Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 13 février 2011

Le Roman d'un tricheur - Sacha Guitry (1936)


Assis à la terrasse d'un café, un homme rédige ses mémoires : il raconte comment son destin fut définitivement scellé lorsque, à l'âge de douze ans, parce qu'il avait volé dans le tiroir-caisse de l'épicerie familiale pour s'acheter des billes, il fut privé de dîner. Le soir même, toute sa famille meurt empoisonnée en mangeant un plat de champignons. Seul dans la vie et ayant ainsi constaté l'inutilité d'être honnête, il n’aura par la suite qu’une seule ambition, devenir riche. Voyant dans sa survie un signe du destin, il choisit de parvenir à ses fins en devenant tricheur et voleur professionnel.

Avec Le Roman d'un tricheur, Guitry trouve définitivement ses marques au cinéma après de précédentes tentatives infructueuses pour ce qui est un de ses films les brillants et à l'influence considérable. Si on devait résumer le film en un seul mot ce serait décalage tant il semble que ce soit le crédo de Guitry dans sa manière constamment surprenante de traiter. Cela se manifeste dès ce générique pas comme les autres où entre fausse fanfaronnade (Ce film je l'ai réalisé et produit moi même...) et vrai respect pour ses collaborateurs Guitry remplace le sacro saint panneau de noms d'équipe pour dévoiler ceux ci en plein travail ainsi que le casting au naturel.

Décalage à nouveau puisque passé cette mise en avant initiale la narration le verra monopoliser la parole en voix off, jouant tout les personnages. Le film est une sorte de duel constant entre la tradition du muet et une percutante modernité où le lien se fait justement par cette voix off entrecoupée de courts moment dialogués lorsque Guitry écrit ses mémoires dans un bar. Guitry narre ainsi de son timbre précieux et bourgeois l'irrésistible cheminement qui va conduire son personnage sur la voie de la tricherie. Les astuces narratives donnent un piquant et une drôlerie irrésistibles au récit où le phrasé de Guitry associés aux trouvailles de montage revient donc à cette idée de décalage.

L'ouverture sur l'enfance est la plus jubilatoire avec les jeux de mots rebondissant sur l'image en cours lors de la présentation puis la fatidique disparition de la famille où se manifeste déjà un jeu comique très outré et théâtral dans la gestuelle et les expressions des visages directement issu du muet. L'art de l'ellipse auréolé d'un certain humour noir s'exprime également dans la manière d'éliminer les différents membres de la famille à table lors du fatal repas de champignon empoisonnés, des petits bruitages ludiques et cartoonesque amplifiant la touche burlesque de l'ensemble.

Tout le film fonctionne ainsi, apportant toujours une petite idée supplémentaire qui permet d'éviter la redite. Ainsi lorsque notre héros déboule à Monaco, Guitry a l'audace d'insérer des images documentaire du Rocher qu'il détourne par son commentaire ironique mais aussi carrément les manipulant lorsqu'il raille le défilé journalier de la milice monégasque transformé en curieuse danse. Aucune audace n'est de trop comme cette séquence en forme d'ode à la beauté de sa compagne Jacqueline Delubac dont le visage charmant et le regard séducteur défile sous toutes les tenues et coiffures possibles, appuyées par les envolées de Guitry.

Le Scorsese des Affranchis et surtout de Casino s'annonce même lors d'une mémorable leçon de tricherie aux cartes où la mise en scène inspirée (le jeu avec le miroir pour l'apparition/disparition de la carte dans sa manche) se marie à un sens du rythme éblouissant dans la mise en situation notamment ce billet à demi placé sur la table de jeu. Les reproches des détracteurs lui reprochant parfois de faire du théâtre filmé s'avère particulièrement malvenus tant il fait preuve d'aisance et d'inventivité.

Le plus grand décalage c'est cependant la roublardise avec laquelle Guitry se joue du sujet du film. Le héros se trouve placé sur la voie du crime et du vice constamment malgré lui, presque toujours jouet des femmes et ne s'avère guère actif pendant l'essentiel de l'histoire. Une fois décidé à embraser sa nouvelle "carrière" le destin le ramènera paradoxalement dans le droit chemin par malchance quasi mystique (tout le passage avec Jacqueline Delubac) ou par l'illumination d'une rencontre lors du final. Roman d'un tricheur certes, mais d'un tricheur raté d'autant que Guitry met autant en valeur le brio de son héros (la séquence où défile tout ses déguisements et ce regard vers l'objectif contant dans un même mouvement d'appareils grandiose !) qu'il l'humilie en se moquant de son allure vieillissante et de sa couardise. La pirouette finale appuie d'ailleurs brillamment cette idée en dévoilant les nouvelles "fonctions" du tricheur. Un vrai petit bijou qui n'a pas pris une ride.


Sorti en dvd zone 2 français chez Gaumont dans une belle édition individuellement ou dans le coffret réunissant tout les films de la période 1936-1938 de Guitry.

Extrait

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