Dans le Dorset rural de la période victorienne, le pasteur Tringham, un historien local, déclare à un fermier de la région, John Durbeyfield, qu'il a découvert lors de ses recherches que les Durbeyfields descendaient des D'Urberville, une famille de haut lignage. Obnubilé par l'idée d'obtenir de l'argent grâce à cette noblesse perdue, Durbeyfield envoie sa fille Tess rencontrer une famille D'Urberville, qui habite un joli manoir proche. Alec D'Urberville, charmé par la beauté de sa « délicieuse cousine », accepte de l'employer pour s'occuper des poules de sa mère. Alec tombe bientôt amoureux de Tess, tente de la séduire et finit par la violer.
Peu avant sa mort
dans le fait divers que l’on sait, l’actrice Sharon State s’était
enthousiasmée à la lecture du classique de Thomas Hardy Tess d’Urberville
(recommandé judicieusement par des amis la voyant bien dans le
rôle-titre) et avant d’aller accoucher à Los Angeles avait laissé un exemplaire
à son époux Roman Polanski avec une note lui disant que cela ferait un bon
film. Polanski encore endeuillé ne daignera lire l’ouvrage que quelques années
plus tard et captivé à son tour cherchera à en tirer une adaptation. Exilé en
France suite à son affaire de mœurs au Etats-Unis, son ambition se croise à
celle du producteur français Claude Berri cherchant à sortir une grande
production internationale signée Polanski. Débute alors une grande aventure
humaine où la maniaquerie de Polanski et les divers dépassements de budget
mettront à mal les finances de son mécène Berri, ce dernier laissant pourtant
une totale liberté artistique à l’artiste polonais et n’intervenant jamais sur
le tournage.
Les paysages du Dorset dépeint par Hardy n’existant plus dans une
Angleterre dont l’espace rural s’est modernisé (et les soucis judiciaires de
Polanski empêchant un tournage en Grande-Bretagne d’où il risque
l’extradition), le tournage se fera en France entre la Normandie et la Bretagne
où le cadre correspond encore à ce que devait être la campagne anglaise du XIXe
(moyennant quelques ajustements de l’équipe technique). Tous ses efforts, la
sensibilité de Polanski et la trouvaille miraculeuse de la Tess idéale en la
personne de Nastassja Kinski (dix-sept
ans à peine à l’époque) n’aboutiront certes pas à l’adaptation parfaite (une
première muette datant de 1922) mais donneront néanmoins un bien beau film.
Tess d’Urberville
est souvent considéré comme le chef d’œuvre de Thomas Hardy, celui où s’entrecroisent
le mieux l’imagerie, l’atmosphère et les thèmes qui caractérisent ses ouvrages.
On retrouve ainsi cet attachement et
minutie dans la description du monde rural et des différents travaux y étant
rattachés (Les Forestiers, Loin de la Foule déchaînée…), tout comme
ce pouvoir et omniscience de la Nature annonçant, soulignant ou accompagnant le
drame en marche. La noirceur et le pessimisme typique de l’auteur y est
également des plus prononcés à travers ce destin si funeste pour Tess et le poids moral de cette Angleterre Victorienne
ainsi que l’opposition constante entre Nature et Morale (Jude l’Obscur évidemment) a rarement été mieux exposée.
Obéissant à son style narratif consistant à ne pratiquement
jamais décrocher du point de vue de son personnage principal et happé par le
magnétisme de son interprète féminine, Polanski tutoie souvent la puissance
dramatique d’Hardy tout au long du film. Dès la scène d’ouverture, la tragédie
de Tess Durbeyfield (Nastassja Kinski)
est tracée sur ce symbolique chemin croisé qu’elle emprunte avec ses
jeunes camarades en blanches robes d’été. Dans la direction adjacente arrive
son père qui pour son malheur va apprendre par un pasteur sa parenté avec l’illustre
et disparue famille d’Urberville.
Courant après ce prestige disparu, ses
parents ignorants l’envoient se réclamer auprès de supposé parents richissime
du même nom et par la même occasion dans les griffes du séducteur Alec D’Urberville
(Leigh Lawson). Peu avant lors d’une
magnifique scène de danse au crépuscule Tess aura manqué sa rencontre avec celui qui
aurait pu alors la sauver et épargner bien des malheurs, Angel (Peter Firth) ne
la choisit pas comme cavalière parmi ses camarades mais se rendant compte de
son erreur est incapable de la quitter du regard. Mais c’est trop tard, à
l’image de la destinée de notre héroïne où tout se jouera à chaque fois de peu,
pour son malheur le plus souvent. La beauté crépusculaire qui anime cette
somptueuse entrée en matière (le gros plan de Tess avec le soleil couchant en
arrière-plan est absolument stupéfiant) semble d’ailleurs annoncer les heures
sombres à venir par cet acte manqué.
Nastassja Kinski EST Tess et le lecteur de Thomas Hardy aura
véritablement l’impression de voir s’incarner le personnage du roman dans le
moindre détail. Cet éclatant teint de pêche, cette bouche aux moues boudeuses
dont les lèvres charnue enflamment les sens et ce regard doux et ardent
exprimant autant le stupre que l’innocence, tout est là. Tess ne sait pourtant
que faire de ces atouts et subjuguera les deux hommes de sa vie (ange et démon,
revers d’une même pièce) pour de mauvaises raisons, sans qu’aucun d’eux n’aient
su la comprendre et la voir vraiment telle qu’elle est. Chacun y voit le reflet
de ses propres désirs, déçus dans ses attentes et provoquant la déchéance
progressive de Tess.
