittorio Storaro.

Le contrepoint du personnage du père entravé par la religion où l’autorité maternelle pour assouvir son désir montre ainsi la relation Nino/Laura comme un vrai espace de liberté face aux adultes encore soumis aux institutions. La question se pose sur l’interprétation à faire entre rêve et réalité quant à la nature de ce rapprochement, ambiguïté manifeste dans la splendide scène d’orage nocturne démarrant comme un thriller pour finir dans un vertige érotique aussi sobre que vénéneux. 

L’ultime regard entre Nino et Angela trahit ainsi une complicité, une intimité qui ne semble pas feinte. Salvatore Samperi réussit tout cela sans tomber dans une quelconque vulgarité et parvient à offrir un coming of age troublant en diable. Le film sera un immense succès qui amènera à réunir la même équipe (Salvatore Samperi, Laura Antonelli et Alessandro Momo) dans Péché véniel. Un revival sera même tenté en 1991 avec un Malizia 2000 qui vaudra des déboires irréversibles à Laura Antonelli.

Uniquement disponible en dvd et BR italien et espagnol 


dimanche 24 février 2019

Attache-moi ! - Átame!, Pedro Almodóvar (1990)


Marina est une actrice porno, cherchant à faire carrière dans le cinéma "traditionnel". Une nuit, elle a couché avec un jeune marginal nommé Ricky, qu'elle ne connaissait pas. Depuis, Ricky a fait un séjour dans un hôpital psychiatrique, où il a nourri l'espoir de retrouver Marina et de vivre avec elle. À peine sorti de l'hôpital, il décide de séquestrer Marina dans son propre appartement, espérant la séduire.

Attache-moi ! voit Pedro Almodovar habilement croiser une approche plus sobre et dans le postulat l’excentricité intacte de ses premiers films. Son amour des marginaux s’exprime ici avec Ricky (Antonio Banderas), jeune homme ayant navigué entre maison de correction et asile psychiatrique qu’il s’apprête à quitter, enfin apte à la vie civile. Son désir le plus cher est de construire tout e qui lui a manqué jusque-là, une vie de famille normale avec une femme et des enfants. Cependant sa personnalité et son rapport à l’autre s’est construit par des relations sexuelles fugaces au fil de ses fugues (ou avec la directrice de l’hôpital et les infirmières notamment) et sa quête de normalité va paradoxalement passer par des actes hors-normes. Bien conscient que son passif ne lui permettra pas de conquérir l’amour de sa vie de façon classique, il va forcer le destin.

Il s’agit de Marina (Victoria Abril) femme au parcours finalement aussi accidenté (ancienne actrice de porno et junkie) également en recherche de d’acceptation mais côté professionnel en tournant un film traditionnel. Lorsque Ricky va enlever et séquestrer Marina, la promiscuité va ainsi servir de révélateur pour tous les deux. La nature sordide du postulat est totalement désamorcée par la personnalité de Ricky et la prestation touchante d’Antonio Banderas. La situation est douteuse mais jamais son déroulement. Hormis la violence maladroite de la scène où Ricky s’introduit dans l’appartement, tous les contours possiblement scabreux sont désamorcés. Ricky force la promiscuité avec Marina dans le seul but pour éveiller les sentiments de celle-ci. Ainsi la dimension sexuelle est désamorcée avec une nudité furtivement exposée et avec gêne, tout comme l’absence de sensualité et/ou de fétichisme lorsque notre héros ligote son otage.

Tout l’art d’Almodovar fonctionne sur le décalage. Ricky cherche à se faire aimer de la façon la plus folle qui soi, l’acceptation d’elle-même par Marina passe par un syndrome de Stokholm. La quête de Ricky s’oppose à la société espagnole exubérante de la Movida ou toutes les traditions devaient être bousculées. Visuellement cela se traduit par l’excentricité des environnements avec plateau de tournage déluré, mais aussi le décor luxuriant de l’appartement (le second qu’investissent les personnages sur le palier) chargé de couleurs, d’objet et de tableaux tapageurs. 

Cet arrière-plan outrancier sert une situation toute en retenue masquant des sentiments aussi à vif. L’intimité forcée rend le rejet d’autant plus douloureux (Marina admonestant Ricky sur le fait qu’elle ne l’aimera jamais) mais laisser éclater l’amour de façon toujours inattendue. La retenue avec laquelle Ricky ligote sa prisonnière interpelle, tout comme la tendresse de Marina face à son geôlier vulnérable et blessé qu’elle va soigner. Le rapprochement se fait à la fois par des fêlures communes et par une complicité des corps que la promiscuité n’a non pas éveillée mais ravivée (puisqu’il s’avèrera que les deux ont déjà partagée une nuit par le passé. Ainsi délesté de codes moraux et romantiques classiques, Pedro Almodovar peut entériner la complexité de cet amour avec ce type de dialogues :

- Tu vas m’attendre ou tu t’enfuir ?

- Je ne sais pas. Mieux vaut m’attacher…


Magnifique réussite qui lancera la carrière d’Antonio Banderas à l’international. 

