Un jeune banquier convainc son père yakuza de se ranger et d’investir dans les casinos pour faire Osaka un nouveau Las Vegas. Les clans rivaux vont contrecarrer ses plans.
Tout au long de sa filmographie, Yoshimitsu Morita semble vouloir capturer dans ses intrigues et personnages une sorte de conflit entre intérêt matériels et questionnements existentiels. Sa manière d’aborder cet aspect oscille entre une approche ironique, stylisée et distanciée et au contraire une tonalité de mélodrame au choix flamboyant ou feutré. La première tendance paraît davantage s’inscrire dans ses films des années 80. La comédie noire The Family Game (1983) fait exploser le modèle de la famille japonaise traditionnelle, Sorobanzuku (1986) pose un regard outré et moqueur de la bulle économique par sa description farfelue d’une agence économique, et Kitchen (1989) semble détourner le premier degré du roman de Yoshimoto Banana qu’il adapte pour quelque chose de plus décalé dans l’imagerie et l’interprétation. Les années 90 sont au contraire le théâtre de drame poignants et osant le romantisme le plus appuyé dans des films comme Haru (1996) et Lost Paradise (1997). Cette interprétation n’est cependant pas figée puisque And Then (1985) est un somptueux mélo historique situé dans ces années 80 sardonique, quant au contraire le thriller The Black House (1999) déchaîne une folie sidérante.
Love and Action in Osaka constitue un intéressant entre-deux sur cette tonalité changeante de Morita. Il s’agit d’un film de yakuza, genre codifié s’il en est mais qui a déjà opéré sa mue, notamment dans les années 70 lorsqu’un Kinji Fukasaku a brisé l’image romantique du yakuza dans sa saga Combat sans code d’honneur. Durant les années 80, un Hideo Gosha tente aussi d’adapter les passages obligés du genre à des problématiques plus contemporaines, aux évolutions sociétales (l’importance stratégique des femmes dans Femmes de yakuzas (1986)). Creusant de nouveau cette problématique du matériel et de l’existentiel, Yoshimitsu Morita surprend encore dans Love and Action in Osaka. Les éléments classiques du film de yakuza, les rivalités et guerres de clans, sont bien présent mais comme étouffés, en sourdine tout au long du récit. Aux guerres d’égo et affrontements fratricides s’oppose un intérêt autrement supérieur, le profit financier. Le héros Toru (Toru Nakamura) est le fils d’un boss yakuza cherchant à se retirer du milieu. Toru est devenu un respectable banquier dont l’héritage familial ressurgit par intermittence lorsque la situation se tend, faisant presque figure de surhomme. Son passif lui sert à être sobrement mais fermement plus convaincant durant ses transactions, mais néanmoins il n’a pas suivi le chemin criminel. Dès lors il va choisir de reprendre les affaires et les membres du clan pour le démanteler et le faire muer en business respectable - ce qui correspond à une réalité de l'époque, les yakuzas transitant ou du moins affichant une vitrine légale à leurs affaires. Son rêve ? Façonner un Las Vegas japonais à Osaka. Il va se heurter à l’ancien clan rival Miike qui, fonctionnant selon les anciens codes, va chercher à contrecarrer ses plans sans même réfléchir au propre profit qu’il pourrait tirer d’un tel projet. Sans forcément se montrer condescendant envers les petites mains yakuzas, Morita montre un conditionnement au crime, un déterminisme insurmontable pour eux. Les anciens hommes de main et désormais employé de Toru ne peuvent s’empêcher de monter un trafic de drogue à son insu au sein du casino, Kirimiya (Masahiro Takashima) membre du clan Miike et ami d’enfance de Toru refuse les propositions de travail légal de ce dernier en se sentant redevable à sa « famille ». Morita exprime cette dualité à travers l’esthétique du film. D’un côté nous avons des décors transpirant le luxe et la superficialité « bling-bling » de cette opulence vulgaire de la bulle économique. De l’autre la photo de Yonezo Maeda gorge le film d’une teinte et de filtres violet constituant dans une sorte d’espace mental la prison et spirale inéluctable qui piège les protagonistes. On retrouve le brio de Morita pour capturer magnifiquement les espaces urbains, ici avec les vues nocturnes et omniscientes de la ville d’Osaka, et notamment la réminiscence de ces travellings avant sur le fleuve Yodo-gawa entouré de néons représentant l’avancée inéluctable d’un destin tragique tracé - le tout porté par le tube City Pop Osaka Bay Blues de Masaki Ueda. L’interprétation est remarquable, particulièrement Toru Nakamura sortant de ses rôles de chiens fous adolescents (dans la série Bebop High School ou The Shinjuku Love Story (1987)) pour incarner un élégant ambitieux, taciturne et charismatique. L’ironie de Morita par rapport au genre et codes yakuza se joue dans le duo aussi sournois qu’abstrait de chefs du clan Miike, et par certains éclats de violence aux excès dont le grotesque laisse apparaître la vacuité de ces batailles mafieuses.Sorti en bluray japonais et pour les parisiens visible en mai à la Maison de la Culture du Japon dans le cadre d'une rétrospective consacrée à Yoshimitsu Morita
Extrait musical
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