Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 31 octobre 2022

Moon Warriors - Zhan shen chuan shuo, Sammo Hung (1992)

Fei (Andy Lau), un simple pêcheur, était autrefois un puissant épéiste. Il déjoue une tentative d'assassinat contre le 13e prince (Kenny Bee) et l'aide à reconquérir le trône confisqué par son frère. Croissant de lune (Anita Mui) et Mo-sin (Maggie Cheung) apparaissent comme la future épouse et l'assistance du prince, tout en participant aux combats.

Moon Warriors est un wu xia pian typique, dans ses défauts et qualités, des spécificités du cinéma hongkongais dans ce qu'il a de plus charmant. En ce début des années 90, le wu xia pian retrouve grâce au succès des Swordsman produit par Tsui Hark un nouvel âge d'or qui entraîne dans la logique commerciale de Hong Kong une surproduction massive du genre. Moon Warriors dans son script ne se distingue pas des sommets de l'époque (L'Auberge du Dragon de Raymond Lee (1992), The Bride with the white hair de Ronny Yu (1993), Swordman 2 de Ching Siu Tung (1993)) et souffre des spécificités de production hongkongaises. On a ainsi l'impression dans la première demi-heure de change plusieurs fois de direction narrative et de protagonistes principaux. 

On est tout d'abord focalisé sur la cavale du prince déchu joué par Kenny Bee et l'amour secret que lui voue son acolyte Mo-Sin (Maggie Cheung), avant de vriller sur l'amitié du prince avec le modeste pêcheur Fei (Andy Lau) qui lui a sauvé la vie. Nouvelle rupture de ton lorsque Fei doit protéger Croissant de lune (Anita Mui)la future épouse du prince, les deux tombant amoureux dans l'aventure. Cette narration brinquebalante est en grande partie dû à l'effervescence de la production locale qui sollicite énormément ses stars. On devine ainsi que les étranges entrées et sorties de Maggie Cheung du récit (qui sur cette période 92/93 atteint son pic de popularité et de productivité à Hong Kong où elle est partout, dans tous les genres et registres dramatiques) vient d'aléas de planning avec lesquels a dû jongler Sammo Hung - qui explique d'ailleurs très bien dans les bonus du dvd une astuce de cadrage pour filmer un dialogue avec Kenny Bee que les acteurs n'ont jamais tournés ensemble.

Mais l'habitué du cinéma de Hong Kong est coutumier de ce type de rupture de ton et l'on finit par se prendre au jeu dans chacun des segments du film, par le charisme des acteurs et la facture superbe du film. Le quatuor amoureux Kenny Bee/Andy Lau/Maggie Cheung/Anita Mui déborde de charisme à défaut de fil rouge narratif tenu, celui émotionnel fonctionne parfaitement, que ce soit la romance naïve et coupable Andy Lau/Anita Mui tout en charme suranné, ou une Maggie Cheung torturée à souhait dans sa dévotion. Sur la cohérence du récit, Sammo Hung ne nous laisse guère le temps de trop nous poser de questions en nous pilonnant tous les quarts d'heure de phénoménales joutes martiales chorégraphiées de manière virtuose par Ching Siu Tung. Une forêt de bambou dont le sous-sol dissimule des ninjas, des adversaires se substituant à des dames de compagnies derrière un cerf-volant, la conclusion où un orque meilleur ami du héros (!) vient lui sauver la mise d'un coup d'aileron dans un moment critique, les idées folles abondent, exécutées avec une célérité, une énergie et une science du montage impressionnante. 

Le rythme effréné ne se ralenti que pour justement nous caractériser les personnages selon des motifs certes simples mais efficace pour nous attacher à eux. Le contraste entre le statut noble du prince et la désinvolture de Fei qui s'adresse à lui sans cérémonial scelle leur lien amical, cette même différence sociale sème la discorde puis finit par lier Fei et Croissant de lune. Sammo Hung pose dans ces instants une imagerie contemplative et romantique, alternant splendides décors studio et extérieurs somptueux porté par de belles compositions de plan, une photo stylisée de Arthur Wong. En définitive le côté bricolé n'est pas déplaisant, le mélodrame fonctionne à merveille et l'action décomplexée emporte le morceau. Tout ce que l'on aime dans le cinéma hongkongais de l'âge d'or. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Pathé

vendredi 28 octobre 2022

La Traque - Serge Leroy (1975)


 Une jeune anglaise est agressée par un groupe de chasseurs dans la campagne normande. Elle parvient à s’enfuir mais les notables décident de la traquer dans les marais.

Serge Leroy signe avec La Traque un des films les plus âpres et singulier du cinéma français de l’époque. Avec le Dupont Lajoie d’Yves Boisset sorti la même année, le film témoigne d’une mentalité violente et rétrograde d’une certaine France moyenne d’alors. Si Boisset dans la lignée de sa filmographie engagée assume la portée polémique de son propos, le cas de La Traque est différent. Si le film a une indéniable et d’autant plus forte portée féministe aujourd’hui au vu de ce qu’il dépeint, cela était assez inconscient, du moins pour le réalisateur et les acteurs si l’on en croit les souvenirs de tournage de certains en bonus de l’édition vidéo. C’est à l’inverse ce qui a sans doute attiré Mimsy Farmer qui en tant que femme a parfaitement perçu la portée du récit. Cet équilibre entre charge sociale, thriller et féminisme plus ou moins affirmé constitue justement la force du film. Le propos trop explicitement militant (à la Boisset des mauvais jours justement) aurait rendu l’ensemble moins noir et désespéré que l’éprouvant résultat auquel parvient Serge Leroy.

Le début du film équilibre immédiatement les forces en présence en cette journée de chasse. Il y a Helen (Mimsy Farmer), l’intruse vulnérable et ce groupe de chasseur se tenant chacun sous la coupe les uns des autres selon des attributs variés. Le trajet vers le pavillon de chasse puis le repas dans celui-ci nous montre les rapports de domination primaires et machistes que représente les frères Danville (Jean-Pierre Marielle et Philippe Léotard), sociale et financière que symbolise Sutter (Michael Lonsdale), tandis que les ambitions politiques de Mansart (Jean-Luc Bideau), les métiers de notaire de Rollin (Paul Crochet) ou d’assureur de Chamond (Michel Robin) les placent entre deux feux. Les inférieurs sont tout désignés, que ce soit par leur faiblesse de caractère, leur carrure moindre, statut social inférieur et secret honteux, tel le garde-chasse Maurois (Gérard Darrieu). Tout ce rapport s’expose de manière limpide dans des dialogues et situations triviales dont on ne comprendra l’importance que plus tard. A l’inverse, le sentiment d’insécurité d’Helen se devine de manière à la fois plus directe mais aussi insidieuse. Le regard appuyé de Philippe Léotard peu habitué à voir d’aussi élégante jeune femme alentour, la bienséance hypocrite de Mansart ne contredisant pas les allusions à une supposée liaison avec Helen, tout cela exprime un virilisme et une vision des femmes matérialisée par la passion de la chasse de ces hommes. 

Dès lors Helen dans sa confrontation au groupe symbolisera cette barbarie où elle ne se différencie pas du gibier que l’on traque et consomme pour le plaisir du geste. La résistance de la femme là aussi tout d’abord implicite, puis manifeste lorsqu’elle se défend d’un coup de fusil contre son agresseur revenu à la charge, représente la peur de ces hommes face à la modernité. Le gibier, le repos du guerrier inoffensif, ose mettre en danger leur toute puissance. Serge Leroy a la sagesse de filmer avec sobriété l’éprouvante scène de viol, et par la suite de caractériser de manière nuancée les chasseurs. Ils ne sont pas tout d’un bloc primaire, et c’est cette normalité et les différentes raisons qui les poussent à une cruauté commune (soumise au statut social et les apparences) qui les rend encore plus monstrueux. Philippe Léotard dégage un mal-être qui teinte son geste d’un contraste fait d’inéluctabilité et de regret, il marque un temps d’arrêt conscient pendant l’horreur, ce qui ne l’empêchera pas d’essayer de recommencer ensuite. Les autres hommes sont à l’avenant, pitoyables et abjects puisque tous ont une conscience morale et une peur des conséquences qui paradoxalement les entraîne plus profond dans l’ignominie. 

