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mardi 13 mars 2018

Pattes blanches - Jean Grémillon (1949)

Dans un village breton du bord de mer, le drame pointe entre le riche mareyeur et le châtelain, tous deux amoureux de la blonde Odette.

Pattes blanches est le premier film d'après-guerre pour Jean Grémillon, venant près de six ans après Le ciel est à vous (1949). Entretemps le réalisateur aura rencontré les pires difficultés pour mener un nouveau projet, le désistement des producteurs mettant enterrant son projet sur La Commune de Paris tandis que Le 6 juin à l'aube (1945) son film documentaire sur le Débarquement est réduit à un moyen-métrage de 44 minutes (après une sortie initiale respectant ses 75 minutes). Pattes blanches est à l'origine un projet de l'homme de théâtre Jean Anouilh qui pense en faire sa première réalisation mais il tombera malade peu avant le début du tournage. Jean Grémillon prend sa place non sans quelques remaniements comme replacer l'intrigue dans un cadre contemporain. Dans l'ensemble le film offre un heureux mariage entre les dialogues nettement plus chargés d'emphase et la théâtralité prononcé de certaines scènes qu'on imagine venant d'Anouilh avec le réalisme et la noirceur typique de Grémillon.

Le scénario pousse à leur paroxysme des motifs typiques de Grémillon, l'écriture d'Anouilh renforçant la facette tragique où tout le drame semble s'articuler dans un même mouvement d'acte de théâtre où la notion de temps qui passe n'a plus cours. L'arrivée de la belle Odette (Suzy Delair) dans une ville portuaire bretonne est ainsi l'élément déclencheur des névroses et rancœurs profondément enfouis chez tous ceux qui graviteront au tour d'elle. Les démons de chacun s'illustrent explicitement par le dialogue et la présence fiévreuse de Maurice (tout jeune Michel Bouquet) fils illégitime et amer de l'ancien châtelain local dont le mal-être transpire à chaque apparition. C'est plus subtil pour son demi-frère et châtelain torturé Keriadec (Paul Bernard dans un rôle voisin de celui qu'il tenait dans Lumière d'été), reclus dans son domaine, écrasé par un passé restant trouble pour ses années loin du village et pesant pour tout ce qui concerne les méfaits de son père coureur bien connu.

Les deux personnages poursuivent ou malmène Odette d'un amour supposé les guérir de leur maux (Keriadec) ou les aider à accomplir une vengeance longuement mûrie (Maurice). Grémillon retrouve là son thème du clivage social ou une bourgeoisie aveugle et un prolétariat revanchard/calculateur s'opposent. Tous les personnages sont plus ou moins en lutte avec eux-mêmes à ce titre et basculent du calcul à la sincérité. Odette aguiche grossièrement Keriadec en quête de clinquant avant de tomber sincèrement amoureuse de Maurice, ce dernier acceptant le passé qu'il devine dissolue d'Odette sauf quand il apprendra qu'elle a été la maîtresse de son demi-frère. Les figures les plus "populaires" sont les vrais victime, le mareyeur Jock (excellent Fernand Ledoux) sous ses airs vulgaires étant sincèrement amoureux d'Odette qu'il gâte en vain tandis que la modeste servante Mimi (Arlette Thomas) ne peut qu'aimer à distance Keriadec, en réminiscence moins torturée de la Madeleine Renaud de Lumière d'été.

Dès l'approche réaliste exprime un bonheur fragile possible et à l'inverse la théâtralité et facticité s'invite pour signifier l'impossibilité d'un rapprochement (le champ contre champs sentant le studio lors de la première rencontre entre Mimi et Keriadec), la manipulation (Keriadec cédant à ses pulsions charnelles dans le somptueux cadre du château) et illustrer/anticiper les penchants violents des personnages (le cadrage bref mais appuyé quand Keriadec s'empare d'un des gamins qui le nargue). Le beau rapprochement entre Maurice et Odette se déploie dans un somptueux extérieur quand les accents baroques d'une rencontre nocturne dans une grange signent leur inéluctable éloignement.

Les grands espaces succèdent aux intérieurs étouffant, la nuit au jour, le tout dans une contradiction constante des actes et sentiments de protagoniste indécis en le malaise passé et la promesse d'avenir. La grande séquence de mariage atteste de cette dichotomie, le drame se déployant dans un pur moment de joie collective. La fin est emblématique à ce titre, une flamboyante et onirique scène de danse (là encore des rêveries inhabituelle chez Grémillon) montrant une impasse sentimentale et morale étant suivi d'un départ digne, apaisé et néanmoins dramatique dans un pur environnement réaliste. L'irréel dans les aspirations des héros, dans l'idéalisation de l'autre ou tout simplement dans son approche formelle tire toujours vers l'échec et le drame. Le réel n'offre que d'éphémère moment de répit dans une œuvre d'une grande noirceur. Passionnant même si l'épilogue vaguement policier est un peu expédié.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont

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