Pour Alec D’Urberville c'est une promesse de sensualité et la résistance de cette paysanne à la
beauté soufflante ne s’explique pas dans une société où ces rapprochements
charnels entre maître et serviteur est naturel. Les réticences de Tess ne sont
donc qu’autant d’appels du pied involontaire, à l’image de cette scène
troublante où Alec insiste pour lui faire manger une fraise et où le trouble et
la gêne se lisent sur son visage. Ce moment annonce la terrible scène de viol aux premières lueurs de l'aube.
Tess y cède dans un premier temps plus par
reconnaissance que par désir à son bienfaiteur le temps d’un baiser et dès son
premier mouvement de recul D’Urberville use de la violence pour abuser d’elle (appuyé par le thème musical tourmenté de Philippe Sarde et la belle idée du nuage de poussière masquant l'horreur).
Une nouvelle la fois, c’est l’attrait involontaire de Tess qui agit comme une
fatalité et de manière plus directe que dans le roman où D’Urberville profite
d’une Tess endormie pour arriver à ses fins.
Tout passe également par le miroir déformant offert par
notre héroïne dans sa relation avec Angel Clare. Le personnage en quête de
perfection et ayant fui les préceptes religieux stricts de sa famille sera
éblouit par la beauté immaculée et la pureté dégagée par Tess. Polanski à
travers le regard de l’amoureux transi fige Tess dans de splendides tableaux d’été
où elle figure une image idéalisée de la paysanne innocente à travers les
divers travaux fermiers (cette scène où elle traie les vaches en plein dans un
beau plan d’ensemble sur le pâturage).
Là aussi Angel court après une image qu’il se
fait de Tess, renforçant la culpabilité de celle-ci que le réalisateur appuie par le rôle des éléments naturels, que ce soit le rayon de soleil inondant
l’image lorsque Tess découvrira que son aveu écrit n’a pas été lu ou l’ambiance
hivernale de la dernière partie en guise de pénitence.
Tout comme Alec lorsque
son aimée ne se confondra plus avec l’idée qu’il s’en est fait lors de la
pénible scène d’aveu (où il se fermera pour des actes qu’il a lui-même commis mais
n’accepte pas pour une femme), sa réaction sera profondément injuste et
intolérante contrairement à l’ouverture que dégageait le personnage
Cette option de Polanski est réussie et donne une vraie
force dramatique au film mais à tout exprimer par le seul prisme de Tess et de
la prestation de Nastassja Kinski, le lecteur ne manquera pas de trouver une
certaine simplification par rapport au livre. Angel et Alec sont pour Polanski deux archétypes, le bon et le
mauvais, le fort et le faible, le débauché et le vertueux, mais finalement
manque des nuances que leurs donnait Thomas Hardy.
Alec dans le livre est
finalement réellement amoureux de Tess mais la morale et les refus de l’héroïne
font ressortir tous ses mauvais penchants qui l’amènent à abuser d’elle. Quant
à Clare, il n’est que sous-entendu par Polanski la façon dont il se détourne de
son éducation stricte, Hardy soulignait l’ouverture d’esprit, la facette
libertaire guidée par sa morale propre et le choc face à son incapacité à
mettre en pratique ses préceptes lors de l’aveu de Tess n’en était que plus
fort. De l’amour d’Alec surgissait le désir dans son expression la plus
violente et de la passion d’Angel apparaissait toute la morale de l’Angleterre
Victorienne dans toute sa splendeur.
Tess apparaissait via ses deux prétendants
comme déchirée entre nature et morale, entre son milieu peu regardant (ses
parents poussant à cette séduction notamment sa mère) et son caractère plus
instruit, entre les préceptes paganistes d’Angel et le poids de la morale de l’époque.
Tout cela Polanski ne fait que l’effleurer par quelques allusions (le langage
plus soutenu de Tess par rapport à ses parents et le fait qu’elle ait voulue
être maîtresse) et situations (la tirade de Tess sur l’âme quittant le corps en
voyant une étoile filante révélant son caractère plus mystique son insistance à
baptiser son fils mourant exprimant lui sa piété) mais globalement étouffée par
la simplification des deux protagonistes masculins qui mettaient en valeur ces traits de caractères.
Tess n’en reste pas moins un grand mélodrame qui retrouve toute sa force dans un final aussi intense que le livre, l’héroïne définitivement brisée et souillée par les déconvenues (la robe rouge opposée aux tenues plus claires qui soulignait son innocence) trouvant dans un bref abandon le bonheur qui lui a été si longtemps refusé.
La conclusion à Stonehenge trouve enfin de cet élan mystique (que le score de Philippe Sarde entre romanesque et élans traditionnels celtiques saisi parfaitement tout au long du film) tout en
bouleversant quant au drame humain d’une Tess condamnée, le Dieu ou les Dieux
ne s’étant définitivement pas préoccupés de son destin. On peut supposer que la
postproduction houleuse (Claude Berri pris à la gorge financièrement faisant
tout pour raccourcir le film qui fera tout de même près de 3h) ait contraint
Polanski à simplifier et à en rester au mélodrame Victorien plus terre à terre, cela étant de toute façon logique avec son oeuvre ou même lorsqu'il aborde le fantastique, il l'atténue et le désamorce par une l'ambiguïté (Rosemary's Baby) ou l'ironie (La Neuvième Porte).
Ca n’en reste pas moins un superbe film, pour le regard de Nastassja Kinski,
pour sa réussite plastique et les émotions intenses qu’il procure.
Sorti en dvd zone 2 français et dans un somptueux blu ray chez Pathé
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