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vendredi 8 juin 2018

Le Mariage de Chiffon - Claude Autant-Lara (1942)


Chiffon, seize ans, rejette les conventions du milieu aristocratique et provincial dans lequel elle a grandi. Sa mère, la très distinguée marquise de Bray, souhaite la donner en mariage au duc d'Aubières, colonel du régiment de dragons qui tient garnison en ville. Chiffon, quant à elle, est amoureuse de son oncle, un homme ruiné, mais les projets de sa mère ne sont pas forcément incompatibles avec les siens.

Le Mariage de Chiffon est une œuvre fondamentale dans la carrière de Claude Autant-Lara. Son succès commercial l’installe définitivement au sein du cinéma français et entame une fructueuse collaboration avec Odette Joyeux qui sur trois autres grandes réussites avec Lettres d’amour (1942), Douce (1943) et Sylvie et le fantôme (1946). Autant-Lara était pourtant loin d’être un nouveau venu, sa passion précoce pour le cinéma le plaçant sous l’aile de Marcel L’Herbier dont il fut l’assistant-réalisateur et qui produisit son premier court-métrage. Il occupera à nouveau le poste d’assistant-réalisateur pour René Clair et dessinera les décors du Nana de Jean Renoir (1926). Malheureusement lorsqu’il passera à la mise en scène Autant-Lara déroutera le public par ses penchants expérimentaux, y compris quand il adapte un matériau populaire avec Ciboulette (1933) d’après une célèbre opérette de  Reynaldo Hahn. 

Après un court passage aux Etats-Unis où il réalisera les versions françaises de films de Buster Keaton, il revient en France où il végètera durant les années 30 en coréalisant trois films avec l’homme de théâtre  Maurice Lehmann -  L'Affaire du courrier de Lyon (1937), Le Ruisseau (1938) et Fric-Frac (1939). C’est durant cette période qu’Autant-Lara se lie d’amitié avec le scénariste Jean Aurenche (à l’écriture sur les films avec Maurice Lehman) et qu’ils entament l’adaptation du roman Le Mariage de Chiffon de Gyp. Le projet se montera grâce à l’amitié d’Autant-Lara avec Pierre Guerlais, figure controversée qui fut l’agent français des studios allemand avant de monter sa propre société de production. Cette collaboration artistique en entraînera vraisemblablement une autre puisqu’il fut jugé après-guerre et se suicida en détention. C’est en tout cas un allié précieux qui va permettre à Claude Autant-Lara de complètement se relancer.

Le Mariage de Chiffon sous ses airs de comédie romantique surannée annonce plusieurs facettes de la filmographie à venir du réalisateur. Si le fiel et la provocation ne sont pas encore de mise, le marivaudage amoureux de l’excellent Occupe-toi d’Amélie (1949) est déjà là en moins virtuose, tout comme la critique cinglante du carcan bourgeois de Le Diable au corps (1947) ou Le Rouge et le noir (1954). Le début du film avec la rencontre nocturne de l’officier d’âge mûr d'Aubières (André Luguet) et l’adolescente Chiffon (Odette Joyeux) annonce la thématique du film. Le jeu amoureux s’amorce avant que les deux ne se distinguent complètement dans l’obscurité, la séduction ne naissant que dans ce qui est deviné et entendu du visage ainsi que de la voix de l’autre. Cela suffit d’Aubières pour tomber amoureux et à Chiffon pour savourer son pouvoir de séduction et comprendre qu’elle n’est plus une enfant. C’est pourtant cette facette enfantine qui lui permet la proximité de son vrai amour, son oncle par alliance Marc (Jacques Dumesnil). 

Claude Autant-Lara dépeint une société en pleine mutation à travers ce triangle amoureux. D’Aubières par la mélancolie nonchalante qu’il dégage est un homme du passé, ce qui est souligné par plusieurs dialogues rappelant son passage douze ans plus tôt dans la région et le côté compassé que lui donne l’uniforme. L’amour qu’il ressent pour Chiffon est une manière d’échapper à ce sentiment du temps qui passe. A l’inverse ce temps se déroule trop lentement pour Chiffon, traitée infantilisée par une mère envahissante et subissant le paraître bourgeois avec l’incitation à accepter la demande en mariage de D’Aubières. Là où le temps est un allié, c’est dans la complicité et l’affection prolongée que laisse entendre toutes les scènes entre Chiffon et Marc. Ces sentiments contrastés se ressentent dans les séquences troubles où la séduction se confond à la relation adulte/enfant, Chiffon demandant à son oncle de lui dégrafer sa robe comme la fillette qu’elle n’est plus. La perception différente annoncée par l’entrevue nocturne d’ouverture se joue alors de façon plus implicite ici. Pourtant l’écart d’âge entre Chiffon et ses deux « prétendants » pourraient être aussi dérangeantes pour l’un que pour l’autre.

Cependant le réalisateur oppose la présence, le phrasé et l’amour résigné vieillot (car pouvant se passer d’un sentiment équivalent chez le partenaire) de D’Aubières à la fougue de Marc. D’Aubières se fond presque trop bien à l’environnement bourgeois qui étouffe Chiffon, une statue de cire dans des décors au clinquant figé. Marc par sa nature de pionnier de l’aviation n’est pas à sa place dans les scènes d’intérieurs et l’intrigue laisse entendre qu’il a dilapidé sa fortune pour son rêve aérien. A lui les grands espaces dans les extérieurs où il tente de faire décoller son avion expérimental, il représente le vrai aventurier et amoureux flamboyant pour une jeune fille. Il ne lui restera plus qu’à voir en Chiffon autre chose que la fillette qu’il a toujours connu. 

Les scènes communes entre d’Aubières et Chiffon traduisent toujours une forme de tendresse paternelle qu’Autant-Lara baigne d’une aura passéiste avec ses compositions de plan inspirées des impressionnistes. A l’inverse entre Chiffon et Marc le non-dit et la promiscuité ambiguë tisse une zone grise qui annonce en mineur les écarts du Diable au corps ou Le Blé en herbe (1953). Il n’y a finalement que l’aspect vaudeville qui semble au peu poussif, Autant-Lara n’ayant pas encore le sens du timing d’Occupe-toi d’Amélie pour réellement divertir sur cet aspect-là. En tout cas une attachante réussite qui en annonçait d’autres plus grinçantes. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont

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