L'inspecteur Takabe
est chargé d'enquêter sur une série de crimes mystérieux. En effet, l'assassin
est systématiquement retrouvé hébété et amnésique aux côtés de sa malheureuse
victime. Et curieusement, même si les meurtriers sont à chaque fois différents,
les cadavres ont tous la gorge tranchée en croix. La police appréhende un
vagabond soupçonné d'avoir rencontré chaque assassin avant son forfait.
Cure est un
tournant dans la carrière de Kiyoshi Kurosawa, première belle synthèse de ses
obsessions et l’œuvre de la reconnaissance occidentale. Le réalisateur s’était
jusque-là promené à la marge du cinéma japonais, entre court-métrage
expérimentaux marqués par ses influences de genre, expérience de studio
compliquée à la Nikkatsu tournage à l’économie pour la télévision et le marché
du V-Cinéma. Cure marque ses
retrouvailles avec le cinéma bien que sous influence de ses modèles américains
(l’atmosphère urbaine sinistre et le ton glacial évoquent le Richard Fleischer
de L’étrangleur de Boston (1968) et L’étrangleur de la place Rillington (1971))
le film est une porte d’entrée parfaite à son style.
Le mal dans sa nature incarnée et à la fois poreuse et
infectieuse marque toute la série de grand film fantastique de l’époque chez
Kurosawa. Dans Charisma (1999) un
arbre aux vertus surnaturelles a une étrange influence sur la population tandis
que Kaïro (2000) voit carrément le
réseau internet comme vecteur infini de la propagation de ce mal indicible. Dans
Cure le mal s’affiche à travers des
crimes mystérieux dont le procédé macabre est pourtant l’œuvre de tueurs
différents. Kurosawa montre progressivement le cheminement qui mène à ces
meurtres. Ce sont d’abord les scènes de crimes craspecs et les meurtriers
hébétés par leur acte, puis le surgissement neutre, absurde et incompréhensible
de la violence chez les quidams. Enfin nous découvrons ce qui précède avec l’assassin
hypnotiseur Mamiya (Masato Hagiwara) dont la vulnérabilité de façade amadoue
ses victimes avant qu’un rituel étudié ne les soumettent et incitent la
barbarie.
Une fois le déroulement ainsi détaillé (avec ses variations la flamme
d’un briquet ou une coulée d’eau entérinant l’assujettissement), Kurosawa
instaure une tension sourde la frayeur naît non pas de l’explosion inattendue de
la violence mais de son attente inéluctable. Nul besoin de musique ou d’un
découpage suggestif, la mort surgit dans une neutralité où se conjuguent le
détachement des meurtriers sous hypnose et une mise en scène dont la neutralité
rend l’angoisse plus palpable encore. On pense notamment à ce plan d’ensemble
filmé de loin où un policier abat son collègue avec un naturel terrifiant. De
même les jeux sur l’ellipse amènent les visions d’horreur comme une évidence
plutôt qu’une surprise quand nous découvrirons les ravages méticuleux de cette
femme médecin sur un cadavre dans des toilettes publiques.
Les deux héros sont les revers d’une même pièce dans cette
symbolique du mal. L’inspecteur Takabe (Kôji Yakusho) est ainsi écrasé par les
horreurs auxquels il assiste dans son métier mais aussi aux maux de son foyer
où il assiste son épouse névrosée. Forcer de cloisonner face à ces deux
situations dramatiques, il trouve un adversaire indéchiffrable à travers l’amnésique
Mamiya. Celui-ci est une page vide renvoyant chaque interlocuteur à sa propre
frustration et violence contenue et la réveiller. Kurosawa en joue par le
dialogue creux et répétitif de Mamiya, ainsi qu’un découpage qui articule un
piège où se laisse happer la victime passant de confesseur à confessé. Mamiya
semble en effet représenter la catharsis incarnée de cette société japonaise où
il faut toujours masquer ses émotions et faire bonne mesure face aux autres.
Le
personnage fait office de déclic à cette violence sourde et contenue qu’il
laisse donc exploser au hasard chez ses victimes. Chez Takabe ayant mentalement
séparé ses problèmes, cette infection du mal est plus diffuse. Les inserts
étranges, les hallucinations et le jeu de plus en plus fébrile de Kôji Yakusho
illustre donc cette infiltration insidieuse du démon dans la psyché et la
réalité du héros. La traque puis le duel des deux personnages captive ainsi de
bout en bout même si le film patine un peu plus une fois Mamiya emprisonné et
surtout quand il tente de donner un semblant d’explication (sur le passé de
Mamiya, sur la fascination pour Mesmer). Néanmoins le malaise et l’ambiguïté se
maintiennent jusqu’au bout, notamment par un acte final de Takabe dont on ne
saura s’il élimine le mal ou au contraire le propage définitivement. Une question
qui trouve sans doute sa réponse dans un plan-séquence absolument glaçant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
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