Ridley Scott est un cinéaste dont l’œuvre bénéficie d’une
littérature conséquente (notamment pour les sommets que sont Alien (1979) et Blade Runner (1982) tandis que Tony Scott a toujours eu un vrai
noyau dur d’aficionados dans la critique et que le regard sur lui a
complètement changé dans les 15 dernières années de sa carrière. La démarche de
Marc Moquin de faire une analyse en parallèle de leur deux filmographies est
très originale et assez inédite, du moins avec un tel approfondissement. En
effet Ridley Scott sur la foi d’un début de carrière exceptionnel (mais d’une
suite plus inégale) fut toujours considéré comme l’artiste de la fratrie par
les critiques quand Tony parfois forcé de donner dans le gros divertissement
calibré (Top Gun (1986), Le Flic de Beverly Hills 2 (1987)) mis
plus de temps à susciter une vraie attention.
Cette opposition entre « l’auteur » et le « faiseur »
vole donc en éclat dans l’ouvrage de Marc Moquin. L’auteur part de leur
enfance, environnement et expérience commune (fils de militaire mobilisé dans une
Allemagne en ruine puis d’une Angleterre industrielle sinistre) pour tisser des
aspirations/inspirations communes qui entremêleront constamment leurs carrières.
Tony joue ainsi dans le premier court-métrage de Ridley, ce dernier l’incite à
le rejoindre dans sa société de production publicitaire avant que Tony lui
emboite également le pas pour travailler dans le cinéma ; sans parler de
leur société de production Scott Free fondée en 1995.
Ces bases communes amènent pour les deux frères à une vision
du monde voisine mais dont l’articulation variera au gré de leur personnalité
et aléas de carrière. Ridley Scott s’avère ainsi un inventeur d’univers passés
et futurs qu’il soumet à des dérèglements intimes et politiques. La grande
Histoire passée et récente mène à un même échec où Ridley montre son peu de foi
en l’humain à travers les croisades de Kingdom
of Heaven (2005), l’utopie avortée de 1492,
Christophe Colomb (1992) ou la débâcle militaire de La Chute du faucon noir (2001). La mégalomanie et finalement un
profond nihilisme guide vers un même point de non-retour dans la
science-fiction, le désir de vie étant restreint et précaire pour les
réplicants de Blade Runner (1982),
soumis aux desiderata d’un conglomérat invisible dans Alien voire d’un démiurge inhumain dans Alien Covenant (2017). Tony Scott observe ces mêmes dérives mais
dans un cadre plus contemporain où la corruption, le contexte politique
oppressant et les passions mènent aussi vers l’échec dans le Mexique à feu et à
sang de Man on fire (2004), le
gouvernement intrusif de Ennemi d’état
(1998) ou encore le sous-marin militaire de USS
Alabama (1995). La différence est que chez Tony Scott ce cheminement mène à
une rédemption où les personnages auront appris de leurs épreuves, avec le
célèbre happy-end de True Romance
(1992) en emblème.
Chez Tony Scott l’antagoniste du héros est avant tout
intérieur, symboliquement ou concrètement (Top
Gun et sa Guerre Froide abstraite). L’optimisme du réalisateur développe
ainsi des amitiés et relation filiales qui conduisent à un apaisement malgré la
violence qui a pu précéder (Revenge
(1990), Spy Game (2001)). Pour Ridley
Scott cette dimension intime et/ou filiale est baignée de doutes, où il s’agit
de se confronter à un père/créateur représentant une figure toujours ambigüe
dans Exodus (2014), Blade Runner ou même le plus récent Tout l’argent du monde (2017). Tout cela
repose sur une idée de mal originel que Ridley Scott déploie dans les prequels controversés
que sont Prometheus (2012) et Alien Covenant mais aussi la continuité
que forment certains de ses films historiques comme Kingdom of Heaven et Robin
des bois (2010). Ce rapport au temps est toujours porteur d’une aura
funeste pour le futur, Scott la tissant dans la connaissance que l’on a de sa
filmographie mais aussi dans la réalité historique/mythologique du récit :
les affrontements de Kingdom of Heaven
annoncent le conflit du Moyen-Orient vu dans Mensonges d’états (2008), en filigrane dans Exodus aussi.
Là encore Tony Scott diffère de son frère, le temps ne
débouchant pas sur une répétitivité inéluctable dans les couples vampiriques de
Les Prédateurs (1983) ou la romance
de Déjà vu (1983). Le romantisme de
Tony s’y ressent magnifiquement, dans une libération à la fois intime mais
également sociale avec Susan Sarandon s’affranchissant de l’idée de noblesse
vampirique et annonçant les héros prolos de Unstoppable
(2012) entre autres. Enfin l’un des points les plus captivants évoqués par Marc
Moquin est la façon dont le rapport à leurs influences artistiques
(cinématographiques comme picturales avec de nombreuses et riches citations) s’inscrivent
dans les thématiques des deux réalisateurs. Le rapport du moderne au classique,
du passé au futur, de l’intime au collectif, Ridley Scott les façonnent
notamment dans les fresques où ils réinventent des genres oubliés comme le
péplum Gladiator (2000) – où le
gigantisme exprime une autre idée politique que le péplum traditionnel, et la
confrontation reprend à son compte des idées formelles contemporaines issues de
Il faut sauver le soldat Ryan (1998).
L’auteur souligne notamment la façon toute différente dont chacun paie son
tribut au Barry Lyndon de Stanley Kubrick (1975), imprégnant sans faire dans la
redite tout Les Duellistes (1977) de
Ridley tandis que la citation sera musicale pour Tony dans Les Prédateurs. Marc
Moquin offre là un des ouvrages les plus aboutis sur les deux réalisateurs,
riche de pistes originales et particulièrement fouillées.
Edité chez Playlist Society
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