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mardi 19 mars 2024

Summer Vacation 1999 - 1999-nen no natsu yasumi, Shūsuke Kaneko (1988)


 Quatre garçons passent leurs vacances d'été ensemble dans un pensionnat. Yu, un des garçons, décide de mettre fin à ses jours en sautant d'une falaise suite à l'amour à sens unique qu'il porte pour Kazuhiko, un autre garçon. Un jour, un nouveau, nommé Kaoru arrive au pensionnat. Il ressemble fortement à Yu mais prétend être quelqu'un d'autre. Kazuhiko commence par être fasciné par Kaoru...

Summer Vacation 1999 est une superbe adaptation libre d'un des chefs d'œuvres du manga shojo, Le Cœur de Thomas de Moto Hagio publié en 1975. Le Cœur de Thomas appartient au shōnen'ai, un des sous-genres du shojo qui se caractérise par sa description des relations intimes entre jeune garçon. Par son côté chaste et sa prédilection pour les atmosphères romantiques, il anticipe mais se différencie également du boy's love qui sera bien plus explicite dans sa description de l'homosexualité masculine. On peut considérer que Moto Hagio, avec d'autres de ses collègues féminines ayant émergé du mouvement du Groupe de l'An 24, est une des fondatrices de ce courant qu'elle alimentera aussi avec un autre de ses titres phares, le récit vampirique Le Clan des Poe publié à la même période. 

Esthétiquement et thématiquement, ces titres se caractérisent par la profonde androgynie de ses personnages masculins, la délicatesse et l'onirisme de ses atmosphères trouvant leur inspiration dans la culture européenne, et notamment cinématographique puisqu'une des influences de Moto Hagio sur Le Cœur de Thomas sera le film Les Amitiés particulières de Jean Delannoy - on peut soupçonner aussi qu'un film comme Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier a très certainement eut un impact important sur ce courant.

Le film de Shusuke Kaneko s'avère une adaptation assez fidèle, suivant en grande partie la trame du manga hormis sa conclusion très différente. Summer Vacation 1999 possède cependant sa propre identité, ses singularités que l'on peut en partie attribuer à Rio Kishida, collaboratrice phare du cinéaste d'avant-garde Shūji Terayama pour lequel elle signa les scripts de Les Fruits de la passion (1981) et Adieu l'Arche (1984). Summer Vacation 1999 se caractérise ainsi par un côté hanté et une dimension fantastique bien plus prononcée. Le film s'ouvre sur le suicide de Yu (Eri Miyajima), désespéré après avoir été éconduit par son camarade de pensionnat Kazuhiko (Tomoko Ōtakara), et qui va se jeter d'une falaise non sans avoir adressé une ultime lettre d'adieu à son aimé. Cette entrée en matière mystérieuse et dramatique envoute d'emblée, par son côté flottant et gothique jouant du contraste entre l'incroyable décor isolé du pensionnat à la pure architecture occidentale et le fait d'avoir des adolescents japonais. 

Shusuke Kaneko assume les spécificités et influences du manga, et en use pour installer un climat d'inquiétante étrangeté, entre psychanalyse et expression du surnaturel. C'est notamment le cas en choisissant de rejouer l'androgynie des héros de papier en les faisant jouer par des actrices, les traits, la silhouette et démarche de ces dernières ne laissant jamais planer le doute quant à leur genre (laissant planer l'influence du théâtre Takarazuka, forme sous laquelle fut d'ailleurs aussi adapté Le Coeur de Thomas) mais provoquant un trouble croissant chez le spectateur - on peut soupçonner un Bertrand Mandico d'avoir probablement vu ce film avant de s'attaquer à Les Garçons sauvages (2017). Autres partis-pris audacieux, celui de s'appuyer justement sur la photogénie de ses actrices uniquement, tout en les faisant doubler par d'autres interprètes ce qui ajoute une touche de bizarrerie mais contribue aussi à la dissonance de leurs émotions. 

Cette tonalité hantée s'illustre par le choix de vider le pensionnat de ses élèves en faisant se dérouler l'intrigue durant les vacances d'été. Cependant, le dernier jour de classe et le tumulte des départs n'existe que par le son tandis que les espaces sont vides, hormis les trois élèves contraints de rester, et qui avaient tous un lien affectif avec le disparu Yu. Un quatrième et nouvel élève va s'ajouter à eux, Kaoru (Eri Miyajima) qui s'avère le sosie parfait de Yu. Coïncidence étrange, fantôme venu les hanter, doppelgänger cherchant à les tourmenter, les questions abondent quant à cette ressemblance improbable. Cependant, le caractère bien trempé de Kaoru s'avère aux antipodes de la timidité de Yu même si chacune de ses actions constitue une réminiscence déstabilisante pour ses compagnons. 

Sa présence sert de révélateur aux autres quant à leur sentiments non résolus par rapport à Yu. Pour l'aîné Naoto (Miyuki Nakano) c'est le "retour" d'un rival alors qu'il est amoureux de Kazuhiko. Ce dernier est rongé par la culpabilité de sa responsabilité dans le suicide de Yu, sentiment ravivé par la présence de Kaoru. C'est aussi l'occasion pour lui de s'interroger sur les raisons l'ayant amenée à rejeter Kaoru dont on comprend qu'il partageait sans doute l'attirance. Enfin le cadet Norio (Eri Fukatsu, seule actrice non doublée et qui fera une grande carrière par la suite, vue dans Haru de Yoshimitsu Morita (1996) ou encore Vers l'autre rive de Kiyoshi Kurosawa (2015)) voyait en Yu son seul ami et camarade de jeu alors qu'il était rejeté par les autres.

Shusuke Kaneko installe un décorum rétrofuturiste, où la modernité incongrue (les adolescents travaillant sur des écrans d'ordinateur qui ajoutent involontairement à la touche vintage) s'invite dans un cadre convoquant justement un certain romantisme occidental et nostalgique. On se demande parfois si tous les protagonistes ne sont pas justement des fantômes rejouant la comédie d'émotions et culpabilités passées, par exemple par le fait qu'ils soient livrés à eux-mêmes sans la moindre présence d'un adulte, et l'aspect isolé du pensionnat. L'ambiance est en tout cas envoutante, les futilités et rires adolescents se disputant à des questionnements plus profonds sur l'amour, le deuil et le temps qui passe. 

Shūsuke Kaneko capture les extérieurs dans une magnificence pastorale baignée dans la photo diaphane de Kenji Takama, tandis que les intérieurs constituent un écrin sensuel où se libèrent les pulsions intimes, mais aussi se manifestent les possibles fantômes à travers les jeux d'ombres inquiétants et la colorimétrie bleutée. On est vraiment happé par cette touche étrange et introspective, appuyée par le score délicat de Yuriko Nakamura au piano, l'émotion fonctionne vraiment et l'ambiguïté sur les identités et intentions de chacun plane jusqu'au bout. Le film assume en effet une résolution fonctionnant davantage de façon sensitive et psychanalytique que logique, le côté hanté et répétitif existant jusqu'au bout, mais pour des protagonistes désormais apaisés et assumant leurs natures. Beau film s'emparant avec grâce et originalité des émois adolescents.

Sorti en dvd japonais

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