Serge Leroy fait subtilement fonctionner leur dynamique selon la scène du pavillon de chasse initiale, laissant entrevoir la volte-face possible de certains (Michel Constantin, Jean-Luc Bideau subtilement lâche), avant de faire voler tous les statuts en éclat et de démontrer une solidarité détestable entre eux. Tous les attributs initialement mis en lumière dans leurs interactions se dérobent pour illustrer leur vulnérabilité, notamment Michael Lonsdale diminué physiquement et délesté de son autorité de notable. Les scènes de poursuites en forêt (dont l'atmosphère de désolation automnale contribue à la noirceur) sont irrespirables, du fait de la fatalité que l’on devine dans l’issue de ce drame. Mimsy Farmer avec un rôle très peu parlant dégage un désespoir marqué par chacune de ses foulées à bout de souffle, par l’intensité de son regard. Sa silhouette fluette, isolée et désarticulée s’oppose toujours, dans les transitions de montage ou les compositions de plan, à la présence et entité unique que représentent les chasseurs. L’individualité fragile est écrasée par la force du collectif, qui n’aura même pas le courage d’aller au bout de son geste et en achevant leur proie. Une œuvre glaçante, éprouvante de nihilisme et de désespoir. 


 Sortie en bluray chez Le Chat qui fume

 

mardi 25 octobre 2022

Libertarias - Vicente Aranda (1996)


 En 1936, le déclenchement de la guerre civile espagnole oblige Maria, une bonne soeur, à quitter son couvent. Elle trouve refuge dans un bordel, où elle fait connaissance avec un groupe de femmes anarchistes qui luttent contre le régime franquiste, mais aussi, plus généralement contre l'ordre établi.

Vicente Aranda signe une magnifique fresque sur la guerre civile espagnole sous un angle original, celui des femmes. Le récit s'ouvre sur les prémices agités et nourris d'espoir du conflit où plusieurs destins vont se croiser. En cette ère de remise en question de toutes les institutions ayant directement ou implicitement contribué à l'oppression des démunis, l'église est une des cibles privilégiées. Maria (Ariadna Gil), jeune nonne n'ayant connu que le couvent est contrainte à la fuite et évite le pire en échouant dans une maison close dont elle est sauvée par un groupe de femmes anarchistes. Elle va se lier d'amitié avec les meneuses Pilar (Ana Belén) et Floren (Victoria Abril) qui vont élargir son horizon. Aranda évoque là le Mujeres Libres, organisation féminine libertaire créée par les premières figures féministes espagnoles et qui prit une part active dans la Guerre civile contre Franco. Tout au long du film, le groupe incarne un idéal social et paritaire qui va se confronter dans leur camp comme dans celui de l'adversaire franquiste aux écueils machistes du supposé "ancien monde". 

On se familiarise à cette idéologie, à ces protagonistes à travers le regard innocent de Maria. La jeune femme est la fois brusquée par le mépris fait de la religion qui fut toute sa vie, mais aussi intriguée et éveillée par la liberté qui s'offre à elle. Aranda montre sans jugement sa crispation face à la destruction des icônes religieuses, expose crûment la violence "nécessaire" du mouvement avec les exécutions sommaires de prêtres, illustrant une violence primaire et revancharde toute masculine au sein de cette révolution. A l'inverse la sororité, l'entraide et l'utopie socio-politique règne dans le groupe notamment par la caractérisation attachante et fantasque des meneuses. Ana Belen, Victoria Abril et Laura Mañá forment un trio charismatique et touchant qui amène leur vision du monde sur un terrain humaniste bienveillant autant que politique. Un des grands moments du film intervient dès le début lors du sauvetage de Maria dans la maison close, lorsque Aura déclame une tirade pleine d'emphase aux prostituées pour leur expliquer que cette société où est exploité le corps des femmes n'a plus lieu d'être. La scène prend initialement un tour comique avec les prostituées ne comprenant pas ce charabia militant, avant qu’Aura prenne une métaphore crue qui leur parle et leur fait endosser la cause.