Sortie en bluray et dvd zone 2 français chez MK2 

jeudi 21 février 2019

Katie Tippel - Keetje Tippel, Paul Verhoeven (1975)


Débarquée avec sa famille à Amsterdam en 1881, Katie Tippel (Monique Van de Ven) se retrouve vite contrainte à vendre son corps pour sa subsistance et celle de sa famille.  Son existence prend un tour nouveau quand elle devient la muse d’un peintre et la compagne du meilleur ami de celui-ci (Rutger Hauer). De fil en aiguille, cette petite fille née dans la misère fait ses premiers pas dans la haute société.

Avec Katie Tippel Paul Verhoeven initie le cycle de la féminité bafouée et revancharde de sa filmographie. On trouve donc déjà ici le contexte historique tourmenté de La Chair et le sang (1985) Black Book (2006), ainsi que l’environnement moral perverti de Showgirls (1995) – alors qu’un cadre trop « normal » comme Elle (2016) semble un peu le gêner aux entournures. Le film adapte les mémoires de Neel Doff, femme pauvre ayant réussi à s’élever aux sphères de la haute société dans la Hollande de la fin du XIXe siècle. Au départ ce devait être une véritable fresque historique évoquant la naissance du socialisme en Europe. Verhoeven et son scénariste Gerard Soeteman sont forcés de revoir leurs ambitions à la baisse faute de budget (empêchant les scènes de foules nécessaires) et même s’il en reste des traces dans le film, l’ensemble constitue plutôt un portrait de femme dans la lignée de Tess (le roman de Thomas Hardy plutôt que le film de Roman Polanski pas encore tourné).

Verhoeven nous dépeint ainsi une société hollandaise corrompue, où survivre est synonyme d’avilissement. Les traits juvéniles, la blondeur et la candeur de Katie (Monique van de Ven) dénote avec la fange qui l’entoure. Elle se démarque dans la pluvieuse scène d’ouverture où sa famille .s’apprête à embarquer pour Amsterdam et durant la traversée elle observe sa sœur se donner à un marin pour deux sandwichs. Tous les rapports sociaux et les situations du récit mène à ce même constat dominant/dominé, particulièrement parlant pour les femmes réduites à l’état de chair à plaisir. La seule variante sera la réponse qu’en donnera Katie et le degré de crasse ou raffinement dans lequel s’exerce cette domination. La jeune fille reste ainsi sur ses gardes face au contremaître libidineux d’une laverie, ne voit pas venir les assauts d’un vendeur de chapeau propre sur lui, subit les palpations de médecins vicieux et enfin accepte la relation « donnant/donnant » avec un séduisant employé de banque (Rutger Hauer qui reforme le couple de Turkish Delight (1973) avec Monique van de Ven).

Comme souvent chez Verhoeven, le corps féminin est subit les outrages avant de devenir un instrument de pouvoir pour l’héroïne. La description du corps évolue progressivement au fil des abus puis de l’assurance de Katie. Lorsqu’un vieillard la caresse dans une maison close, Verhoeven élève sa caméra pour nous faire observer ce moment à travers l’immense miroir qui trône dans la pièce. L’innocence souillée s’illustre dans une idée formelle aussi brillante que vulgaire où Katie s’amuse à constituer des formes en ombres chinoises avant que le sexe dressé de son agresseur surgisse dans le plan. L’approche est plus subtile dans le lien avec Rutger Hauer où la soumission ne s’exerce plus par la force mais par le confort matériel. Un lit chauffé, un toit sur la tête et de jolies robes font céder notre héroïne sans qu’elle s’en rendre réellement compte, la relation biaisée passant par l’agencement des amants dans la topographie de l’appartement. Katie n’est qu’une silhouette à reluquer, peloter, et où le personnage le plus respectueux usera également de son corps mais comme modèle. 

 Verhoeven montre bien peu de foi en l’humanité, le déséquilibre de cette société devant autant à la cruauté des riches qu’à la complaisance des pauvres. On finit par être le miroir de la crasse où l’on croupit, la sœur s’avérant physiquement monstrueuse tandis que cela est plus insidieux pour la mère véritable maquerelle poussant sa fille sur le trottoir. On peut regretter que les quelques élans de subtilité et d’émotions soient noyés dans le constat sans appel : ainsi le regard mélancolique de la mère avant la première passe de Katie s’oublie avec l’attitude grotesque qu’elle aura par la suite. La survie explique tous les débordements – même les plus abjects avec le petit frère manquant de céder à un pédophile. Heureusement le personnage de Katie est bien mieux écrit pour capturer ces contradictions comme quand elle sondera (et en sera bien punie) pour Rutger Hauer les commerces auxquels il doit accorder un prêt.

Formellement c’est sans doute le plus beau film de la période hollandaise de Verhoeven. Les cadrages et la superbe photo de Jan de Bont (marié alors à Monique van de Ven ce qui causera quelques tension au vu des nombreuses scènes sexuelles) figent des tableaux de misère saisissants tout en accordant des respirations élégiaques comme la magnifique scène de rencontre au kiosque. Pour les raisons évoquées plus haut, le recollage final à un questionnement politique fonctionne moyennement et c’est avant tout le parcours du personnage qui marque. Un beau brouillon des brûlots à venir mais qui laisse malgré tout un petit sentiment d’inachevé, on ne s’étonnera pas du simili remake plus tapageur qu’en fera Verhoeven avec Showgirls

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan