Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 24 février 2011

Walkabout - Nicolas Roeg (1971)


Deux jeunes frère et sœur occidentaux se retrouvent abandonnés dans le bush après le suicide de leur père. Survivant tant bien que mal dans le désert hostile, ils rencontrent un jeune aborigène en plein « walkabout », cette errance initiatique rituelle.

Pour son deuxième film après l'expérimental Performance, Nicolas Roeg réalisait peut être son chef d'oeuvre avec cet immense Walkabout. Adapté d'un roman de James Van Marshall, le film part d'un postulat simple et exprime des thèmes d'une grande profondeur dans une gamme de sentiment complexe et contradictoires par la seule puissance formelle de son réalisateur divinement inspiré.

Après une courte introduction urbaine, nous somme donc immédiatement plongé dans le bush australien avec nos deux jeunes héros rapidement livrés à eux même après la disparition tragique de leur père. La méthode Roeg frappe d'entrée avec ses échanges creux entre le père et ses enfants, le malaise ambiant qui va conduire au drame se ressentant dans les non dits, les regards fuyant puis part le brutal rebondissement filmé avec étrangeté dans un montage déroutant.

La soeur (Jenny Agutter) et le frère (Luc Roeg le jeune fils de Nicolas Roeg) dont on ne connaîtra jamais les prénoms entament alors une longue errance dans le gigantesque bush australien qui leur est en tout point hostile tant leur éducation citadine les à peu préparée à pareille épreuve. Soleil de plomb, sécheresse, panorama à la l'horizon infinie en forme de prison à ciel ouvert rien ne semble être épargné aux malheureux d'autant que Roeg filme le bush comme s'ils se trouvaient sur une autre planète. Le score hypnotique de John Barry accompagne donc une symphonie de sensations exprimée par le montage (avec de nombreux inserts sur les animaux les plus étranges qui soit accompagnant la marche des personnages), la photographie donnant des teintes surnaturelles aux décors naturels et au ciel et la réalisation de Roeg qui confère autant de beauté que de menace à ce cadre hors normes qu'on a jamais vu ainsi depuis et ni même avant.

Le salut arrive donc d'un jeune aborigène (David Gulpill) en plein walkabout, ce rite de passage tribal où les jeunes doivent entreprendre une errance dans l'étendue sauvage en communion avec la nature et en quête d'eux même pour en revenir transfiguré et adulte. Le film se soustrait alors à toute les règles de narration classiques pour totalement envouter dans son illustration du rapprochement entre les deux civilisations avec un sentiment de quiétude et de fraternité.

Le jeune frère si chétif au départ devient donc endurant au contact de cet aborigène lui enseignant la manière de se mouvoir, nourrir et se protéger dans cette contrée avec un mimétisme et une complicité palpable entre eux (le jeune garçon finit par être constamment torse nu puis arbore les peintures rituelles de son ami, l'aborigène qui se lève un matin et allume le poste de radio le plus naturellement du monde). Il en va de même avec Jennifer Agutter qui perd peu à peu ses inhibitions (voir cette longue nage nue dans une crique) tandis que l'aborigène se laisse gagner lentement par un certain désir pour elle, tout deux étant magnifié par Roeg dont la caméra est avide du contact de leur corps jeune et souple.

Le sujet pourrait d'ailleurs laisser croire à une mise en scène naturaliste et dépouillée, il n'en est rien. Roeg use de tout les artifices à disposition hérités de son passé de monteur et directeur photo pour rendre l'expérience constamment surprenante et sensitive. On trouve ainsi un montage en forme d'associations d'idées lorsque David Gulpill achève la bête qu'il chassait avec des inserts d'un charcutier reproduisant son geste comme pour signifier sa teneur universelle pour l'homme amener à se restaurer.

A un autre moment lorsque le jeune garçon décidera de narrer un conte de sa connaissance à l'aborigène (qui n'y comprend mot) à nouveau de brève image de page qui se tournent viendront accompagner la séquence. Le film avait à peine 14 pages de script et laissait libre court au évènements, caprices de la natures et improvisation de l'équipe et cette liberté se ressent dans l'immense respiration que constitue l'ensemble.

Ce bonheur n'est pourtant qu'éphémère et les différences vont finalement causer un fossé insurmontable. Dans le livre, l'aborigène mourrait en ayant contracté au contact des blancs une maladie inconnue de son organisme. Roeg va donner un tour plus poétique à ce mal en faisant de l'incompréhension mutuelle et l'influence des blancs les instruments de la chute de l'insouciant aborigène. Après nous avoir montré la communion de l'homme avec son environnement dans les magnifiques scènes de chasse, on assiste à un massacre gratuit et pour la forme de diverses bêtes par un groupe de chasseur.

Alors que l'aborigène se fondait dans la nature et ne troublait pas le cours naturel de la vie (tuer pour se nourrir) l'envers de cette séquence montre des hommes tuant pour le plaisir et laissant les carcasses au vautours. Roeg par un jeu sur la vitesse de l'image et un montage saccadé montre l'aspect intrusif et nocif de leur acte en brisant la tonalité contemplative en cours jusque là. L'autre point constitue la romance avortée entre Jennifer Agutter et l'aborigène où l'ambiguïté est de mise entre un vrai rejet et une incompréhension puisqu'une danse rituelle d'amour sera perçue comme une menace.

La conclusion fait écho à l'ouverture et notre héroïne revenu à une urbanité plus conforme semble exprimer le regret de cette aventure et du sentiment de liberté d'alors, son regard se fondant dans le souvenir d'une après midi de baignade. Le poème A Shropshire accompagnant les dernières images en voix off renforce l'émotion des images en surlignant merveilleusement leur mélancolie.


Into my heart an air that kills
From yon far country blows:
What are those blue remembered hills,
What spires, what farms are those?

That is the land of lost content,
I see it shining plain,
The happy highways where I went
And cannot come again.



Un des joyaux du cinéma anglais, ce qu'on appelle un chef d'oeuvre.

Sorti en dvd zone 2 français dans chez Potemkine la collection Agnès B et pour les plus fortuné et anglophone il existe une magnifique édition Critérion en zone 1


18 commentaires:

  1. Sacrée claque n'est ce pas ? -) Vraiment une de mes grandes découvertes récentes Nicolas Roeg, dans un registre plus oppressant tu peut tenter "Ne vous retournez pas" qui est excellent aussi même si Walkabout garde ma préférence. Là j'ai reçu de lui "Eureka" je vais essayer de le visionner dans la semaine pour faire une petit retour ici !

    D'ailleurs pour "Walkabout" je suis en quête du score de John Barry mais il semble ne jamais avoir été publié juste quelques piste sur diverses compilation dommage...

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  2. J'ai vu Don't look now, en 2000, au CdM. Un achat prochain, d'ailleurs, il y a une édition spéciale en GB. On en reparlera...

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  3. Très chouette film oui !
    Et j'en profite au passage pour te féliciter pour ton blog, tu me donnes envie de voir plein de films ! :)

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  4. Bonjour, merci pour votre belle analyse de ce film singulier dont vous faites un éloge mérité.
    Votre contribution passionnée à la cinéphilie permet de faire bien des découvertes et elle compte parmi les plus agréables avec celle du blog "filmnonutc", tant pour le texte (particulièrement développé et précis)que pour les riches illustrations.
    Mesuré, vous ne tombez pas dans les excès laudatifs et n'employez "chef- d'oeuvre" qu'avec parcimonie.
    Vous participez également au site DVDclassik et je me demandais si vous aviez succombé à l'établissement d'un palmarès, jeu très en vogue sur ce site: pourriez-vous nous faire connaître une liste de vos "100 films préférés", comme on peut en trouver sur leur site et un certain nombre de blogs... On y retrouverait sans doute un certain nombre de films dont vous avez parlé mais cela permettrait de donner une idée, en condensé, de vos goûts et admirations. Bonne continuation en tout cas dans votre joyeux partage de textes éclairants et stimulants.

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    1. Que d'éloge merci beaucoup ! Effectivement j'officie aussi sur dvdclassik on y retrouve parfois certains textes du blo et inversement. Pour le top 100 j'ai toujours évité, plus je vois de films plus c'est intenable à constituer ^^ Après avec les genres et les réalisateurs les plus représentés sur le blog on peut déjà se faire une idée de mes gouts. A quelques exceptions près pas assez de Spielberg alors que je suis un grand fan ;-)

      Merci et je consulte souvent aussi le blog Avis sur des films

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    2. AaaaH non, pas Spielberg !!!
      ===> Topic "Les dents de la mer" sur Classik ha, ha (^_^)

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  5. Au sujet des 101 films préférés de Justin, perso je préfèrerais un recueil (matériel) de ses chroniques de films !!

    Tomes 1, 2, 3 ...... 9714 ....

    Sinon je n'avais pas entendu parler de ce film de Nicolas Roeg, dont l'histoire me plait bien et qui a l'air super.

    Je connais de lui Eureka et bien sûr Don't Look Now...
    Eureka (avec Gene Hackman en chercheur d'or mystique) est un film bizarre qui dégage une belle atmosphère fantastique (le style western enneigé au début), malgré des personnages très hétéroclites qui se croisent parfois dans des rencontres improbables ... ce qui ajoute une touche de "bizarre" supplémentaire, en fait.
    Cracboumhue, comme dirait Jean-Paul B, j'ai acheté le dvd anglais (sans sous-titres mais je ferais un effort).

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    1. Pour le peu que ça parle Walkabout l'absence de sous-titres n'est vraiment pas un problème ^^. Excellent Eureka sinon même si ce n'est pas son plus facile d'accès. L'ouverture avec Gene Hackman chercheur d'or est vraiment stupéfiante.

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    2. 10€ fdp inclus, ça va (^_^) ...

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  6. Grâce à toi j'ai découvert ce merveilleux film, très lyrique et violent ( à ce titre le début est vraiment surprenant, et nous immerge de suite dans une ambiance que l'on était pas préparé à recevoir: woa ze choc !! ...), le lyrique c'est bien sûr le récit de la rencontre d'un jeune aborigène avec un frère et une soeur anglo-saxons, il va les aider, ils vont communiquer, au risque que le jeune homme y perde son âme, c'est aussi bouleversant.


    Il y a par contre un court passage avec l'insert d'un boucher sur son étal qui découpe de la viande alors que l'aborigène vient de tuer un kangourou je crois, pour faire un parallèle !! Je trouve ça lourd, appuyé inadéquat, ça gâche le film, je me suis demandée si N.Roeg n'avait pas oublié de le retirer !!

    J'ai fait découvrir Walkabout à une nièce qui partait en Australie, elle a 18 ans et elle a beaucoup aimé.

    Certains gros plans sur les animaux du bush m'ont rappelé La Nuit du Chasseur, quand les deux enfants (frère et soeur) descendent la rivière...

    Nicolas Roeg a une façon originale de filmer, et du coup les couchers de soleil et le paysage ne sonnent pas "clichés" et gnangnan, mais sont juste magnifiques et menaçants à la fois, méditatifs aussi.

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    1. Content que tu aies accrochée le film Catherine ! Sinon le montage par association d'idées c'est très récurrent chez Roeg (et dans un certain cinéma plus expérimental 70's) parfois c'est subtil et porté par une vraie poésie, d'autres ça peut être un peu lourdingue et surligner effectivement... Maintenant il faut poursuivre la découverte avec d'autres Roeg !

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  7. Je connais déjà Eureka, The Witches et Don't Look Back, dans ce dernier d'ailleurs il y a beaucoup d'inserts rapides, comme des flashs, des visions, mais ils sont bien intégrés dans un concept de thriller fantastique, où le héros (Donald S) perd pied de plus en plus...
    Dans Walkabout, ça m'a fait l'effet d'une coupure de pub cette courte scène du boucher/charcutier, bref ça m'a gâché le moment...mais ce qui ne m'a pas empêché d'apprécier la suite ...heureusement il n'a pas recommencé ha ha
    Les groupes de gens qu'ils vont croiser, des chasseurs, une équipe de météorologues indifférents à ce qui les entourent, et ce village où un blanc exploite des aborigènes à fabriquer des objets touristiques, sont tous des exemples négatifs de ce que la colonisation a apporté. C'est aussi l'une des facettes de ce film que de dénoncer l'arrogance et la sauvagerie de ces descendants des anglais.

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    1. Le film avec Donald Sutherland c'est "Don't Look Now", et non : "Don't Look Back".

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  8. En tout cas nous avons tous sur ce topic, évité de détailler le tout début et la toute fin du film qui sont des SPOILERS absolus !! (^^)

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  9. Superbe article pour un film sublime que j'aime tout particulièrement aussi. Bravo à toi d'avoir su si bien en parler.

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    1. Merci beaucoup ! D'ailleurs j'ai découvert récemment le pendant inversé de Walkabout sorti la même année (et présenté simultnément à Cannes à l'époque) avec le Wake in fright de Ted Kotcheff. C'est un peu le pendant cauchemardesque du film de Nicolas Roeg vraiment très impressionnant, je te le recommande si tu ne l'as pas vu j'en parlai ici

      http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2017/11/reveil-dans-la-terreur-wake-in-fright.html

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