Amélie, une cocotte entretenue par Milledieu, se prête à un mariage blanc pour aider Marcel, un ami de son amant, à toucher un héritage. Mais une idylle naît entre les faux mariés.
Chef-œuvre longtemps invisible de la comédie,
Occupe-toi d'Amélie est un des films les plus brillants de Claude Autant-Lara qui nous offre là une jubilation de tous les instants. Par la grâce de circonstances particulière et d'un travail collectif fructueux, cette adaptation de Feydeau devient un objet percutant, moderne et inventif tout en respectant parfaitement l'esprit de la pièce. Autant-Lara réalisait là sa troisième et dernière adaptation d'une pièce et travaillait pour la seconde fois avec le scénariste Jean Aurenche après
Le Mariage de chiffon (1942) et
L'Affaire du courrier de Lyon (1937) pour une sorte d'apothéose pleine de fantaisie.
A l'époque, le réalisateur est en difficulté et n'a pas travaillé depuis deux ans suite aux conflits avec son producteur Paul Graetz durant le tournage du sulfureux
Le Diable au corps. Après une production houleuse, le producteur s'était totalement désolidarisé d'Autant-Lara lors de la sortie du film et lançant même sur lui la réputation de réalisateur dépensier et incontrôlable. Cela coûtera donc une longue inactivité à Autant-Lara bien décidé à effacer cette image lorsqu'il s'attaque à
Occupe-toi d'Amélie. Ainsi sous son aspect léger et virevoltant, le film est une véritable horlogerie suisse à la construction parfaite et d'un rythme aussi trépidant que savamment calculé et sans temps mort. On doit cet équilibre idéal au célèbre duo de scénariste composé par Jean Aurenche et Pierre Bost. La rigueur de Bost marié à la folie douce et talent comique d'Aurenche donne donc un résultat remarquable transcendé par la mise en scène virtuose et le brio narratif d'Autant-Lara.
L'histoire est une comédie de boulevard dans le style le plus débridée et sautillant qu'on est en droit d'attendre. Amélie, cocotte frivole et insouciante est sollicitée par le meilleur ami (Jean Desailly) de son amant (André Bervil) pour consentir à un faux mariage permettant à ce dernier de toucher un important héritage. Sur ce postulat vont se greffer quiproquos en pagaille et personnages plus azimutés les uns que les autres que ce soit un amant princier grotesque (Grégoire Aslan magnifiquement outrancier en prince slave), un oncle belge à l'accent appuyé (Victor Guyau moteur du récit) ou encore Julien Carette (grand fidèle d'Autant-Lara) absolument irrésistible en papa gouailleur d'Amélie.
On resterait là dans le vaudeville classique mais l'ensemble s'orne d'une dimension supplémentaire dans le jeu narratif ludique instauré par les auteurs. Le fait d'assister à la représentation d'une pièce est établi d'emblée avec l'ouverture où l'on voit débouler Victor Guyau dans les coulisses, se grimer en oncle belge, travailler son accent et annoncer le ton du
show à venir à des amis spectateurs quelque peu collet montés. Elevés dans le monde du spectacle (notamment sa mère sociétaire à la Comédie Française), Autant-Lara s'amuse follement dans cette description enjouée de la frénésie des coulisses.
Les passages d'un univers à un autre se feront avec une inventivité constante, que ce soit par la nature volontairement factice des décors (l'arrivée de Guyau dans une gare en carton-pâte) ou encore d'ample mouvement de caméra qui laisse soudainement découvrir les rideaux d'un cadre bien réel qui abritait pourtant une salle de théâtre dont on adopte le point de vue des spectateurs. Les transitions folles (l'annonce de l'épidémie à la caserne introduisant le deuxième acte) laissent bientôt place à un ton de plus en plus débridé où au fil de l'avancée du récit, les personnages de la pièce piègent les spectateurs outrés pour les garder jusqu'au bout, ces derniers intervenant même au final dans le récit face à la conduite décidément trop immorale des héros.
Toutes ces idées sont servies par des acteurs au diapason et en particulier une fabuleuse Danielle Darrieux. Charmeuse et pleine d'esprit, elle alterne sophistication et hilarante authenticité (le très naturel "Tu parles" lâché lorsqu'on lui expose une alliance luxueuse est à hurler de rire) avec brio. Belle à croquer dans des robes splendides et vulgaire accentuant ses déhanchés, elle distille même sous le comique une émotion inattendue en un éclair lors du final et sa réaction quand elle découvre qu'elle n'est pas réellement mariée. Le jeu constant entre le vrai et le faux, l'enchevêtrement des récits et des manipulations de chacun est un réjouissement constant notamment la longue scène de mariage qui fait rire aux éclats.
Occupe-toi d'Amélie ouvre la voie à une multitude d'exercice plus tardifs du genre, le plus fameux étant
La Rose Pourpre du Caire mais on pense même aux délires des ZAZ ou de Mel Brooks tel ce passage où les techniciens de théâtre finissent de préparer le décor sous nos yeux lors de l'entame du second acte avec Darrieux et Desailly dans la chambre. Cette réussite totale se verra pourtant cruellement freinée lors de sa sortie. Longtemps tombés en désuétudes, les textes de Feydeau reviendront à la mode grâce au succès d'une reprise du
Dindon à la Comédie Française.
Les ayants droit de l'auteur négocieront alors un contrat d'exclusivité avec celle-ci, l'adaptation d'Autant-Lara faisant tâche suite à cet accord. Sans réussir à l'interdire ils en limitent alors sa diffusion par un procès et les futurs problèmes de droits (le film est produit par une entité française de la compagnie italienne Lux qui fera faillite au début des 60's) achèveront de le rendre longtemps invisible. Heureusement Feydeau tombé désormais dans le domaine public on peut à nouveau se délecter de ce délicieux moment.
Sorti chez SNC/M6 Vidéo
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