Une troupe de
music-hall joue dans un théâtre de Broadway. Mais on apprend juste avant une
représentation que la vedette, bêtement blessée au pied, est partie à l'hôpital
: l'assistante doit la remplacer séance tenante.
The Boy Friend est
une œuvre que Ken Russell semble réaliser afin de montrer un visage plus
lumineux que sur ses sulfureuses réalisations précédentes, Women in love (1969), The Music Lovers (1970) et surtout Les Diables (1971). Russell adapte ici la comédie musicale éponyme de Sandy
Wilson, véritable triomphe des scènes britanniques dans les années 50 et qui
contribua à l’ascension de Julie Andrews lorsqu’elle fit ses début à Broadway. Le
film constitue une petite parenthèse dans la filmographie « musicale »
de Ken Russell, coincé entre les grands biopics de compositeurs qui ont fait sa
gloire (The Music Lovers, Mahler (1974), Lisztomania (1975)) et le triomphe du plus contemporain Tommy (1975) transposant un fameux album
du groupe rock The Who.
Russell s’approprie le matériau original en en doublant l’intrigue,
celle de la pièce étant le fil conducteur d’une mise en abyme autour d’une
troupe de théâtre qui va la jouer tout au long du film. Par ce choix le
réalisateur explicite la nature de son projet qui est moins une adaptation de
Sandy Wilson qu’un hommage à la comédie musicale américaine hollywoodienne.
Nous sommes donc dans les coulisses d’un théâtre qui s’apprête à jouer The Boy Friend et où la modeste
assistante Polly s’affaire à résoudre les petits tracas des capricieux
artistes. C’est la panique lorsque la vedette Rita (Glenda Jackson) blessée au
pied ne peut assurer son rôle. Impossible d’annuler d’autant qu’un invité
prestigieux s’est glissé dans l’audience, le réalisateur De Thrill (Vladek
Sheybal) par lequel tous rêvent d’être repéré. Polly est donc contrainte tant
bien que mal de remplacer la vedette.
Russell entremêle la fiction et les coulisses, tout le
déroulement et l’interprétation de la pièce évoluant selon les états d’âmes des
acteurs. L’extravagance habituelle du réalisateur se révèle ainsi
progressivement. Dans un premier temps le filmage classique de l’espace scénique
se mêle à un chaos assez artificiel des cadrages (une contre-plongée où la
caméra s’agite un peu vainement) et des champs contre champs attendu avec les
spectateurs. Russell ne joue alors là que sur le registre de la comédie et de
la confusion, traduisant les peurs d’une Polly plus intimidée qu’habitée. Les
aspirations de la troupe se seront distillée subtilement en amont et
contamineront bientôt l’illustration du musical. Chaque rêverie étend soudain
les frontières scéniques à travers une imagerie signifiant autant les pensées
secrètes de chacun qu’un hommage à une veine de la comédie musicale.
Lorsque le metteur en scène Max (Max Adrian) imagine le
spectacle qu’il pourrait diriger avec plus de moyens, le théâtre miteux se mue
en une flamboyante scène de Broadway où Russell déploie des hymnes tonitruants,
des apartés dansés dans des environnements pittoresques, abstrait et
grandiloquent – dans la tradition des grandes comédies musicales MGM des années
50. Le vrai nœud romanesque repose cependant sur l’amour secret que voue Polly
à son séduisant partenaire Tony (Christopher Gable) et les principaux soubresauts
formels accompagneront cette romance contrariée. Un regard chargé de passion de
Polly transporte l’ensemble dans un pur moment de rococo dionysiaque avec l’ensemble
de la revue en toge dans une forêt luxuriante où Russell joue à plein de l’imagerie
féérique (bien aidé par la photo diaphane de David Watkin) tout en s’en moquant
à travers la présence ridicule de Zeus ou de Cupidon. Là on a le souvenir des
visions folles de Le Songe d’une nuit d’été
de William Dierle et Max Reinhardt (1935) mariant avec un même brio magie et distance
amusée.
Le dispositif sait alterner de la scène à cette extension mentale,
les enjeux plus terre à terre étant synonyme de comédie pure (la rivalité faite
de coup bas en plein spectacle entre Tommy (Tommy Tune) et l’ambitieuse Fay
(Georgina Hale)) tandis que le drame autorise l’outrance. Russell sait aussi
modifier de manière inattendue les points de vue, la hauteur (de regard comme d’emplacement
dans sa loge) de De Thrill faisant naître d’un détail (un tourne disque qui
flanche) un pur moment à la Busby Berkeley. Le cercle du disque vinyle devient
une piste de danse dont le noir contrebalance les tenues pâles du couple Tony/Polly
et déploie ensuite les célèbres figures géométriques et transformistes humaines
de Busby Berkeley (sans complètement en égaler la rigueur presque martiale tout
de même).
L’hommage est complet avec ce travelling traversant une forêt de
jambes pour s’arrêter sur le couple radieux, tout comme dans cet autre clin d’œil
appuyé où par la grâce des effets optiques et du maquillage le visage de Polly
est démultiplié sur toutes les danseuses à l’image. L’intrigue ajoutée par
Russell sonne d’ailleurs comme un appel du pied à Berkeley (les géniaux Prologue (1933) et 42e Rue (1933) ne sont pas loin) avec ce spectacle en train de
se monter et s’improviser et son héroïne novice, d’ailleurs une Polly paniquée se
voit donner pour conseil de « faire une Ruby Keeler » soit la si
charmante et candide actrice des meilleures comédies musicales de Berkeley.
Les faux-semblants, les doutes et atermoiements amoureux de
l’envers du décor rejoignent idéalement ceux de la pièce de Sandy Wilson. L’émotion
fonctionne à chaque fois doublement grâce à l’agencement habile du scénario
mais aussi de la superbe interprétation de Twiggy. L’idole du Swinging London
tient là son premier rôle au cinéma et conserve de son talent de mannequin un
langage corporel malléable et extériorise ses sentiments dans un jeu de mime
tour à tour déséquilibré et puissamment iconique. Son visage fait passer avec
une expressivité constante (ce regard lorsque Tony lui enlève ses lunettes
avant son entrée sur scène) tout le tourbillon de sentiment de Polly doutant de
l’amour de Tony sur scène et en dehors, une même séquence faisant la bascule de
l’un à l’autre.
Le premier baiser sur scène est ainsi gâché par le fait que
Tony flirte avec une autre jeune femme en coulisse. Ce côté mime est d’ailleurs
pleinement assumé lors d’une des dernières séquences où Polly est déguisée en
Colombine attendant son Pierrot. Russell l’isole dans d’immense décor de nuit
bleutée qui surligne son visage triste et androgyne. Les artifices scéniques
grossiers vus précédemment sont transposés avec une poésie rare dans ces lieux
imaginaire traduisant le spleen : voile de tulle sur l’image, objets et
silhouettes découpés/dessinés se mélangeant aux jeux d’ombres et effets visuels
(Les Powell/Pressburger de Les Contes d’Hoffman
(1951) ne sont pas loin dans ce plan d’ensemble de clair de lune et gondole vénitiennes).
Toujours en équilibre délicat entre ces multiples influences
(le cinéma muet sera aussi de la partie), sa propre folie et l’éclat romanesque
jamais démenti, Ken Russell nous propose une œuvre envoutante porté par cet allant festif des Années Folles. Le fait d’assister
à une représentation dans son entier en fait un spectacle vivace et sans temps mort.
The Boy Friend n’a certes pas la renommée sulfureuse des plus fameux travaux du
cinéaste mais s’affirme néanmoins comme une de ses plus éclatantes réussites.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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