Personnalité majeure à avoir émergé du cinéma à grand
spectacle américain 20 dernières années, Christopher Nolan a enfin droit à un
vrai ouvrage analytique à travers la plume incisive de Timothée Gérardin. Nolan
se présente au fil d’œuvres de plus en plus monumentales comme une sorte de
grand architecte au service de concepts complexes et d’une approche solennelle
sollicitant autant l’intelligence que l’attention du spectateur.
L’auteur entrecroise ainsi tous les pitch « high
concept » du réalisateur pour démontrer la manière dont il permette d’embarquer
le spectateur dans ce qui doit toujours constituer une expérience filmique
singulière – l’attachement profond de Nolan à la salle du cinéma, au format à
grand spectacle que sont le 70 mm et l’IMAX en témoigne. L’économie de moyen de
l’inaugural Following (1998) oblige
le réalisateur à des procédés formels et narratifs radicaux qui reposent sur
une volonté de manipuler le spectateur en lui faisant partager le point de vue altéré
de son héros manipulé à travers un fétichisme des objets et un montage tour à
tour explicatif, efficace et transcendant. Dans Following cela part d’une fâcheuse habitude de son héros apprenti
romancier et dans nombre de ses films à venir, un handicap/trauma/faille du
protagoniste principal déterminera la nature de l’usage de ces procédés
présents dès ce premier film. L’amnésie antérétrograde du héros de Memento (2000) autorise ainsi la
narration à rebours du film, l’insomnie d’Al Pacino dans Insomnia sa dimension cotonneuse, sans parler de la volonté de
vengeance du Bruce Wayne de Batman Begins
(2005), la rivalité et le deuil du Prestige
(2006) ou la culpabilité d’Inception.
Ce mal originel rend les protagonistes d’autant plus maniaque et rigoureux à
dompter leur environnement qui s’avèrera toujours traitre et les soumettant à
un adversaire qui les manipule (la conclusion de Memento, le tueur d’Insomnia (2002)
la véritable identité de Ra's al Ghul voir le pouvoir de L’Epouvantail dans Batman Begins). Timothée Gérardin
définit ce désir inassouvi de contrôle à travers des motifs récurrents qui
peuvent être sensitif (les tatouages du héros de Mémento pour maintenir le souvenir de sa femme) ou rattaché à des
objets (les objets conservés par le cambrioleur de Following, le totem d’Inception,
les polaroïds de Memento encore, la
panoplie de gadget de Batman) mais peuvent là aussi s’avérer trompeur. Le
sentiment de toute puissance peut également guetter le héros avec la
technologie d’espionnage collectif mise en œuvre par Batman dans The Dark Knight (2008) et la quête du
tour propre à défier son rival pour Angier dans Le Prestige.
La notion de point de vue altéré est ainsi une manière pour
Nolan de nous introduire à des concepts sortant du tout venant du blockbuster
dans un mélange constant de rigueur et de ludisme, d’un profond sérieux et d’un
appel à l’aventure et aux mondes inconnus. Timothée Gérardin voit dans les
univers visités par Nolan un mélange de réalisme et d’évasion où la rigueur de
l’explication (les rêves enchâssés d’Inception,
les trous de vers d’Interstellar (2014))
laisse à imaginer des possibilités immenses soumises à des règles qui ne
demandent qu’à être bouleversées. Le désordre n’est donc jamais loin dans les
architectures méticuleuses de Nolan ce que souligne l’auteur avec l’agent du
chaos qu’est le Joker dans The Dark Knight,
les irruptions de l’inconscient de Cobb qui perturbent la mission d’Inception.
Timothée Girardin souligne la manière éminemment symbolique dont s’orne ce
désordre en creusant le prisme social et politique de tous les méchants de la
trilogie Batman, notamment la manière dont celle-ci redéfini de façon verticale
la gestion de l’espace de Nolan. Les scènes où Batman domine la ville appuie
cette idée entre Batman Begins et The Dark Knight voire même le type de
véhicule utilisé passant de la batmobile au batpod puis au batwing arpentant
les airs dans The Dark Knight Rises
(2012). Pour appuyer le côté social, le méchant Bane supposée guide des
sans-grades vit puis surgit littéralement des profondeurs par lesquels il va
aspirer un stade de football dans une des scènes les plus spectaculaires de The Dark Knight Rises.
Un des aspects les plus passionnants du livre concerne la
dimension profondément humaine de l’œuvre de Nolan et des préoccupations de ses
personnages. On voit souvent en lui un cinéaste cérébral et froid quand les
drames personnels marquent tous ses personnages et où la quête aussi
vertigineuse soit-elle visent un but profondément intime. Les enchevêtrements
narratifs et les visions grandiloquentes donnent une dimension insondable et
épique à un espoir aussi simple que retrouver ou sauver sa famille (Inception et Interstellar), l’odyssée pliant ou raccourcissant la notion de
temporalité. L’émotion d’Interstellar
naît des décennies et du décalage séparant Cooper de sa fille, la force de l’amour
surmontant (dans une notion tout aussi irrationnelle que logique) cette
impossible distance et Inception
fonction selon la même idée et s’achève (de façon ambigüe certes) selon un même
apaisement. Le montage de Nolan se soustrait alors de ses vertus
explicative/roublarde pour viser une véritable transcendance multipliant les points
de vues dans des conclusions puissantes. Le tournant est Interstellar où se conjugue destin individuel et collectif, où
sauver la terre équivaut à sauver sa famille. Cela nous emmène vers le
stupéfiant Dunkerque (2017), œuvre la
plus radicale de Nolan où l’individu s’estompe au profit du collectif de l’héroïsme
anglais et où le montage alterné vise à de pures vertus sensorielle dans une
sécheresse narrative, de dialogues, de lieux et de situations amenées à se
rejoindre dans cette même idée de transcendance.
Ce ne sont que quelques éléments épars tirés de l’analyse
passionnante de Timothée Gérardin dont la précision, l’originalité et la
rigueur font honneur à un des cinéastes contemporains les plus audacieux et
créatifs.
Edité chez Playlist Society
J’admire beaucoup le réalisateur Christopher Nolan, car je trouve que ses films ont un style unique. J’ai regardé « Everyman’s War : l’offensive des Ardennes » sur une application iOS, et je trouve qu’il ressemble à « Dunkerque », un des grands succès de ce cinéaste. Bien sûr, comme vous parlez d’ « Interstellar » dans votre article, je dois vous dire que c’est un film qui m’a fait rêver.
RépondreSupprimer