En pleine colonisation
japonaise en Corée, dans les années 1930, la riche japonaise Hideko (Kim
Min-hee) embauche la jeune servante coréenne Sook-hee (Kim Tae-ri) dans un
gigantesque et sombre manoir appartenant à son oncle tyrannique ; elle ignore
que cette dernière ourdit des plans maléfiques organisés avec un escroc (Ha
Jeong-woo) qui se fait passer pour un comte japonais.
Park Chan-wook s’était imposé auprès du public et de la
critique par un style singulier, entre sentiments à vifs et cynisme, entre
nihilisme et mélodrame, le tout porté par un mélange détonant d’humour à froid
et de propos social. Tous ces éléments culminaient dans la fameuse « trilogie
de la vengeance » (Sympathy for
Mister Vengeance (2002), Old Boy
(2003), Lady Vengeance (2005)) qui
consacra le réalisateur mais à l’issue de laquelle il devait se réinventer.
Romantisme et folie douce baignent ainsi un déroutant Je suis un Cyborg (2007), le romantisme noir de Thirst constitue un de ses sommets et la
première expérience américaine de Stoker
(2013) fait preuve d’une maîtrise et d’un fétichisme formel de tous les
instants. Toutes ces recherches annoncent ainsi le sommet qu’est Mademoiselle dans un captivant
renouveau.
Le film adapte le roman Du
bout des doigts de Sarah Waters dont il transpose l’intrigue dans (comme
nombre de grosse production coréennes récentes) la Corée sous colonisation
japonaise des années 30. Un choix tout sauf dû au hasard puisque cette présence
de l’envahisseur (un arrière-plan plus qu’un élément concret de l’intrigue)
symbolise le rapport dominant/dominé et la quête d’identité qui guide le récit.
Les deux « méchants » masculins, le comte (Ha Jeong-woo) et le
pervers Kouzuki (Jo Jin-woong) ont renié concrètement ou facticement leur
identité coréenne pour assouvir leurs pulsions pour le stupre ou le luxe. Pour
ce faire ils vont soumettre deux « instruments » féminin, la servante
Sook-hee et l’héritière japonaise Hideko (Kim Min-hee) et les entraîner dans ce
jeu de faux-semblant où elles vont se perdre à leur tour quant à leurs
identités et leurs sentiments. Le scénario à tiroir dessine une arnaque
virtuose ou l’enchâssement de mensonges, traitrises et manipulation se dispute
constamment au rapprochement progressif entre Sook-hee et Hideko. Ce sont des
figures jumelles dont les points communs se dessinent entre les mailles du
complot ourdi : deux orphelines de mère, farouchement individualiste et
façonnées par les hommes pour satisfaire leurs désirs physiques comme
matériels.
Park Chan-wook par l’extrême sophistication de son décorum gothique,
fusion fétichiste entre les cultures japonaises et occidentales, dresse ainsi
par l’image ce voile du paraître. Les deux premières parties du film renvoient
dos à dos Sook-hee et Hideko dans leur duperie, chaque dialogue, situation et
attitude trop ostentatoire renvoyant à l’arnaque en cours - dont le principe
même (interner ou feindre d’interner une riche pour toucher son héritage)
révèle le contexte machiste de cette société. Un espace ténu se dessine
pourtant dans cet édifice de l’arnaque, où les deux héroïnes vont se
rapprocher. Park Chan-wook l’exprime par un trouble érotique fait de
promiscuité physique dans ce rapport maîtresse/servante (la scène du bain et de
la dent), par une sincérité se révélant sous le mensonge et à l’inverse une
attirance suscitée par l’image factice renvoyée à l’autre.
