La famille Yamada est
une famille de fortes personnalités. Takashi Yamada est un gentilhomme
d'affaires un peu bougon qui se bat contre les héros imaginaires de son
enfance. Il partage sa vie avec Matsuko, sa femme un peu farfelue et peu
motivée pour les tâches ménagères. La grand-mère a la langue bien pendue et est
encore pleine d'énergie. Le fils est en pleine crise d'adolescence tandis que
la petite sœur a déjà un caractère bien trempé pour une fille de son âge. Même
le chien est lunatique...
Mes voisins les Yamada
est un film charnière dans l’histoire du Studio Ghibli. Après l’épique œuvre testamentaire
qu’est Princesse Mononoké (1997),
Hayao Miyazaki a tenu parole et a pris sa retraite. Le décès prématuré de son
successeur désigné Yoshifumi Kondo (brillant directeur d’animation et
réalisateur du magnifique Si tu tends l’oreille
(1995)) le forcera à revenir mais en attendant Ghibli traverse une vraie
mutation. Les accords de distribution internationale avec Disney sont entrés en
vigueur avec la sortie mondiale de Princesse
Mononoké et le studio est à un carrefour important entre réitérer ce succès
et une formule ou, comme il l’a toujours fait, se remettre en question avec le
projet suivant. C’est bien sûr la deuxième solution qui l’emportera.
Mes voisins les Yamada
est l’adaptation d’un manga à succès de Hisaishi Ishii qui a la particularité d’être
un yonkoma, soit une bande-dessinée en quatre case (se lisant de haut en bas) équivalente
au comic-strip occidental. Le manga fut publié entre 1991 et 1993 dans le
journal Asahi Shinbun et contait le
quotidien d’une famille haute en couleur. Toshio Suzuki président de Ghibli
suggère un projet d’adaptation à Isao Takahata grand fan du manga. L’exigence
du réalisateur va en faire un des défis techniques les plus audacieux de
Ghibli. Takaha souhaite en effet reproduire le trait du manga dans une
narration qui obéirait aussi au principe de saynète isolée avec comme
seul fil rouge la famille et les épisodes touchant chacun de ses membres. Princesse Mononoké avait amorcé l’usage
de l’outil numérique dans des productions Ghibli pour des effets
particulièrement voyants (la mutation du Dieu-Sanglier ayant perdu la raison, l’incarnation
finale du Dieu-Cerf…) et que Takahata va poursuivre pour un rendu bien aussi
impressionnant que discret.
Takahata avait déjà poussé loin ce
rendu épuré et éthéré via l’animation traditionnelle dans les scènes de
flashback de Souvenirs goutte à goutte
(1991) où il s’agissait de faire la différence avec la narration au présent. L’ordinateur
permettant désormais de coloriser directement les dessins sans passer par les
cellulos, le réalisateur use donc de cet outil pour reprendre à l’identique l’esthétique
du manga. La transition est plus simple pour Takahata que pour Miyazaki (qui
dessine lui-même l’intégralité des lay-out de ses films) qui délègue le dessin
et l’animation tout en se montrant extrêmement exigent puisque de fait toute l’émotion
doit passer chez lui par la seule mise en scène. Formellement nous auront donc
un film au dessin faussement simpliste dans le chara-design cartoonesque des
personnages et l’épure stylisée de ses décors et arrière-plan. La colorisation
informatique se substituant aux cellulos permet un rendu subtil évoquant l’aquarelle
où les personnages peuvent se fondre à travers l’animation par ordinateur qui
fait disparaitre le contour noir du dessin manuel et de l’animation classique.
Une approche aussi complexe qu’invisible pour les non-initiés
aux techniques de l’animation est typique de Takahata. Là où un Miyazaki
déploie explicitement sa virtuosité, ses morceaux de bravoure et son message
avec le plus grand sérieux (notamment dans ses fresques épiques comme Nausicaa (1984), Le Château dans le ciel (1986) et Princesse Mononoké), Takahata opte pour une touche plus modeste
capturant le quotidien dans une veine moins ostentatoire pour amener l’émotion.
Le Tombeau des Lucioles (1988) nous
serre le cœur par l’errance sans but et fatale des héros plus que par des
drames marqués. Toute la mélancolie de Souvenir
goutte à goutte passe par le point de vue dépressif et nostalgique de son
héroïne tandis que les larmes finales de Pompoko
(1994) ne fonctionnent aussi bien que grâce aux nombreux rires qui ont
précédés. Avec Takahata la mise en scène est là pour saisir le sentiment de l’instant
qui finit par gagner un ensemble qui n’a pas besoin de se reposer sur une
narration classique ayant forcément un début, un milieu et une fin. Mes voisins les Yamada pousse donc cette
notion à son paroxysme grâce aux différentes tranches de vie que Takahata
pioche dans le manga.
Après le cadre historique du Tombeau des lucioles, la nostalgie de Souvenir goutte à goutte et la mythologie de Pompoko, Takahata poursuit dans les environnements typiquement
japonais mais cette fois contemporain avec ce qui se rapproche le plus de ce
qui serait la vie d’une famille nippone des années 90. Malgré quelques
spécificités culturelles, ces instants volés parleront à tous à travers les
imperfections si touchantes de cette famille. Le burlesque vient bousculer des
situations typiques tel ce duel à la télécommande entre la mère et le père pour
choisir le programme télévisé à regarder. La drôlerie ou le spleen s’invitent
pour montrer des protagonistes pas forcément à l’aise dans le rôle que cette
société japonaise leur a assigné, que ce soit la mère étourdie et loin de la
femme d’intérieur parfaite (même menu plusieurs jour de suite par flemmardise,
linge oublié…) tandis que le père est un salary
man usé qui semble aspirer à autre chose.
Contrairement au manga dont elle
devient peu à peu la vraie héroïne, la fille cadette Nonoko est ici plus en
retrait pour laisser place à l’hilarant tumulte du couple, aux émois adolescents
du grand frère Noboru ou à la langue bien pendue de la grand-mère Shige. Cette
légèreté laisse transparaître des sentiments plus sombre, parfois dans les
situations (la grand-mère rendant visite à une amie malade ou s’interrogeant
sur combien de cerisiers elle verra encore fleurir) ou de superbes idées
formelles. Ainsi le dessin cartoonesque s’estompe et se fait réaliste le temps
d’une scène ou le cadre familial laisse place au danger du monde extérieur
lorsque le père se confronte à des motards dérangeant le quartier.
Tout le croisement de réalisme, humour et poésie de ce
quotidien repose sur l’amour que se porte cette famille sous les vacheries et
sarcasme et c’est ce cocon que dépeint Takahata par son esthétique singulière.
Une scène (Nonoko trouvée dans une tige de bambou) annonce d’ailleurs le merveilleux
Le Conte de la Princesse Kaguya
(2016), ultime chef d’œuvre tardif de Takahata qui se mettra en retrait après
le succès très mitigé de cet inoubliable Mes
voisins les Yamada.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Buena Vista
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