Dans
l'entre-deux-guerres quelque part en Italie, le pilote Marco, aventurier
solitaire, vit dans le repaire qu'il a établi sur une ile déserte de
l'Adriatique. A bord de son splendide hydravion rouge, il vient en aide aux
personnes en difficulté.
Porco Rosso marque
un tournant dans la filmographie d’Hayao Miyazaki. Si ses précédentes
réalisations ne l’avaient pas empêché d’aborder des sujets ambitieux, elles
situaient le plus souvent dans des univers imaginaires ou en tout cas avaient
pour héros des protagonistes juvéniles, enfant ou adolescent propre à avoir
encore une vision candide et idéalisée du monde. Porco Rosso avec son héros adulte, son contexte géographique et
historique réels ainsi qu’un ton grave et introspectif change la donne. A l’origine
Porco Rosso est supposé être une
sorte de récréation pour les équipes de Ghibli après la production rondement
menée de Souvenirs goutte à goutte
(1991). Le film adapte un court manga en trois histoires destiné au magazine de
modélisme Model Grafix sous le titre L'Âge
des hydravions et mettant en scène un cochon (parmi d’autres cochons soldats)
pilotant un hydravion. Le projet doit au départ consister en un moyen-métrage
de 45 minutes reprenant les péripéties du manga et est destiné à être diffusé
sur les vols de la Japan Airlines. Le projet prend cependant plus d’ampleur au
fur et à mesure que Miyazaki se trouve marqué par le drame qui se joue dans la
guerre en ex Yougoslavie qui fait alors rage.
L’histoire se situe dans l’Italie de l’entre-deux guerre
dans la Mer Adriatique, alors même que l’idéologie belliqueuse fasciste grimpe
dans le pays. L’ouverture sur le modèle de Mad Max met en parallèle l’attaque et l’enlèvement de pirates sur un paquebot
chargé d’or avec les préparatifs nonchalant de celui qui va les stopper, le
pilote à tête de cochon Marco alias Porco Rosso. Seul la construction de cette
entrée en matière peut être comparée au classique brutal de George Miller, la
menace empotée des pirates (dépassé par leurs otages en culotte courtes) étant
désamorcée tandis que le chasseur de prime Porco Rosso ne daignera pourtant s’interposer
qu’en apprenant que des enfants sont concernés. La scène où il les stoppe n’en
est pas moins virtuose mais on comprend bien là que le cœur émotionnel du film
ne repose pas sur ses morceaux de bravoures aériens.
Ancien héros de la
Première Guerre Mondiale, Porco Rosso est le dernier représentant d’une forme
de chevalerie des pilotes à l’heure où les plus chevronnés sont enrôlés de
force dans l’armée mussolinienne. Les escarmouches avec les pirates ou le duel
avec le pilote américain Curtis sont donc des récréations, des vestiges de ces
temps glorieux et héroïques qui s’illustrent dans de somptueux flashback. Miyazaki
y exprime un onirisme, une mélancolie et nostalgie poignante où se ressent la
profonde solitude de Porco Rosso. Le flashback sur le paradis des pilotes
confère une imagerie flottante et mortifère de cette légende de l’aviation, qui
se prolonge dans l’émotion de celui sur le vol juvénile de Gina et Marco au
visage encore humain avec à l’inverse l’exaltation des premières fois atténué
par l’imagerie sépia qui fige cet instant dans un passé révolu. La malédiction
affectant notre héros d’un visage porcin est en fait la métaphore de son
isolement, le sort réside finalement à être celui obligé de vivre dans un monde
allant vers le chaos puisque la Deuxième Guerre Mondiale se profile.
Porco Rosso n’est
pourtant pas un film mortifère, loin de là. La personnalité goguenarde du
héros, la nature pittoresque des antagonistes (Curtis comme les pirates) ainsi
que l’innocence de la jeune Fio en font un des films les plus attachants de
Miyazaki. Toute la solitude recherché par le personnage (appuyé par le récit qui l'isole dans les airs, sur son île, dans la nuit où il daigne seulement apparaître aux yeux de tous et même dans le restaurant où il déjeune seul) est malmenée par l'affection qu'il inspire, à travers la jeune Fio bien sûr mais aussi plusieurs scènes amusante comme la réparation de l'avion avec la (très) nombreuse famille de l'ingénieur mettant la main à la patte. Le temps des hauts faits est certes passé mais cela n’empêche pas de
vivre intensément l’ivresse du moment dans des scènes de vol à l’animation
époustouflante. Le décollage pour échapper aux agents fascistes est séquence
absolument stupéfiante, tout comme le duel final, le cadre réaliste forçant le
réalisateur à une recherche de crédibilité inédite dans ces œuvres de pur
imaginaire. La beauté majestueuse de la Mer Adriatique et de ses îles est
également magnifiquement rendu, le contemplatif suspendu témoignant de cette
veine introspective et nostalgique tant dans les airs que sur terre (l’attente
vaine de Gina dans son jardin secret).
L’imprégnation profonde de ces lieux et
la nostalgie du temps qui passe s’expriment comme rarement dans le score de Joe
Hisaishi, bercé de plages lancinantes et de clins d’œil à la culture européenne
avec l’usage de la chanson Le Temps des
cerises ou du standard italien 'O
sole mio. Porco Rosso c’est
finalement l’histoire d’un homme hors de son époque. Seul dans les airs avec
ses compagnons disparus et ses souvenirs, seul sur terre face à une idéologie
éloignée de son tempérament humaniste, et seul dans son cœur avec ce visage
porcin qui le complexe et l’empêche de vivre son amour avec Gina. La conclusion
souligne bien qu’il n’est destiné qu’à être un souvenir de temps plus glorieux,
plus heureux et innocent en montrant son appareil rouge disparaître dans le
lointain. Miyazaki amorce là sa veine crépusculaire et désenchantée qui se
poursuivra dans Princesse Mononoké
(1997) et Le Vent se lève (2014 dont
le héros est justement un exalté dans une ère qui ne l’est plus) et semble pour
la première fois conscient qu’il est un vieil homme ne se reconnaissant plus
dans le monde qui l’entoure. Sinon au passage il s'agit du 2000e texte du blog !
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Buena Vista
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