Dans un village breton du bord de mer, le drame
pointe entre le riche mareyeur et le châtelain, tous deux amoureux de
la blonde Odette.
Pattes blanches est le premier film d'après-guerre pour Jean Grémillon, venant près de six ans après Le ciel est à vous
(1949). Entretemps le réalisateur aura rencontré les pires difficultés
pour mener un nouveau projet, le désistement des producteurs mettant
enterrant son projet sur La Commune de Paris tandis que Le 6 juin à l'aube
(1945) son film documentaire sur le Débarquement est réduit à un
moyen-métrage de 44 minutes (après une sortie initiale respectant ses 75
minutes). Pattes blanches est à l'origine
un projet de l'homme de théâtre Jean Anouilh qui pense en faire sa
première réalisation mais il tombera malade peu avant le début du
tournage. Jean Grémillon prend sa place non sans quelques remaniements
comme replacer l'intrigue dans un cadre contemporain. Dans l'ensemble le
film offre un heureux mariage entre les dialogues nettement plus
chargés d'emphase et la théâtralité prononcé de certaines scènes qu'on
imagine venant d'Anouilh avec le réalisme et la noirceur typique de
Grémillon.
Le scénario pousse à leur paroxysme des motifs
typiques de Grémillon, l'écriture d'Anouilh renforçant la facette
tragique où tout le drame semble s'articuler dans un même mouvement
d'acte de théâtre où la notion de temps qui passe n'a plus cours.
L'arrivée de la belle Odette (Suzy Delair) dans une ville portuaire
bretonne est ainsi l'élément déclencheur des névroses et rancœurs
profondément enfouis chez tous ceux qui graviteront au tour d'elle. Les
démons de chacun s'illustrent explicitement par le dialogue et la
présence fiévreuse de Maurice (tout jeune Michel Bouquet) fils
illégitime et amer de l'ancien châtelain local dont le mal-être
transpire à chaque apparition. C'est plus subtil pour son demi-frère et
châtelain torturé Keriadec (Paul Bernard dans un rôle voisin de celui
qu'il tenait dans Lumière d'été), reclus
dans son domaine, écrasé par un passé restant trouble pour ses années
loin du village et pesant pour tout ce qui concerne les méfaits de son
père coureur bien connu.
Les deux personnages poursuivent ou malmène
Odette d'un amour supposé les guérir de leur maux (Keriadec) ou les
aider à accomplir une vengeance longuement mûrie (Maurice). Grémillon
retrouve là son thème du clivage social ou une bourgeoisie aveugle et un
prolétariat revanchard/calculateur s'opposent. Tous les personnages
sont plus ou moins en lutte avec eux-mêmes à ce titre et basculent du
calcul à la sincérité. Odette aguiche grossièrement Keriadec en quête de
clinquant avant de tomber sincèrement amoureuse de Maurice, ce dernier
acceptant le passé qu'il devine dissolue d'Odette sauf quand il
apprendra qu'elle a été la maîtresse de son demi-frère. Les figures les
plus "populaires" sont les vrais victime, le mareyeur Jock (excellent
Fernand Ledoux) sous ses airs vulgaires étant sincèrement amoureux
d'Odette qu'il gâte en vain tandis que la modeste servante Mimi (Arlette
Thomas) ne peut qu'aimer à distance Keriadec, en réminiscence moins
torturée de la Madeleine Renaud de Lumière d'été.
Dès
l'approche réaliste exprime un bonheur fragile possible et à l'inverse
la théâtralité et facticité s'invite pour signifier l'impossibilité d'un
rapprochement (le champ contre champs sentant le studio lors de la
première rencontre entre Mimi et Keriadec), la manipulation (Keriadec
cédant à ses pulsions charnelles dans le somptueux cadre du château) et
illustrer/anticiper les penchants violents des personnages (le cadrage
bref mais appuyé quand Keriadec s'empare d'un des gamins qui le nargue).
Le beau rapprochement entre Maurice et Odette se déploie dans un
somptueux extérieur quand les accents baroques d'une rencontre nocturne
dans une grange signent leur inéluctable éloignement.
Les grands espaces
succèdent aux intérieurs étouffant, la nuit au jour, le tout dans une
contradiction constante des actes et sentiments de protagoniste indécis
en le malaise passé et la promesse d'avenir. La grande séquence de
mariage atteste de cette dichotomie, le drame se déployant dans un pur
moment de joie collective. La fin est emblématique à ce titre, une
flamboyante et onirique scène de danse (là encore des rêveries
inhabituelle chez Grémillon) montrant une impasse sentimentale et morale
étant suivi d'un départ digne, apaisé et néanmoins dramatique dans un
pur environnement réaliste. L'irréel dans les aspirations des héros,
dans l'idéalisation de l'autre ou tout simplement dans son approche
formelle tire toujours vers l'échec et le drame. Le réel n'offre que
d'éphémère moment de répit dans une œuvre d'une grande noirceur.
Passionnant même si l'épilogue vaguement policier est un peu expédié.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont
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