À la fin du XIXe
siècle, Irène est la gouvernante de la jeune Douce de Bonafé et a pour amant le
régisseur Fabien, dont Douce est amoureuse. Fabien voudrait emmener Irène au
Canada, mais celle-ci est tentée par l'idée d'épouser le maître de la maison,
veuf, le père de Douce. Celle-ci se jette dans les bras de Fabien qui part avec
elle et se venge ainsi d'Irène et de ses maîtres, mais il est peu à peu séduit
par la jeune fille.
Douce est le
second du cycle de quatre films que Claude Autant-Lara tournera avec Odette
Joyeux, précédé de Le Mariage de Chiffon
et Lettres d’amour (1942), suivi de Sylvie et le fantôme (1946). Cette série
de film avait permis à Autant-Lara d’enfin forger une œuvre personnelle et de
trouver sa place au sein du cinéma français. C’est néanmoins dans Douce que s’exprime pour la première
fois la noirceur propre aux œuvres phares à venir du réalisateur, quand les
trois autres films déploient un piquant que l’on ne retrouvera que par
intermittences par la suite (notamment dans Occupe-toi d’Amélie (1949)). Douce réunit (outre Autant-Lara et
Odette Joyeux) la fine équipe à l’œuvre précédemment avec le producteur Pierre
Guerlais mais aussi le scénariste Jean Aurenche auquel vient s’ajouter Pierre
Bost aux dialogues pour ce qui sera le premier jalon de leur fructueuse
association. Tous les films du cycle se situe dans un passé aux alentours
de la fin du XIXe siècle, une astuce habile dissimulant une critique bien
contemporaine de la société d’alors.
Si Le
Mariage de Chiffon venait bousculer un monde figé par les élans modernes et
progressistes de ses personnages, Douce
scrute un environnement sclérosé où les clivages sociaux sont insurmontables.
Le postulat (adapté d’un roman de Michel Davet) pourtant prétexte à un joli
vaudeville va ainsi dresser un portrait des plus cinglants. La fatalité est de
mise dès la scène d’ouverture où la jeune Douce (Odette Joyeux) confesse à son
prêtre sa passion irraisonnée pour Fabien (Roger Pigaut), le régisseur de sa
famille. Le religieux n’a qu’une prévention alarmiste à faire qui se confirmera
malheureusement dans le récit.
Le film exprime ainsi par la romance la volonté de
rapprochement des gens « d’en haut » vers ceux « d’en bas »,
soit par une jeunesse pas encore phagocytée par cette séparation des classes
pour Douce, soit par des adultes solitaires prêt à la surmonter par amour avec
le comte (Jean Debucourt) épris de l’institutrice Irène (Madeleine Robinson). L’oisiveté,
le confort matériel et les épreuves de la vie leur ont permis de concevoir
cette ouverture quand le dénuement façonne des êtres ivres de ressentiments
et/ou guidé par le seul instinct de survie à travers Fabien et Irène. La
subsistance à tout prix rend ainsi le bouillonnant Fabien antipathique sous ses
traits avantageux, et fait douter d’Irène entre sentiments sincères et un
confort matériel qi assurerait son avenir.
Autant-Lara développe ce questionnement en illustrant de
diverses manières ce rapport dominant/dominé. L’émancipation/évolution des
pauvres ne passent ainsi que par ce rapport aux riches, soit en les volant
comme Fabien en début de film, soit en les épousant. Le jeu subtil de Madeleine
Robinson exprime ainsi une émotion ambigüe lors que le comte lui déclare sa
flamme, où l’on décèle à la fois la soumission (comment refuser les avances d’un
personnage aussi important dans sa condition ?), un amour sincère ou alors
le calcul. C’est un rapport au monde inéluctable pour Autant-Lara, fonctionnant
tout autant entre Irène et Fabien avec ce dernier une fois éconduit qui
rappellera à son amante combien elle lui est « redevable » de sa
place. Le décor de la maison revêt une grande importance avec un environnement
intime des dominés pouvant être épié ou investi à tout moment par les dominants :
Irène subit l’intrusion forcée de Fabien dans sa chambre, celle indiscrète de
Douce quand elle n’est pas espionnée par la femme de chambre Estelle (Gabrielle
Fontan).
Le réalisateur fait ainsi ressentir le sentiment d’insécurité
et d’humiliation qui expliquerait un rapprochement social et amoureux factice
tout en déployant une candeur et une vulnérabilité à fleur de peau (chez Douce
et son père) pour démontrer l’inverse. Les personnages sont moins les fautifs
que la société qui les entoure et à ce titre le personnage de la vieille
comtesse (Marguerite Moreno) s’avère le plus lucide, la condescendance
initialement perçue illustrant un triste ordre des choses. Autant-Lara lui
attribue d’ailleurs une réplique controversée avec ce « Je vous souhaite
la patience et la résignation » lors de sa tournée de charité, reprenant des
termes de la propagande Vichyste envers le peuple français.
Le désespoir d’une
période se reflète donc dans le contexte historique lointain du film et tous
les personnages se perdront en voulant transcender ce clivage. Autant-Lara
équilibre le drame final entre ces enjeux romanesque et sociaux, le triangle
amoureux Douce/Fabien/Irène se perdant par des sentiments tout comme des
aspirations matérielles contrariées. En ne choisissant pas entre leur cœur et
leur ambition, les personnages se perdront dans un monde resté manichéen.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont
bonsoir.Le meilleur Autant-Lara, je ne sais pas, j'adore Occupe-toi d'Amélie,trés inventif,mais un trés bon film où personne ne s'en sort comme pris au piège de la société, de sa condition. Marguerite Moreno grandiose!
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