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dimanche 28 avril 2019

Douce - Claude-Autant-Lara (1943)


À la fin du XIXe siècle, Irène est la gouvernante de la jeune Douce de Bonafé et a pour amant le régisseur Fabien, dont Douce est amoureuse. Fabien voudrait emmener Irène au Canada, mais celle-ci est tentée par l'idée d'épouser le maître de la maison, veuf, le père de Douce. Celle-ci se jette dans les bras de Fabien qui part avec elle et se venge ainsi d'Irène et de ses maîtres, mais il est peu à peu séduit par la jeune fille.

Douce est le second du cycle de quatre films que Claude Autant-Lara tournera avec Odette Joyeux, précédé de Le Mariage de Chiffon et Lettres d’amour (1942), suivi de Sylvie et le fantôme (1946). Cette série de film avait permis à Autant-Lara d’enfin forger une œuvre personnelle et de trouver sa place au sein du cinéma français. C’est néanmoins dans Douce que s’exprime pour la première fois la noirceur propre aux œuvres phares à venir du réalisateur, quand les trois autres films déploient un piquant que l’on ne retrouvera que par intermittences par la suite (notamment dans Occupe-toi d’Amélie (1949)).  Douce réunit (outre Autant-Lara et Odette Joyeux) la fine équipe à l’œuvre précédemment avec le producteur Pierre Guerlais mais aussi le scénariste Jean Aurenche auquel vient s’ajouter Pierre Bost aux dialogues pour ce qui sera le premier jalon de leur fructueuse association. Tous les films du cycle se situe dans un passé aux alentours de la fin du XIXe siècle, une astuce habile dissimulant une critique bien contemporaine de la société d’alors. 

Si Le Mariage de Chiffon venait bousculer un monde figé par les élans modernes et progressistes de ses personnages, Douce scrute un environnement sclérosé où les clivages sociaux sont insurmontables. Le postulat (adapté d’un roman de Michel Davet) pourtant prétexte à un joli vaudeville va ainsi dresser un portrait des plus cinglants. La fatalité est de mise dès la scène d’ouverture où la jeune Douce (Odette Joyeux) confesse à son prêtre sa passion irraisonnée pour Fabien (Roger Pigaut), le régisseur de sa famille. Le religieux n’a qu’une prévention alarmiste à faire qui se confirmera malheureusement dans le récit. 

Le film exprime ainsi par la romance la volonté de rapprochement des gens « d’en haut » vers ceux « d’en bas », soit par une jeunesse pas encore phagocytée par cette séparation des classes pour Douce, soit par des adultes solitaires prêt à la surmonter par amour avec le comte (Jean Debucourt) épris de l’institutrice Irène (Madeleine Robinson). L’oisiveté, le confort matériel et les épreuves de la vie leur ont permis de concevoir cette ouverture quand le dénuement façonne des êtres ivres de ressentiments et/ou guidé par le seul instinct de survie à travers Fabien et Irène. La subsistance à tout prix rend ainsi le bouillonnant Fabien antipathique sous ses traits avantageux, et fait douter d’Irène entre sentiments sincères et un confort matériel qi assurerait son avenir.

Autant-Lara développe ce questionnement en illustrant de diverses manières ce rapport dominant/dominé. L’émancipation/évolution des pauvres ne passent ainsi que par ce rapport aux riches, soit en les volant comme Fabien en début de film, soit en les épousant. Le jeu subtil de Madeleine Robinson exprime ainsi une émotion ambigüe lors que le comte lui déclare sa flamme, où l’on décèle à la fois la soumission (comment refuser les avances d’un personnage aussi important dans sa condition ?), un amour sincère ou alors le calcul. C’est un rapport au monde inéluctable pour Autant-Lara, fonctionnant tout autant entre Irène et Fabien avec ce dernier une fois éconduit qui rappellera à son amante combien elle lui est « redevable » de sa place. Le décor de la maison revêt une grande importance avec un environnement intime des dominés pouvant être épié ou investi à tout moment par les dominants : Irène subit l’intrusion forcée de Fabien dans sa chambre, celle indiscrète de Douce quand elle n’est pas espionnée par la femme de chambre Estelle (Gabrielle Fontan).

Le réalisateur fait ainsi ressentir le sentiment d’insécurité et d’humiliation qui expliquerait un rapprochement social et amoureux factice tout en déployant une candeur et une vulnérabilité à fleur de peau (chez Douce et son père) pour démontrer l’inverse. Les personnages sont moins les fautifs que la société qui les entoure et à ce titre le personnage de la vieille comtesse (Marguerite Moreno) s’avère le plus lucide, la condescendance initialement perçue illustrant un triste ordre des choses. Autant-Lara lui attribue d’ailleurs une réplique controversée avec ce « Je vous souhaite la patience et la résignation » lors de sa tournée de charité, reprenant des termes de la propagande Vichyste envers le peuple français. 

Le désespoir d’une période se reflète donc dans le contexte historique lointain du film et tous les personnages se perdront en voulant transcender ce clivage. Autant-Lara équilibre le drame final entre ces enjeux romanesque et sociaux, le triangle amoureux Douce/Fabien/Irène se perdant par des sentiments tout comme des aspirations matérielles contrariées. En ne choisissant pas entre leur cœur et leur ambition, les personnages se perdront dans un monde resté manichéen. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont

1 commentaire:

  1. bonsoir.Le meilleur Autant-Lara, je ne sais pas, j'adore Occupe-toi d'Amélie,trés inventif,mais un trés bon film où personne ne s'en sort comme pris au piège de la société, de sa condition. Marguerite Moreno grandiose!

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