En 1917, la Révolution
Russe éclate. Le traitre Raspoutine est bien décidé à éliminer tous les
Romanov. Anastasia, la plus jeune enfant de la famille royale, parvient à
s'échapper grâce à Dimitri, un garçon de cuisine. Dix ans plus tard, réunis par
le destin, ces derniers partent pour un extraordinaire voyage qui les emmènera
de Saint Petersbourg à Paris, poursuivis à leur insu par l'infâme Raspoutine et
sa délirante chauve-souris Bartok…
Anastasia est une
des œuvres témoignant des bouleversements du cinéma d’animation américain, où
Disney s’apprête à enfin connaître une réelle concurrence. Jeffrey Katzenberg
ayant quitté avec fracas le giron de Disney crée la branche animation du studio
émergeant Dreamworks avec Le Prince d’Egypte
et Warner fait de même en produisant Excalibur,
l'épée magique. Anastasia sort
ainsi dans ce contexte où la proposition se fait plus large après la fin du
second âge d’or Disney sur Le Roi Lion
(1994). Le succès de Toy Story (1995)
et la révolution Pixar reste à confirmer et Disney loin du déclin des années
2000 parvient encore en sortir des réussites comme Hercule (1997) ou Mulan
(1998). Don Bluth reste pourtant à cette période le seul à avoir représenté une
vraie alternative, d’abord artistique avec le magnifique Brisby et le Secret de NIMH (1982) puis également commercial grâce
au triomphe de Fievel et le Nouveau Monde
(1986) et Le Petit Dinosaure et la Vallée
des merveilles (1988). Sans le parrainage d’Amblin sur ses films suivants (Charlie (1989), Rock-O-Rico (1991), Poucelina
(1994), Le Lutin magique (1994), Youbi le petit pingouin (1995)), Don
Bluth alignera les échecs commerciaux et cet environnement plus concurrentiel
arrive à point nommé lorsqu’il est sollicité par le Fox Animation Studios créé en 1994. Le premier projet sera donc cet
Anastasia que Don Bluth coréalise
avec son partenaire de toujours, Gary Goldman.
Le film peut au premier abord sembler manquer d’audace tant
il s’inscrit dans la pure filiation Disney. Alors que Brisby et Fievel avaient
réellement une volonté de se démarquer, Anastasia
aligne les figures imposées du studio aux grandes oreilles : héroïne
princesse (la confusion faisant parfois intégrer Anastasia aux princesses
Disney) chansons comme leitmotivs narratif et petits animaux en caution
enfantines pas toujours à bon escient avec la chauve-souris Bartok et un petit
chien. On retrouve également l’édulcoration disneyenne de rigueur du matériau
original, ici avec le contexte de la Révolution Russe essentiellement dû à un
sortilège de Raspoutine. Sous ces contours convenus Don Bluth offre néanmoins
un spectacle captivant qui puise dans la légende romanesque de la possible
survie de la princesse Anastasia, et plus précisément l’histoire d’Anna
Anderson « identifiée » comme Anastasia dans les années 20.
Cela
conduira Don Bluth à une foisonnante imagerie de la Russie tsariste, présentée
comme un paradis perdu. La reconstitution historique rigoureuse s’auréole ainsi
d’un faste de conte de fée mais derrière la facilité d’attribuer la Révolution
à Raspoutine, les inégalités y ayant conduit sont néanmoins introduite dans le
scénario. Don Bluth tout en éliminant tout message politique inscrit cependant
cette idée d’inégalité sociale à travers ses personnages. Alors qu’une Anastasia
encore enfant s’épanouit dans ce cadre somptueux, Dimitri assigné aux cuisine
mais désirant furtivement apercevoir les festivités du bal en est immédiatement
exclu. Ce bref moment anticipe la relation à venir entre les deux personnages
adultes, pour le meilleur et pour le pire puisque Dimitri contribuera à la
fuite d’Anastasia et sa grand-mère quand le palais royal sera assiégé.
Toute l’intrigue poursuit et entremêle donc cette splendeur
passée de la Russie tsariste dans la reconstruction de l’identité d’Anya/Anastasia,
tout en cherchant à en guérir les maux dans la possible romance entre la
possible princesse et le roturier Dimitri. Don Bluth crée une belle dynamique
de screwball comedy à travers ce couple mal assorti. Anya devant apprendre la
posture de princesse offre de nombreuses possibilités comiques par ses attitudes
désinvoltes et le tempérament orageux de celle ayant grandie dans la rue. On s’éloigne
là du canon Disney, que Don Bluth souligne par le design du personnage dont le
long visage ovale, les grands yeux et les attitudes masculines doivent d’abord
souligner le caractère fort avant la grâce royale. Il en va de même pour
Dimitri même si là Disney avait tout de même préparé le terrain par les
attitudes frimeuses d’un Aladdin
(1992) et c’est plus dans la caractérisation d’escroc à la petite semaine que
par sa conception visuelle que le personnage trouve son intérêt. Pour ce qui
est du cruel Raspoutine, Don Bluth reprend le design longiligne, amaigri et
intimidant du rat Nicodemus dans Brisby
et le secret de NIHM tout en accompagnant ce qui l’entoure d’un savant mélange
de de son classique de 1982 et de son passé Disney.
