Philip Carey, jeune
homme handicapé d'un pied bot, quitte Paris où il a vainement tenté de devenir
peintre, et abandonne toute ambition artistique. Il s'installe à Londres où il
s'inscrit à la faculté de médecine. Par l'intermédiaire d'un camarade il fait la
connaissance de Mildred Rogers, une serveuse. Il en tombe amoureux. Cette
dernière n'éprouve aucun sentiment particulier envers lui mais entend profiter
de la situation. Obsédé par cette femme il ne peut se détacher d'elle et
continue à lui faire la cour.
L’Emprise est un
puissant mélodrame qui marque une date à Hollywood. C’est en effet l’œuvre qui
mettra fin à la période dite « Pré-Code ». Les scandales privés des
stars hollywoodiennes (dont un Kenneth Anger se délectera plus tard dans son Hollywood Babylone) ont provoqués une
indignation publique dans laquelle s’engouffrent les différentes ligues de
vertus scandalisés depuis longtemps par l’amoralité galopante du cinéma muet
des années 20. C’est l’instauration en 1930 du Code Hays sous la férule du
sénateur William Hays et du très catholique censeur Joseph Breen dans le but de
véhiculer une image plus saine et morale à l’écran. Le code est instauré mais pas appliqué par des
studios encore libres qui oseront de nombreuses productions audacieuses mais L’Emprise sera une des œuvres qui fera
basculer cet état de fait. Le film est une adaptation du roman Of Human Bondage de William Somerset
Maugham et, entre légère édulcoration du matériau d’origine et un savant
équilibre entre provocation et morale finale attendue, l’ensemble ne semble pas
se détacher du modèle du Pré-Code social souvent produit par la Warner.
La commission Hays exigera plusieurs révisons du scénario de
Lester Cohen notamment que la profession de prostituée du personnage de Mildred
(Bette Davis), explicite dans le roman, devient une serveuse. Tous ces efforts
se verront cependant totalement balayé par l’interprétation de Bette Davis. L’actrice
végète alors à la Warner dans des rôles peu marquants mais elle attirera l’attention
de John Cromwell qui la repère en femme fatale sudiste dans Ombres vers le sud de Michael Curtiz.
Jack Warner refuse cependant de la prêter à la RKO pour un rôle dont la nature
sulfureuse à déjà fait fuir des stars installées comme Katharine Hepburn, Ann
Harding ou Irene Dunne. Le nabab pense qu’un tel rôle risque de tuer l’aura
glamour d’une Bette Davis à la recherche d’une performance marquante et qui
finira par obtenir gain de cause. L’Emprise
est le film qui impose John Cromwell comme un des maîtres du mélodrame
hollywoodien, sa finesse étant un des attraits majeurs de l’ensemble.
Le regard de l’artiste contrarié qu’est le héros Philip
Carey guide l’ensemble du film où la beauté réside dans l’imperfection et l’abject
dans l’attrayant. C’est ce que cherche à faire comprendre son professeur à
Carey face à la joliesse superficielle de ses peintures en lui affirmant qu’il
ne sera jamais un artiste. Dès lors Carey va chercher à s’accomplir à baignant
de sa bonté les maux de la société en suivant des études de médecine. Le personnage
en lui-même représente cette facette, son caractère pur et bienveillant étant
altéré par le handicap physique d’un pied-bot. Ce complexe va l’inciter à
tomber sous le charme de Mildred dont les atours dissimulent un caractère
véniel et intéressé. La première rencontre se place sous le signe du dialogue
piquant dans le restaurant (même si la séduction lourde avec le riche client
joué par Alan Hale donne des signes avant-coureurs) jusqu’à ce que Carey révèle
son pied-bot à Mildred.
Dès lors le rapport dominant-dominé s’instaure, Carey
étant avant tout subjugué par la beauté « parfaite » de Mildred qui
peut se jouer des complexes de son prétendant. Cromwell use de diverse manière
pour une bascule constante du rêve au cauchemar. Le fondu ou le panoramique
flouté amène vers des amorces de moments romantiques dont le procédé formel
ferait presque croire qu’il s’agit d’une scène de rêve. A chaque fois, une
rebuffade, un mot blessant et une pure manifestation de cruauté ramènera un
Carey humilié à la dure réalité - le pire restant cette demande en mariage
avorté en tête à tête. La seule scène de romance sera explicitement imaginaire
quand Cromwell introduit un cadre dans le cadre illustrant les visions du
sommeil agité de Carey.
Tout le film offre ainsi un va et vient de retour et d’abandon
entre Carey et Mildred où cette notion de beauté et d’imperfection s’inverse.
Guidé par une obsession amoureuse impossible à éteindre, Carey fait preuve d’une
générosité sans faille à chaque nouvelle retrouvaille avec une Mildred de plus
en plus avilie. Soudain l’intérieur déteint sur l’extérieur, Carey étant
symboliquement guéri de son pied-bot quand la déchéance physique et morale de
Mildred ravage ses anciens attraits.
La prestation de Bette Davis est
exceptionnelle (et anticipe de façon plus crue tous les grands rôles de garces
magnifiques à venir), le jeu outré, les pose scandaleuse et le maquillage
outrageant (réalisé par l’actrice elle-même) explicitant tout ce que la censure
du Code Hays chercher à masquer dans l’écriture. L’ultime vision de Mildred,
avachie et le regard égarée dans son taudis, est un puissant instantané de
déchéance. Hormis ces images fortes, Cromwell aura su se montrer plus ironique
précédemment quand une Mildred va se plaindre du caractère « immoral »
des œuvres d’arts de nu dans l’appartement de Carey – peu après avoir été
repoussée par celui-ci après une séduction grossière.
Toute relation dominant/dominé tout au long du film inclus
cette idée de beau et de laid qui s’entrecroise, s’inverse et s’ignore,
particulièrement pour Mildred se plaisant à humilier et ne recherchant que des
partenaires lui faisant de même. Ces entraves guident un récit étouffant et
claustrophobe qui n retrouve réellement l’extérieur et la lumière du jour que
dans la belle dernière séquence entre Leslie Howard et Kay Johnson.
Sorti en dvd zone 2 français chez Lobster
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