Deux hommes au passé trouble, Glyn McLyntock et Emerson Cole, escortent la longue marche d'un convoi de pionniers. Arrivés à Portland, les fermiers achètent des vivres et du bétail que Hendricks, un négociant de la ville, promet d'envoyer avant l'automne. Les mois passent et la livraison se fait attendre. McLyntock alors retourne à Portland avec Baile, le chef du convoi. Ils découvrent une ville en proie à la fièvre de l'or. Hendricks, qui prospère en spéculant sur ce qu'il vend aux prospecteurs, refuse de livrer la marchandise.
Les Affameurs est le second des cinq westerns que tournent ensemble Anthony Mann et James Stewart, dans une série de film désormais mythiques - Winchester 73 (1950), L'Appât (1953), Je suis un aventurier (1954) L'Homme de la plaine (1955). L’un des contributeurs majeurs à ces réussites est Borden Chase, romancier et scénariste dont la plume nourrira grandement l’essor du western durant les années 50, pour Anthony Mann (Winchester 73, Les Affameurs et Je suis un aventurier) et bien d’autres (La Rivière rouge d’Howard Hawks (1950), L’Etoile du destin de Vincent Sherman (1952), Vera Cruz de Robert Aldrich (1954), L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor (1955)). On ressent sa patte ici dans l’impressionnante efficacité narrative (personnages complexes, péripéties, contexte social tenant sur 1h30 dans un équilibre parfait), la capacité à développer des protagonistes attachants et truculents, ainsi que des réminiscences habiles de ses travaux précédents. Les conflits humains au sein d’un convoi rappellent La Rivière Rouge, et le personnage mi-ange, mi-démon d’Arthur Kennedy préfigure grandement le Burt Lancaster de Vera Cruz.
Anthony Mann pose néanmoins son empreinte sur le film, formellement et thématiquement. Tous les westerns avec James Stewart et même d’autres à suivre comme Du sang dans le désert (1957) voient les héros d’Anthony Mann déchiré entre leur humanité et leurs bas instincts, entre la civilisation et la barbarie. On retrouve cela ici avec Glyn McLyntock (James Stewart), homme au passé trouble de pillard au Kansas qui souhaite accéder à une existence plus paisible de fermier. Pour ce faire il escorte un convoi de pionniers en Oregon dans l’espoir de s’installer à leur côté. En sauvant du lynchage Emerson Cole (Arthur Kennedy), il se lie d’amitié avec un homme connaissant son passé et dans lequel il voit ce à quoi il ne veut plus ressembler. L’ensemble du film semble dessiner cette trajectoire double pour ses personnages, entre tentation et rédemption, corruption et probité. Ainsi l’affable Hendricks (Howard Petrie) vend vivre et bétail aux pionniers avant de se dédire plus tard quand la fièvre de l’or aura fait grimper les prix. Laura (Julie Adams), fille douce et chaste de pionnier, commence à se métamorphoser au sein de l’influence corruptrice de la ville de Portland et dans les bras de Cole. Dans une moindre mesure, le jeune Trey Wilson (Rock Hudson) sera aussi constamment partagé entre sa morale personnelle et les habitudes viles nées de son quotidien de joueur de carte.Toute l’histoire se présente donc comme une ultime mise à l’épreuve avant de possibles lendemains de paix. Il y a la dichotomie propre aux héros, mais celle aussi plus collective au sein du monde qui les entoure, entre les colons aspirant à une nouvelle vie par l’effort et le souci collectif, et les prospecteurs d’or tous plus immoraux et individualistes cherchant le raccourci à un bonheur plus superficiel. Les antagonistes changent au fil de l’histoire, mais le véritable ennemi semble bien être l’avidité humaine. Anthony Mann soumet ses héros à l’épreuve par les armes, mais surtout par le défi des éléments. Le réalisateur était réputé pour refuser les tournages dans les extérieurs aménagés par les studios (et facile d’accès aux quatre coins de la Californie) pour privilégier une vraie authenticité à travers des productions se déroulant sur les lieux-mêmes des intrigues dépeintes.Le résultat lui donne raison puisque son sens de la composition et du paysage livre des moments absolument prodigieux pour magnifier les plaines verdoyantes et les panoramas montagneux d'Oregon. Les vignettes sont impressionnantes, telle cette ouverture où l’on découvre le convoi avec ces chariots s’étalant à perte de vue dans le cadre. Ensuite on sera ébloui par la pure majesté et le sentiment de plénitude durant la traversée de la rivière en bateau à vapeur. Le sentiment d’effort et de défi imposé par la nature est aussi palpable lorsqu’il s’agira d’affronter les premières neiges pour ramener les provisions à la colonie. Enfin, lorsque les armes devront parler la gestion de l’espace d’Anthony Mann fait merveille pour traduire l’astuce et l’endurance de McLyntock lorsqu’il piègera ses ennemis, fera peser sur eux la menace de sa terrible réputation. Le fil rouge thématique et la possibilité de changer, de passer de fruit pourri à être vertueux. McLyntock semble longtemps défendre ce droit à changer pour Cole auprès du chef de convoi dont il a séduit la fille, mais pense avant tout à lui-même. Les circonstances laissent planer le spectre de ses anciennes habitudes, mais il parvient constamment à les étouffer tandis que la bonhommie de Cole va laisser place à l’avidité et le laisser révéler son vrai visage. C’est captivant de bout en bout et porté par une prestation tout simplement magistrale de James Stewart. Le film sera tout comme Winchester 73 un immense succès et se place aisément parmi les plus grands westerns jamais réalisés.Sorti en bluray français chez Rimini
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