Avant la révolution russe à St Petersbourg, le sinistre moine Raspoutine démontre qu'il a le pouvoir surnaturel de tranquilliser les fous et guérir les malades. Mais à quel prix ? Aidé de ses pouvoirs d'hypnotiseur, Raspoutine entame une quête de pouvoir et de richesse dépravée et sans scrupules...
Raspoutine, le moine fou est une des œuvres qui sème les graines de quelques réussites de la Hammer exploitant davantage la veine occulte/sorcellerie que les grands monstres gothiques à la Dracula/Frankenstein. Cette évocation de la figure sulfureuse de Raspoutine était destinée dans le scénario initial d’Anthony Hinds à bénéficier d’un traitement historique assez rigoureux. Dans cette démarche, le studio prend les devants en contactant Felix Yusupov, un des tenants du complot qui visa à assassiner Raspoutine en 1916. Raspoutine depuis sa mort a suscité de nombreuses légendes ayant alimentées la culture populaire dont le cinéma qui lui consacre de nombreuses œuvres dont Raspoutine et l’Impératrice de Richard Boleslawski (1933) avec Lionel Barrymore dans le rôle-titre. Ce film en utilisant les vrais noms des tenants et aboutissants de l’affaire suscita un retentissant procès, et c’est en voulant s’éviter une déconvenue semblable que Hammer anticipe en soumettant le scénario à Yusupov encore vivant. Face à une nouvelle menace juridique, le studio se voit donc contraint de s’éloigner de ses velléités réalistes pour faire de Raspoutine, le moine fou une œuvre plus conforme à ses standard habituel dans le fantastique.
On va donc suivre l’ascension de Raspoutine (Christopher Lee) jusqu’aux hautes sphères et le cercle rapproché de la tsarine (Renée Asherson). Le virage du projet écarte grandement les intrigues de palais, le sens politique et la stratégie de Raspoutine mettre sa réussite sur le compte de ses aptitudes surnaturelles. Si le déroulé est un peu crédible et trop linéaire, la prestation de Christopher Lee et la mise en scène de Don Sharp confèrent tout son intérêt à l’entreprise. La scène d’ouverture voit Raspoutine déployer ses pouvoirs pour sauver la femme mourante d’un aubergiste. Si l’on ne met pas en doute les dons du « personnage », ses intentions s’avèrent d’emblée discutable. Dans un premier temps, il n’est guidé que par ses instincts paillards et en premier lieu son goût pour les femmes et la boisson. La guérison n’intervient que parce que le patron ne peut lui servir à boire si son épouse est malade, et une fois le miracle réalisé il profitera de son crédit pour abuser de la fille de son hôte. Raspoutine apparait donc comme un homme n’agissant que par calcul, qu’en voyant plus loin, même si au départ l’ambition ne dépasse pas ses besoins les plus primaires. Cela va changer avec son arrivée à Saint-Petersburg.Cette facette de Raspoutine s’illustre par le jeu extravagant et la présence intimidante de Christopher Lee, et par l’approche formelle de Don Sharp. Ce dernier pousse son acteur vers une interprétation excentrique et inquiétante (Lee échappant là avec plaisir au hiératisme de Dracula) et instaure une atmosphère menaçante lors des démonstrations de Raspoutine. Dès la guérison initiale, Sharp se déleste de toute imagerie biblique dans les ténèbres de la chambre et Raspoutine parait davantage donner une injonction à la malade que la délivrer de son mal. Il l’écrase de ses mains, la soumet à sa voix de stentor et lui impose son regard pénétrant pour la réveiller. Malgré la bonne action, la scène baigne dans un certain malaise, et c’est par des variations du même dispositif que Sharp va initier les manœuvres cette fois explicitement négatives de Raspoutine.Dès lors le curseur sera mis sur un érotisme prononcé lors de la scène d’hypnose de la suivante Sonia (Barbara Shelley), délestée de sa volonté en même temps que méticuleusement effeuillée de ses vêtements dans un filmage langoureux. Don Sharp adopte une sorte de vision subjective lorsque Raspoutine assujetti ses victimes, par un cadre dans le cadre figurant à la fois ses paupières et le piège dans lequel il enferme quiconque croisera trop longtemps son regard – l’hypnose de la tsarine. Une fois cette approche acquise, Sharp la prolonge sans que Raspoutine déploie réellement ses pouvoirs, mais simplement par l’expression de l’emprise et de la peur qu’il suscite chez son interlocuteur. Ce sera le cas lorsqu’il poussera Sonia au suicide, mais surtout durant la scène où il défigure Peter (Dinsdale Landen). Ce dernier pénètre dans la demeure de Raspoutine, et est guidé dans le noir par la voix de ce dernier. L’effet visuel « d’obturation » n’adopte plus le point de vue de Raspoutine, mais s’intègre dans la réalité elle-même avec le les yeux fous de Raspoutine toisant de toute sa folie sa victime terrifiée.Le tournage souffrit d’utiliser les mêmes décors que Dracula, Prince des ténèbres (1965) tourné en même temps, le réaménagement constant pour dissiper la ressemblance suscitant quelques retards. Malgré cela, le film bénéficie d’une reconstitution soignée (malgré le soupçon de l’usage d’un stock-shot lors du plan d’ensemble d’une scène de bal) dans les environnements et costumes dont les robes dangereusement pigeonnantes de Barbara Shelley, Suzan Farmer et Renée Asheton. Seule déception, et de taille, la mort par empoisonnement de Raspoutine promettait une séquence mémorable au vu des précédents morceaux de bravoure du film et, sans démériter, paraît assez timorée tout de même. Une autre scène plus conforme à l’outrance de l’ensemble avait apparemment été tournée mais fut écartée par crainte de censure car trop anticléricale – on peut la repérer sur quelques photos d’exploitation. Malgré ce petit bémol, Raspoutine, le Moine fou est en tout cas une belle réussite et renouveau pour la Hammer.Sorti en bluray français chez Tamasa
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