La cohabitation et la relation homme/femme sur un pied d'égalité occupe également une longue séquence de siège dans les tranchées où le quotidien tout comme la réalité du front concerne tout le monde sans exception. C'est dans ces moments de vie ordinaires que Aranda fait exister, s'incarner le message par des protagonistes plutôt que le discours. Maria a ainsi assimilé les ouvrages politiques qu'on lui a soumis mais c'est réellement cette vie commune qui va affiner sa vision. Cela occasionne d'ailleurs une scène comique où les belligérants s'invectivent par mégaphone interposés et lorsque Maria s'empare du micro pour naïvement lancer une harangue politique se fait copieusement insulter. 

Le spectateur sait pourtant bien malheureusement l'issue du conflit et la nature éphémère de cette communauté, et l'ombre de la tyrannie franquiste à venir plane sur le récit, notamment une scène comico-mystique annonçant les heures sombres à venir. Une des audaces du film est d'écarter toute velléité romantique à laquelle on soumet trop systématiquement les femmes. La bagatelle pour le simple plaisir charnel vaut autant pour elles que pour les hommes, et Maria malgré un certain éveil amoureux ne quittera jamais ses compagnes pour cela. La tournure du conflit s'annonce presque lorsque les réflexes machistes rattrapent le camp du bien, ramenant une rigueur militaire qui exclut les femmes du front pour les réduire aux tâches domestiques. La conclusion est incroyablement cruelle et brutale en contrepoint de la parenthèse enchantée à laquelle on a assisté, faisant du film une forme de paradis perdu.

Sorti en dvd espagnol

lundi 24 octobre 2022

Thirst, ceci est mon sang - Bakjwi, Park Chan-wook (2009)


 Un jeune prêtre suit une expérience médicale et se porte volontaire pour tester un vaccin susceptible d'éradiquer une maladie qui sévit en Afrique. L'expérience est un fiasco, et le prêtre décède. Une transfusion sanguine d'origine inconnue le ramène à la vie, mais cette expérience le transforme progressivement en vampire. Rentré en Corée, sa résurrection attire les pèlerins. Parmi eux, il recroise la femme d'un ami d'enfance, aux charmes de laquelle il ne pourra résister.

Thirst, ceci est mon sang prolonge avec le déluré Je suis un cyborg (2006) la rupture entamée par Park Chan-wook après sa fameuse trilogie de la vengeance - Sympathy for Mister Vengeance (2002), Old Boy (2003) et Lady Vengeance (2005). Le réalisateur cherche ainsi dans les genres et le ton à se détacher de cette trilogie ayant fait sa gloire tout en creusant un même sillon thématique. Dans Thirst il va s’appliquer à revisiter le mythe du vampire tout en offrant une relecture du Thérèse Raquin d’Emile Zola dans le cadre contemporain de la Corée du Sud. Les personnages de Park Chan-wook s’inscrivent souvent dans une logique de cloisonnement à la fois mental et physique dont ils sont à la fois la cause et la solution. C’est le constat de la tragique conclusion d’Old Boy, c’est la folie douce et destructrice animant les protagonistes de Je suis un cyborg, ce sera la mue de l’héroïne de Stoker (2013) et ce qui permettra au couple de Mademoiselle (2016) de se défaire de ses chaînes. 

Dans Thirst, cette idée s’articule en deux personnages. D’un côté il y a le jeune prêtre Sang-Hyeon (Song Kang-ho) qui initialement guidé par un sacerdoce vivace, va se porter volontaire pour tester le vaccin d’une maladie dangereuse. La frustration d’accompagner les malades à leur fin sans pouvoir les sauver se mêle à une forme d’ennui et de torpeur entre le silence du monastère et les environnements neutres des hôpitaux. Son « sacrifice » a beau être sincère, c’est paradoxalement une manière de se sentir vivant dans le probable sort funeste qui l’attends. La dévotion du martyr vaut autant dans ce geste que la satisfaction de l’égo, l’emmenant ailleurs de ce qu’il a toujours connu. Contre tout attente il s’en sortira vivant mais transfiguré en obtenant les aptitudes, la faim et les faiblesses des vampires. De l’autre côté nous aurons Tae-ju (Kim Ok-vin), une jeune femme aux horizons plus restreint encore. Abandonnée enfant par ses parents au sein d’une famille dont elle a dû épouser le fils aîné, elle se morfond dans son foyer entre une belle-mère abusive et son époux homme-enfant hypocondriaque capricieux. Le vampirisme, d’abord indirectement puis plus explicitement, va venir à son tour bouleverser sa vie à travers la liaison torride qu’elle va entamer avec San-Hyeon.