Les atmosphères sous-terraines
ténébreuses peuvent rappelant le ton fantasy
de Brisby mais les teintes verdâtres pour
évoquer les forces occultes, la sophistication du décorum gothique et certaines
séquences (Raspoutine descendant un escalier en colimaçon, entouré de créatures
entre l’amusant et l’inquiétant, son arrivée trouble fête lors du bal dont la mise en scène reprend celle de Maléfique) sont directement issus d’une esthétique vue
dans Blanche neige et les Sept nains
et La Belle au bois dormant - le
premier ayant donné la vocation de dessinateur à Don Bluth et le second étant
celui où il fit ses premiers travaux chez Disney en tant qu’intervalliste. Mais
là où dans Brisby, Don Bluth avait
réussi à déployer une noirceur vraiment originale Anastasia est plus convenu.
Raspoutine n’a qu’une imagerie superficielle et pas de vraie conviction et même
les quelques idées macabres (son corps décrépi dont se détache toujours un
membre ou un œil par inadvertance, le pacte avec les ténèbres lui donnant ses
pouvoirs) sont toujours désamorcées par un effet cartoonesque ou une remarque
de Bartok. D’ailleurs dans le récit Raspoutine s’avère finalement peu présent
et n’est qu’un prétexte à lancer des morceaux de bravoures (dont une époustouflante
péripétie en train) quand le tout se
ralenti un peu trop.
Heureusement le brio formel de Don Bluth est là pour
constamment nous éblouir. C’est là que repose la subversion, notamment lors de
cette scène de rêve où Don Bluth détourne l’imagerie disneyenne factice qui
mène Anya en pleine déambulation somnambule vers la noyade. La référence change
également lorsque l’intrigue se déplace à Paris, Don Bluth donnant une
sautillante version animée des Années Folles et plaçant habilement les clins d’œil
culturels (Folies Bergères, passages furtifs de Joséphine Baker, Claude Monet
et Auguste Rodin) dans une séquence musicale lorgnant le meilleur des comédies
musicales Stanley Donen/Gene Kelly. D’autres allusion sont plus subtiles comme
la robe portée par Anya lors du final qui est la même que celle d’Ingrid
Bergman dans le Anastasia d’Anatole
Litvak (1956), mis en musique par Alfred Newman tandis que son fils David
Newman s’occupe de celle du dessin animé – dont on retiendra particulièrement la
sublime chanson et thème musical Far from
the cold of December.
Don Bluth malgré les concessions apparentes fait de
toute la dimension princière un obstacle à l’épanouissement de ses personnages.
La grandeur du tsarisme est contrebalancée par l’injustice et la violence (et
façonne symboliquement son inverse absolu avec Raspoutine) et n’existe plus qu’en
tant que vestige du passé lors d’une magnifique scène où Anya ranime la magie d’antan
en traversant le palais royal en ruine. Ce n’est donc pas en renouant avec ce
passé que notre héroïne redéfinira son identité et Don Bluth place
intelligemment le climax final sur le Pont Alexandre-III dont la destruction
libère Anastasia de ce passé pour suivre sa voie. Le film sera un joli succès
laissant les coudées franches à Don Bluth pour le nettement plus aventureux
Titan A.E. (annoncé ici par les nombreux croisements entre 3D et animation
classique) dont l’échec retentissant signera malheureusement la fin de carrière
et la fermeture du Fox Animation Studios.
Sorti en dvd et bluray chez Fox et ressort en salle le 24 mai
Don Bluth revenant de loin, cette superproduction était en effet porteuse de beaucoup d'espoirs. Et si je continue à être séduit par le brio visuel du spectacle proposé ici, le côté convenu de l'intrigue, comme tu le notes, a vite cessé de me passionner. J'en pioche quelques bouts de scènes. Et c'est assez triste de constater que malgré le succès du film, Bluth verra à nouveau sa créativité entravée, et que ses meilleures années restent celles des 80's.
RépondreSupprimerE.
Pas revu depui longtemps mais j'ai plutôt un bon souvenir de Titan A.E., échec assez injuste qui achève prématurément sa carrière. Mais c'est l'époque où presque tous les projets concurrents de Disney en animation traditionnelle se plantent (Excalibur l'épée magique ou Le Géant de fer) donc apparemment il fallait rester dans les clous comme "Anastasia" pour marcher avec les conventions que ça impliquent malheureusement. Dommage que Don Bluth n'ai jamais pu revenir depuis mais l'animation 3d a pris le pouvoir par la suite...
SupprimerTitan A.E. reste impressionnant par les moyens mis en œuvre, mais le scénar pêche vraiment par son infantilisme et ses facilités. Et quand je vois que Bluth bataille aujourd'hui encore pour porter à l'écran Dragon's lair, ça me fait le même effet que Spielberg qui tient à réaliser Indy V...
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