Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mercredi 29 février 2012

Love - Women in love, Ken Russell (1969)

Durant les années 1920, en Grande-Bretagne, deux sœurs au caractère indépendant s’assument pleinement en exerçant chacune un métier différent. Gudrun est artiste-sculptrice tandis qu'Ursula est institutrice. Deux hommes de la bourgeoisie locale, des industriels miniers, sont séduits par ces deux femmes émancipées. Mais ce quatuor de personnalités aiguisées se retrouve bientôt en pleine confusion sentimentale...

Women in Love est un des films les plus célébrés de Ken Russell, celui dont le succès le lance sur les fructueuses et controversées œuvres des années 70. Cette adaptation d'un des romans les plus sulfureux de D. H. Lawrence va offrir un écrin idéal à son gout de l'excès et de l'expérimentation, ici encore relativement retenue en comparaison des films plus furieux à venir. Le projet échoit un peu miraculeusement à un Ken Russell loin d'être encore une valeur sûre pour les producteurs et ayant surtout oeuvré à la télévision. Le réalisateur Silvio Narizzano qui sortait du succès de Georgy Girl (déjà un récit d'émancipation féminine décalé) décide pour son film suivant d'adapter le roman de D.H. Lawrence mais des problèmes personnels l'obligent à quitter le projet qu'il a initié. Les producteurs approcheront en vain Jack Clayton, Stanley Kubrick ou encore Peter Brook pour finalement se rabattre sur Ken Russell qui avait déjà fait montre d'une excentricité et d'un sens formel certains dans une œuvre de commande comme Un cerveau d'un milliard de dollars (1967) où il dynamitait la série d'espionnage des Harry Palmer.

 Le contexte social de libération sexuelle se prête particulièrement à des adaptations de D.H. Lawrence. La version intégrale de L'Amant de Lady Chatterley fut publiée en 1960 au terme d'un procès retentissant, et cette atténuation de la censure joue aussi au cinéma avec plusieurs adaptations de l'auteur dont la plus fameuse sera Amants et fils (1960) de Jack Cardiff. Ken Russell par sa folie visuelle et son sens de l'excès sera cependant le plus fidèle avec son approche frontale des élans charnel de Lawrence. L'Angleterre post-victorienne et sortant de la Première Guerre mondiale du livre appelle une libération des carcans sociaux et moraux dans laquelle se reconnaîtra le jeune public des années 60 qui vit une même situation.

Le casting sera de longue haleine où seul Alan Bates (vedette de Georgy Girl) est engagé dès le départ dans le rôle de Rupert Birkin. La production impose le bankable Oliver Reed pour jouer Gerald Crich au détriment d'Edward Fox plus proche physiquement du personnage du livre. Le choix de Glenda Jackson pour la belle Gudrun pose problème également malgré le talent de l'actrice, jugée pas assez séduisante par rapport à l'image du livre. Elle subira un relooking de choc pour être rendue suffisamment attractive la production lui faisant redresser la dentition, enlever les varices des jambes (!) et lui donnant une coiffure plus glamour. Quant à Jennie en seconde sœur Brangwen, elle profitera de la désaffection d'actrices de premier plan comme Faye Dunaway ou Vanessa Redgrave (effrayées d'être éclipsées par Glenda Jackson au rôle plus riche) sur la fois de rushes d'essai effectués face à Peter O'Toole pour Un Lion en Hiver où elle n'obtenu pourtant pas le rôle. Le livre de D.H. Lawrence fit scandale à sa parution au début des années pour les mêmes raisons que d'autres de ses ouvrages, sa teneur sexuelle. Ici il s'attachait aux tourments intimes de deux femmes émancipées et donc au comportement considéré comme immorale par sa sexualité sans tabou. Russell rend bien cet aspect avec cette description des deux sœurs Brangwen Gudrun (Glenda Jackson) et Ursulla (Jennie Linden), jeune femme bouillonnante d'expériences nouvelle et coincées dans un environnement morne et une société conformiste.

