Edward n'est pas un
garçon ordinaire. Création d'un inventeur, il a reçu un cœur pour aimer, un
cerveau pour comprendre. Mais son concepteur est mort avant d'avoir pu terminer
son œuvre et Edward se retrouve avec des lames de métal et des instruments
tranchants en guise de doigts.
Après le triomphe de son Batman
(1989), Tim Burton se trouve parmi les réalisateurs les plus en vus d’Hollywood
et profite de ce pouvoir pour enfin réaliser Edward aux mains d’argent, projet qui lui tient à cœur depuis
longtemps. La Warner souhaitant plutôt le voir s’atteler immédiatement à la
suite de Batman montre peu d’intérêt
pour Edward et fini par revendre les
droits du film à la Fox qui laissera une totale liberté artistique au
réalisateur. Edward aux mains
d’argent est le film le plus personnel de Tim Burton. Dans chacune de ses
œuvres de cette époque, Burton place un miroir de lui-même au centre de
l’intrigue. C’est l’adolescente gothique incarnée par Winona Ryder dans Beetlejuice (1988) - Beetlejuice étant lui le mauvais génie qu’il aurait rêvé venir
bouleverser son quotidien -, c’est
toutes les créatures de la nuit asociales des deux Batman ou encore l’excentrique au talent tout relatif Ed Wood dans le film éponyme.
Edward Scissorhands va
plus loin puisque son héros est tout simplement le double du réalisateur, la
trame enrobant dans une inspiration gothique (au croisement de Frankenstein,
Le Bossu de Notre-Dame ou Le Fantôme de l’Opéra) l’adolescence
solitaire d’un Burton trop différent de son environnement. A cette époque difficile,
Burton aura exprimé ce mal-être dans un dessin représentant un homme avec des
ciseaux à la place des mains.
Ces
ciseaux sont une métaphore de la timidité, de l’incapacité à communiquer et se
fondre dans la masse pour Edward (Johnny Depp), être fragile que son créateur
(Vincent Price dans son poignant dernier rôle) n’a pas eu le temps de doter de
main avant de disparaître. Edward est donc un reclus apeuré par le monde
extérieur mais qui ne demande qu’à s’y intégrer, cela étant signifié dès sa
première apparition où il se cache puis se révèle à Dianne Wiest dans le
manoir, cette dernière ayant auparavant aperçu les coupures de journaux qu’il
collectionne. Pour Burton, le monde extérieur est symbolisé par cette banlieue pavillonnaire
équivalente à sa Burbank natale et dont
il croque avec férocité le conformisme d’abord dans des vignettes sans paroles.
Sa caméra balaie ainsi les maisons à l’aspect uniforme dans de même couleurs
criardes, la curiosité malsaine et le commérage où chaque femme se ruera sur
son téléphone après avoir entraperçu cet inconnu hirsute traverser la ville et
bien sûr le manège routinier et mécanique
des maris quittant tous leur domicile en voiture au matin.
Le portrait est plus
corrosif encore lorsqu’il s’attarde plus précisément sur ce voisinage peuplé de
mégères frustrées au maquillage criard, aux coiffures et tenues de mauvais goût
et pour lequel le nouveau venu Edward constitue une attraction passagère qui
les divertira un temps mais ne sera jamais vraiment des leurs. Kathy Baker dans
une prestation génialement superficielle domine parfaitement ce défilé
d’hypocrites.
Le
cynisme est évité grâce au personnage plein de candeur d’Edward et à la
prestation à fleur de peau de Johnny Depp. Après Batman, le look du
héros (lorgnant sur celui du chanteur des Cure Robert Smith dont Burton est
fan) associera définitivement Burton au mouvement gothique et le visage inquiet
et la gestuelle de pantin désarticulé de Depp exprime magnifiquement la
fébrilité d’Edward. A l’aise, aimé et en confiance il est capable de véritable
prodiges (les impressionnantes haies animalières, les amusantes séquences où il
se mue en coiffeur hors-pair) mais devenant un danger malgré lui dès qu’il se
sent menacé. Ses rares crises morales lui sont refusées et réveillent les préjugés
de son entourage qui lui rappellent son statut de monstre.
Un pont avec le
monde normal semble pourtant possible avec le personnage de Winona Ryder
(teinte en blonde pour l’occasion) qui illustre d’abord cette intolérance à
l’échelle adolescente (il est d’ailleurs amusant de voir Anthony Michael Hall
l’ado chétif et complexé chez John Hughes jouer les brutes épaisses ici) mais
finit par être réellement touchée par la sensibilité d’Edward. Burton dépeint
cette romance platonique avec une magie rare et sans un mot si ce n’est ce
court échange résumant toute la problématique du récit :
Kim: Hold me.
Edward: I can't.
Sinon cela passera par les regards significatifs où
transparaît la complicité entre Johnny Depp et Winona Ryder en couple à
l’époque, tel cette connexion qui se fait à travers un écran de télévision et
bien évidemment celle de la danse sous la neige où la musique céleste de Danny
Elfman et la mise en scène de Burton communient dans une grâce absolue.
Peut-être la plus belle scène jamais filmée par le réalisateur avec la
naissance de Catwoman dans Batman Returns
(1992). La narration façon Il était une
fois renvoie à cette dimension de conte où la conclusion exprime une féérie et
une mélancolie inoubliable. Le chef d'oeuvre de Tim Burton.
Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez Fox
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