Le film relate
l’histoire du prince Genji à la cour impériale du Japon pendant l’époque de
Heian. Sa mère étant morte alors qu’il était encore jeune, le Genji ne peut
prétendre au trône et par conséquent, l’Empereur l’engage à fonder une nouvelle
branche impériale. Au fil de l’œuvre, la vie du Genji oscille entre ses amours
et ses ambitions politiques, la passion et la solitude. Charmeur et raffiné, il
n’aura de cesse de façonner son idéal féminin.
Les années 80 constituent une sorte d’âge d’or de l’animation
japonaise cinématographique qui produira nombre de films ambitieux et plus
adultes. Dans un premier temps cela se fera dans le sillage de Star Wars avec
des adaptations SF de Space Cruiser
Yamato (1979 et 1980), Gundam (1981) Cobra
(1982) ou Macross, Do your remember love
(1984) sans compter l’émergence du studio Ghibli. Cet élan conduira également à
l’adaptation de classiques de la littérature japonaise dont Train de nuit dans la voie lactée de Gisaburō
Sugii (1985) d’après Kenji Miyazawa. Le succès critique et public du film
amènera Gisaburō Sugii à s’attaquer à un autre monument littéraire lorsqu’il
adaptera Le Dit du Genji d’après Murasaki
Shikibu. Ecrit au XIe siècle, le texte figure parmi les plus anciens et connus
de la culture japonaise, que ce soit à l’école, les différentes études
universitaires qui y ont été consacrées mais aussi des transpositions plus
accessibles.
On compte notamment un film réalisé par Kōzaburō Yoshimura en 1951
et un manga de Waki Yamato dans les années 80 et plus récemment une série
animée en 2009. Murasaki Shikibu était une suivante de la cour impériale à l'époque
de Heian (Xe-XIe siècle). Dans Le Dit du
Genji, les aventures du héros éponyme servent vision virulente de l’envers
du décor de cette cour entre trahison et ambition, récit romanesque dans les amours
tumultueuses de Genji mais aussi une démonstration de la haute tenue des arts
de l’époque à travers les nombreux poèmes qui parcourent l’ouvrage. Les
rééditions du livre prolongeront d’ailleurs cette notion avec des illustrations
reflétant autant les mœurs que l’inspiration picturale de cette période.
C’est une même ambition qui guide Sugii dans cette version
animée. Le Dit du Genji par ses
personnages complexes et torturés est considéré comme le premier roman « psychologique »
de la littérature japonaise où les protagonistes y dépassant le seul statut de
symbole/métaphore associé au conte traditionnel. Sugii creuse cette facette en
la conjuguant à une recherche esthétique somptueuse. Il s’inspire de la
peinture de cette période Heian pour imprégner ses images du mysticisme du
bouddhisme alors prégnant, le croisement d’épure des arrière-plans et de détail
du décor se fond dans une horizontalité inspirée des emakino (long rouleau portatif
illustré) qui s’inscrivent dans une volonté illustrative et narrative. Cela
donne un singulier mélange d’abstraction et de réalisme qui font du cadre du
récit un véritable espace mental servant les élans du cœur de Genji. Toutes les
intrigues de palais ne sont en effet là que pour constituer des causes et
conséquences aux amours du héros. Les rapports de force se définissent par la
désinvolture avec laquelle il passe d’une amante à une autre, son désir et sa
nature d’homme « parfait » dépassant les réticences de ses conquêtes
mais aussi les risques encourus.
Les amantes sont en effet sa belle-mère et
femme de l’empereur, la veuve de son oncle, sa propre épouse délaissée mais
aussi sa belle jeune nièce qu’il élèvera dans la volonté de la posséder à l’âge
adulte. La sentimentalité à fleur de peau et la grande beauté de Genji surmonte
toute les réticences dans un trouble que Sugii traduit avec une sensualité
magnifiée par un art certain de la retenue. Une épaule ou une jambe pâle et
dénudée dépassant d’un kimono, une longue chevelure en cascade recouvrant dos
ou attribut féminin, tout concours à un érotisme latent et brûlant alors que
les scènes d’étreinte en restent à l’ellipse ou au fondu enchaîné discret. Tout
le jeu sur les clair-obscur, le visible et le caché par les éléments de décor
comme les paravents ou les portes coulissantes expriment cette sensualité
feutrée, tout en prologeant le propos du livre qui dénonçait la décadence et l’hypocrisie
des mœurs de la cour.
La vulnérabilité du héros, traduite par son statut précaire
à la cour (fils d’une courtisanne, il est exclu de la succession tout en
restant une menace car il est le fils préféré de l’empereur), s’inscrit aussi
paradoxalement dans son rapport aux femmes où ne se ressent jamais une volonté
de domination machiste – malgré ses actes discutables. Cela se devine au fil d’un
récit qui exprime toutes les facettes du dépit amoureux comme l’éloignement, l’adultère,
la mort… Que ou qui recherche réellement Genji à travers toutes ses conquêtes ?
Un indice concret nous est donné avec la ressemblance physique de la belle-mère
et de la nièce, mais aussi symbolique lorsque les pétales de fleur de cerisiers
viennent tomber avant chaque séparation douloureuse. Sugiro Sugii fait ainsi s’exprimer
cette dimension psychologique voire psychanalytique par ses seuls choix
formels, dans un récit exigeant, à la lenteur hiératique et aux envolées
oniriques envoutantes. Une nouvelle
grande réussite pour le réalisateur qui sait si bien adapter son approche au
matériau monumental auquel il s’attaque.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Rimini
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