Hideko par sa
gentillesse, son innocence et sa présence éthérée finit ainsi par émouvoir
Sook-hee regrettant de la livrer en pâture au Comte. De même Hideko entrevoit
la vérité des sentiments de Sook-hee jalouse et abattue, et voit en elle la
seule vraie compagne qu’elle n’ait jamais eue à sa solitude. Le montage cinéma
tire plus vers l’efficacité du film d’arnaque et ne révèle vraiment sa
dimension romanesque qu’à mi-parcours alors que la version longue esquisse par
un érotisme plus prononcé (le regard de Sook-hee s’attardant sur les seins d’Hideko
durant la scène de bain) ou séquences prolongées, qui tissent une incertitude
plus que la pure duplicité.
Les deux premières parties complètent ainsi le portrait des
deux héroïnes par une narration ludique et tragédie romantique flamboyante.
Déchirée entre leurs ambitions et leurs amours naissant, et le réalisateur
donne avec brio un sens multiple à des scènes renvoyant à ce questionnement au
fil du récit. La grande scène lesbienne se dote ainsi d’un érotisme piquant et
rieur tant que l’on n’adopte qu’un point de vue. Lorsque la vision sera complète
la sensualité initiale devient une passion fiévreuse et irrépressible dans un
déluge des sens où la mise en scène de Park Chan-wook capture l’ardeur intense
de ses actrices. A l’inverse lorsque le calcul ressurgit, la meurtrissure n’en
sera que plus profonde dans la scène où Sook-hee renvoie Hideko dans les bras
du comte. La séduction initiale peut justifier, même dans ce contexte
extraordinaire, l’avancée masquée de chacune mais quand l’amour véritable sera
avoué les héroïnes se devront d’être sincères et s’unir dans leur dessein.
C’est
une manière pour Park Chan-wook de faire la différence avec l’expression du
désir bien plus calculée et tordue chez les protagonistes masculins. Les scènes
de lecture d’Hideko la ramènent au statut d’objet de lubricité des auditeurs
hommes, en faisant une maitresse les assujettissant de sa seule intonation de
voix mais finalement malgré tout le jouet de leur fantasme en allant jusqu’à
mimer les positions dépeintes avec un automate. Tout dans le passif des héroïnes
les renvoient à fonction de satisfaire les hommes dont la libido façonnent la
personnalité du sexe faible. L’excitation que ressentent les hommes par
procuration et artifices, les amantes l’auront ressenti dans leur chair.
La troisième partie du film complète ainsi le tableau,
endossant le souffle romanesque où Sook-hee et Hideko unissent enfin leurs
forces. L’étouffant décor du château voit ses symboles de pouvoir balayés (le
serpent accueillant les visiteurs dans la bibliothèque, la littérature érotique
détruite), Park Chan-wook élargissant enfin le cadre, laissant voir les
extérieurs où cavalent le couple (sur un magnifique thème romantique de Jo
Yeong-wook). La claustrophobie reste désormais l’apanage des hommes dans un
épilogue étouffant renvoyant à l’ironie et au sadisme du Park Chan-wook d’antan.
Cette liberté se déploie totalement dans une dernière scène discutée. Le
réalisateur choisit le romanesque plutôt que le féminisme et donne donc tout au
long du film dans une imagerie ne renvoyant pas à la simple sexualité lesbienne,
mais à la passion amoureuse au sens large. Dès lors tout le film renvoie à ce
qu’il dénonce (l’emprise du regard masculin sur la sexualité féminine
fantasmée) tout en le contredisant.
La différence est que Park Chan-wook adopte
le regard du cinéaste et narrateur pour déployer son point de vue forcément
masculin, sans pour autant en écraser ses héroïnes et en exprimant leur
émancipation. La scène finale révèle donc le fantasme biaisé tout comme la
liberté retrouvée d Sook-hee et Hideko. L’instrument de punition masculine devient
le jouet sexuel de ces dames dans une étreinte lascive, puis la caméra de Park
Chan-wook les abandonne à leur plaisir pour un ciel lunaire signe de leur
perspectives désormais infinies.
Sorti en dvd zone 2 français chez M6 vidéo
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