En partant d’une base scientifique pour introduire le vampirisme, Park Chan-wook éloigne l’idée d’un mal indicible et surnaturel pour en faire l’instrument biologique d’un décloisonnement psychologique. Revenu différent, Sang-Hyeon devient une relique humaine admirée par les opprimés qui attendent désormais de lui des miracles divins plutôt que du réconfort. Dans ce lien constant entre l’organique et le psychique, l’éveil des sens de notre héros se joue sur les deux tableaux. Désormais sensible à l’odeur du sang et expérimentant la soif, Sang-Hyeon est attiré par Tae-ju par son sens olfactif (devinant qu’elle a ses règles menstruelles) avant qu’elle n’éveille ses sens dans la dimension charnelle du terme. Tae-ju quant à elle voit dans ce prêtre l’interdit qui bouleverserait son existence terne, il constitue plus qu’un amant par ce statut et d’autant plus quand il révèlera sa nature vampirique. Park Chan-wook a beau filmer des protagonistes aux capacités extraordinaires, ces derniers semblent malgré tout incapables de s’extirper de leurs chaînes physiques et psychologiques. Les lieux de l’intrigue se résument au monastère, à l’appartement, l’hôpital, et les rares extérieurs sont les rues qui relient chacun entre eux. 

Le vampirisme est une libération et une malédiction pour Sang-Hyeon tiraillé par sa formation religieuse au moment d’étancher sa soif. L’immortalité est un champ trop vaste pour lui, le sexe un plaisir qu’il ne se résoudra à assouvir que difficilement. A aucun moment l’idée de s’enfuir, de changer de ville ne vient au personnage subissant les aléas de leur liaison clandestine. Tae-ju dans une démarche tout aussi contradictoire n’exprime sa rébellion que dans le cadre contraint de ce foyer dont elle préfère sacrifier les obstacles plutôt que d’en construire un autre, ailleurs. Tant que persiste pour chacun ces entraves morales et/ou mentales, Park Chan-wook filme avec une méchanceté acéré la satire d’un quotidien médiocre et de personnages qui ne le sont pas moins. L’époux capricieux, sa mère étouffante (Kim Hae-sook) sont prétexte à des moments de comédies où Park Chan-wook s’approprie par sa causticité le ton plus noir de Thérèse Raquin dont il suit néanmoins la trame. Les idées formelles loufoques abandent, que ce soit pour moquer l’ennui bourgeois ordinaire (les parties de mah-jong) où expliciter la hantise de la culpabilité – l’époux décédé qui s’insère dans les ébats des amants. 

Lorsque le statut de vampire est désormais partagé par les Tae-ju et Sang-Hyeon, le réalisateur travaille une nouvelle fois la chair et l’esprit pour traduire leur différence. Le monde extérieur n’existe plus et se résume à un terrain de chasse nocturne pour une Tae-ju sans états d’âmes à tuer. L’appartement devient immaculé de blanc pour traduire l’humanité disparue des personnages. La dualité entre le psychique (et ce qui reste de conscience) qui tiraille Sang-Hyeon et l’organique auquel s’abandonne Tae-ju représente les deux faces d’une même pièce et qui font du couple des êtres incomplets - les nombreuses séquences filmées en nuit américaine ne sont d'ailleurs pas innocente pour traduire cet entre-deux. Le vampire résilient tel que souhaite l’être Sang-Hyeon est une hérésie, et celui immoral et sanguinaire tel que se rêve Tae-ju un danger. Plutôt que se déchirer, ils choisiront un sort commun et funeste que Park Chan-wook amène dans son style si insaisissable fait de burlesque et de tragédie romantique dans un final sublime auquel on pardonnera volontiers quelques effets numériques hasardeux. 

Sorti en bluray et dvd chez Wild Side et actuellement visible sur la plateforme Mubi