A travers leurs rencontre et leurs liaison avec deux séduisants hommes issus de la bourgeoisie locale et tout aussi frustrés, ce sont deux visions de l'amour, du couple et autant d'impasses qui se dessinent. La première partie dépeint d'abord longuement le cadre peu attrayant où évoluent nos personnages. Cité minière aux voisinages peu ragoûtants (déjà exploité dans Amants et fils), haute société ennuyeuse et festivités mornes forment ainsi un quotidien poussif. Pour se stimuler, les sœurs donnent donc dans l'excentricité telle cette séquence où Glenda Jackson plutôt que fuir se lance dans une danse rituelle lorsqu'elle tombe sur un troupeau de taureau prêt à la charger. Elle qui intellectualise l'amour plus qu'elle ne le ressent tombera dans les bras de Gerald (Oliver Reed) riche héritier en quête d'une réelle passion. Ursulla idéalise elle un amour ordinaire et simple alors que son amant Birkin (Alan Bates) double de Lawrence dans le livre y voit lui une dimension plus grande que la vie impossible à créer dans une relation ordinaire.

L'intrigue bascule lorsque le seul couple équilibré du film, de jeunes mariés périssent tragiquement. Le drame place les protagonistes face à leur manque pour les voir s'abandonner totalement à leur passion. Russell qui délivrait jusque-là un beau film d'époque relativement classique (même si plusieurs trouvailles de montage percutantes nous font bien comprendre que l’on n’est pas dans un produit conventionnel) se lâche donc dans des expérimentations étonnantes notamment sur les scènes de sexe incroyablement crues et sensuelle. L'étreinte en pleine nature de Birkin et Ursulla est fiévreuse et fulgurante avec un montage alterné symbolique puissant entre les corps entremêlés des amants et celui des noyés dans une même posture, à l'image de leur amour sincère mais voué à l'échec. De même la première relation entre Gerald et Gudrun par ses assauts froid et calculés contrebalance avec le désir brûlant de la scène précédente et tient plus de l'expérience (lors d'une scène d'amour en amont Glenda Jackson observe les amoureux faisant de même autour plutôt que de se focaliser sur Gerald avec qui elle flirte) que de la vraie passion.

Le ton navigue ainsi entre deux eaux, l'abandon contre l'intellect, l'amour contre le cynisme. Chez les hommes cela peut être dû à une insatisfaction constante possiblement comblée par une autre forme d'attrait, lourdement soulignée par Russell lorsque les deux amis s'adonnent nus à la lutte.Pour les femmes c'est leur trop grande émotivité (Ursulla) ou cérébralité (Gudrun) qui va leur jouer des tours, parfois au sein d'une même scène comme lorsque Gudrun humilie et rabaisse Gerald pour dans l'instant le solliciter sexuellement dans une totale contradiction.

La dernière partie est ainsi d'une rare noirceur en broyant totalement un des couples et en laissant l'autre sur un immense point d'interrogation. Le quatuor d'acteur est exceptionnel et se livre avec une grande confiance dans les scènes de nus. Glenda Jackson froide et exaltée est extraordinaire et glanera un oscar bien mérité de la meilleure actrice. Alan Bates est formidable comme à son habitude et Oliver Reed transmet une vulnérabilité surprenante se jouant de sa carrure imposante. En dépit de petites longueurs çà et là, un bien beau film formellement somptueux (quelle photo de Billy Williams) et porté par un superbe score de George Delerue. La voie de Ken Russell était tracée.



Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

Extrait

4 commentaires:

  1. Bonjour,
    J'adore ce Film (ainsi que le Roman éponyme) et vous en parlez fort fort bien ... m'ouvrant à des angles nouveaux et passionnants.
    Merci ~

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup, d'ailleurs en ce moment en pleine lecture de "L'Amant de Lady Chatterley" donc l'humeur est à D.H. Lawrence !

      Supprimer
  2. Rebonjour, avec la disparition de Glenda Jackson le 15 juin, hier, il faudrait que je revois ce film et pour lequel, elle avait reçu l'Oscar de la meilleure actrice. Bonne journée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et oui bien triste nouvelle pour Glenda Jackson...

      Supprimer