Petr est un jeune apprenti de seize ans qui vient de décrocher un petit boulot d’été. Au lieu de bronzer au bord de la piscine et de draguer les filles, il doit surveiller les clients d’une supérette afin d’empêcher d’éventuels vols. Sa filature catastrophique lors de son premier jour lui vaut un sermon par son père. Mais Petr n’y prête guère attention, tout occupé qu’il est à essayer de courtiser la jolie Asa...
L’As de pique est le premier long-métrage de Milos Forman et l’œuvre qui le placera en chef de file de la Nouvelle vague tchèque. Dans ce pan tchèque de sa filmographie, le réalisateur cherche à capturer la réalité locale et s’attarde dans chaque œuvre à un pan particulier de la population. La jeunesse à ses faveurs dans L’Audition (1963, réunion de deux court-métrages) avec ces adolescents cherchant à intégrer une fanfare puis une pièce de théâtre, puis plus tard le regard se fait féminin dans Les Amours d’une blonde (1965) en suivant les mésaventures sentimentales d’une jeune travailleuse. La tendresse et l’indulgence s’évaporent cependant quand il s’agit d’observer les travers des adultes dans Au feu les pompiers (1967), satire virulente qui marque le désenchantement de Forman sur le monde qui l’entoure. Même si les évènements politiques forceront son départ du pays, le réalisateur semblait arrivé au bout d’un certain constat désabusé sur son environnement.
L’As de pique porte tout cela en germe, par cet instantané du quotidien de la jeunesse tchèque avec son jeune héros Petr (Ladislav Jakim). Tout dans sa petite vie illustre la schizophrénie tchèque, entre progressisme économico-social et mœurs arriérées. Il est jeune apprenti dans une supérette (ce type de commerce étant alors une nouveauté dans le pays) mais est assigné à une tâche bien singulière, celle de surveiller les clients adeptes du vol. On peut y voir une sorte de métaphore de la paranoïa et du climat délateur des pires régimes communistes puisque Petr ne doit pas s’afficher comme employé du magasin, mais se fondre parmi la clientèle pour d’autant mieux la prendre la main dans le sac. Le malheureux Petr a bien du mal à assumer cette fonction sournoise et se fait tancer par son patron, dont la probité est par ailleurs questionnable sur d’autres points.Notre héros est donc partagé entre l’hédonisme juvénile désormais davantage permis au adolescents (scène de bal, flirts) et les relents douteux de la mentalité des aînés. L’attitude passive-agressive de ses parents et plus particulièrement de son père rend le foyer aussi inconfortable que tous les autres lieux où Petr ne se sent jamais vraiment à sa place. Incertain quant à ses aspirations futures, il se sent sommé de déjà choisir une voie mais l’ensemble des possibilités sont pétries de contradictions. L’injonction parentale et précisément paternelle obéit à une logique de soumission et d’un vécu oppressant que n’a pas connu Petr, l’application de sa tâche d’apprenti le conduit à un constat et dilemme cruel – la découverte des failles parentale lorsqu’il constate le vol de sa propre mère à la supérette.Forman fait déjà montre d’un vrai brio formel, partagé entre la spontanéité et le filmage sur le vif des scènes de bal, tandis que qu’une certaine rigidité et statisme domine les scènes de boutique en adoptant le point de vue de Petr. Entre ces deux voies, il y a une esthétique plus pastorale où, loin du jugement et des ordres des espaces confinés (la maison et la supérette), les instants de vie plus spontané et la romance timide peuvent surgir. Cette incertitude domine jusque dans une surprenante séquence finale où culminent tous les doutes, y compris dans l’esthétique et le choix de ce plan fixe de conclusion sur le père.
Sorti en bluray français chez Carlotta
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