Au cœur de la pègre d'Osaka, une femme redoutable dirige un clan de cinq cents yakuzas tandis que son mari croupit en prison. Elle souhaite marier sa sœur à un notable non corrompu mais celle-ci est amoureuse d'un yakuza de la bande rivale.
La filmographie de Hideo Gosha se divise en trois axes majeurs, le chambarra (les classiques Trois samouraïs hors-la-loi (1964), Goyokin (1969), Les Loups (1971)…), les portraits de femme sur fond de film historique (Dans l'ombre du loup (1982), Yohkiroh,le royaume des geishas (1983), La Proie de l'homme (1985), Tokyo Bordello (1987)) et le film de yakuza (Quartier violent (1974), Portrait d'un criminel (1985)). Femmes de yakuzas s’inscrit dans les deux derniers à travers son récit criminel, son cadre contemporain et sa mise en valeur des figures féminines. Le genre du film de yakuzas a connu plusieurs mues, présentant les criminels sous un jour chevaleresque et romantique dans les années 60 avant que l’approche démythificatrice de Kinji Fukasaku (Guerre des gangs à Okinawa (1971), Combat sans code d’honneur (1973) et ses suites, Le Cimetière de la morale (1975)) vienne remettre en cause cela durant les années 70.
Femmes de yakuzas se déleste à la fois du sentimentalisme des années 60, mais aussi en partie du côté heurté et brutal des affaires d’hommes des années 70. L’intrigue se situe en plein cœur de la bulle économique du Japon et expose par son esthétique tapageuse, son décorum stylisé et bling-bling, cette ère du profit et de la superficialité. Une guerre de succession au sein d’un clan yakuza n’entraîne plus les batailles urbaines rangées d’antan, et ne suscite plus les passions humaines, n’observe plus les conflit moraux et amitiés heurtées d’autrefois. C’est du moins le cas chez les hommes, tout à leurs intrigues de palais et manipulation sournoise. Non, cette fois l’emphase est davantage à chercher du côté des femmes.Dans un premier temps, Gosha semble simplement proposer une alternative féminine au film de gangster, notamment lors de la scène d’ouverture variation de celle de Le Parrain (1972) où durant une fête Migiwa Awatsu (Shima Iwashita) recueille les doléances d’épouses de yakuzas incarcérés. Elle-même est l’épouse d’un chef de clan dont elle dirige les affaires en attendant sa libération prochaine. Toute ses actions dans cette guerre de succession visent ainsi à préserver la place vacante de leader pour son époux et, sous son sang-froid et son élégance c’est finalement une femme amoureuse et soumise. Cela se présente par ses décisions implacables, mais le film offre un autre visage de cette soumission à travers Makoto (Rino Katase), la sœur cadette de Migiwa. Elle incarne, sans l’expérience, le pouvoir et le sens stratégique le pendant de Migiwa en étant dévouée corps et âmes à Sugita (Masanori Sera), un sous-fifre yakuza. Alors que Migiwa s’affirme comme un égal respecté et craint de son mari absent, Makoto est totalement soumise à une petite main qui l’a pourtant « séduite » en la violant et en la forçant à l’épouser.Tandis que toutes les supposées notions de codes d’honneur s’effondrent avec les traitrises et tueries multiples en coulisses, ces deux femmes, à l’échelle de leur expérience et de ce que représente finalement leur compagnon dans le milieu, cherchent à tout prix à asseoir la place de leurs hommes. Les amitiés viriles et la chevalerie d’antan que l’on savait factices n’essaient même plus de faire illusion chez des yakuzas en constante représentation médiatique (une réalité au Japon où les clans étaient des institutions connues, les boss des personnages publics dans les années 80/90/2000 avant un sérieux tour de vis législatif les mettant à la marge de la société ces 15 dernières années). L’ultime et assez toxique cercle vertueux est donc l’amour inconditionnel de ces deux femmes, ces deux sœurs, qui vont finir par frontalement s’opposer. A cheval sur le drame intimiste et le récit criminel, Gosha montre cette confrontation en deux temps lors de sa conclusion. Il y a celle du règlement de compte armé et classique des guerres yakuza voyant la disparition des hommes, mais aussi et surtout une intense bagarre à mains nues entre les deux sœurs marquant leur rupture définitive. Cette séquence incroyable est filmée avec une intensité rare par Gosha, la rendant déchirante dans ce qui s’y joue et porté par un duo d’actrices impressionnantes et à bout de forces. Ce côté sur le vif se différencie des tableaux stylisés et morbides (incroyable mort de Sugita façon Eros et Thanatos dans un dernier plan saisissant) marquant la chute des compagnons masculins. Un grande réussite confrontant un romantisme trouble au cynisme de cette ère du profit matériel, appuyé par l’ambiguïté de son gros plan final – d'autant que Shima Iwashita reprendra plusieurs fois ensuite son rôle de boss yakuza lors des 15 (!) suites de ce qui deviendra une vraie saga.Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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