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lundi 15 avril 2019

Les Baisers - Kuchizuke, Yasuzo Masumura (1957)


Kinichi et Akiko, qui se sont connus en allant voir leurs pères respectifs en prison, partent ensemble en moto au bord de la mer. Akiko veut se vendre à un homme qui cherche à la séduire, pour pouvoir payer la caution de son père.

Les Baisers est le premier film de Yasuzo Masumura qui témoigne déjà de la sensibilité occidentale de son cinéma. Après ses études à l’Université de Tokyo (dont il sort diplômé en philosophie) et avoir été assistant-réalisateur au sein de la Daiei, Masumura obtient une bourse qui lui permet d’étudier la réalisation durant trois ans en Italie au Centro Sperimentale di Cinematographia, sous la tutelle de Michelangelo Antonioni (avec lequel il se lie d’amitié), Federico Fellini et Luchino Visconti. De retour au Japon en 1953, il assiste entre autre Mizoguchi avant de pouvoir passer à la réalisation avec Les Baisers.

La sensibilité adolescente du film s’inscrit dans le courant  taïo-zoku (« adorateur du soleil ») qui posait un regard langoureux et hédoniste sur la jeunesse d’après-guerre et constituait un pendant des Monika (Ingmar Bergman, 1953), Les Adolescentes (Alberto Lattuada, 1960) ou La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955) occidentaux. Masumura rend cet érotisme plus diffus que dans d’autres de ses films à venir et s’attache surtout à une dimension romantique qui va surmonter une situation économique difficile. Les jeunes héros se rencontrent ainsi dans l’adversité lorsqu’ils viennent visiter leurs pères respectifs en prison. 

Kinichi (Hiroshi Kawaguchi) et Akiko (Hitomi Nozoe) se confrontent à travers l’emprisonnement de leurs pères aux maux du monde des adultes. L’engagement politique forcené de son père (coupable d’avoir truqué des élections) pour Kinichi, le dénuement économique pour Akiko (dont le père a volé de l’argent pour payer les soins de sa mère malade) placent donc les personnages face à des responsabilités précoces où ils devront trouver l’argent de la caution pour les libérer. Leur détresse commune les rapproche dans une attitude différente pour chacun, bienveillant mais renfrogné dans l’expression de ses sentiments avec Kinichi, et à l’inverse expressive et à fleur de peau pour Akiko. 

Plus que les mots, l’épanouissement de cette romance adolescente passe par les moments en commun où l’horizon se libère de la réalité oppressante et autorise une tendresse maladroite mais sincère. La longue ballade estivale du couple offre une véritable photographie de la jeunesse japonaise d’alors avec ses virées à moto, ses jeux de plage ou partie de patinoires. On peut être certain que Masumura a vu en Italie le fameux Dimanche d’août (1950) de Luciano Emmer dont un des épisodes offre une même échappée belle à un couple juvénile. Masumura s’inscrit totalement dans la veine néoréaliste « rose » du film d’Emmer avec ce réel difficile qui ne se déleste pas de quelques touches amusée. Cela s’entrecroise d’ailleurs brillamment avec l’apparition du fils du peintre, prétendant pressant qui illustre la toute-puissance de la classe aisée et qui vient briser l’harmonie fragile entre Kinichi et Akiko – intervant juste après la magnifique scène nos amoureux s’accompagnent au chant et au piano.

 Lorsque les personnages se séparent sans un mot, le retour au réel s’avère encore plus douloureux à affronter seul. Les parents absents et/ou démissionnaire renvoient Kinichi et Akiko à leur solitude, et font de l’absent et de cette parenthèse enchantée la seule lueur d’un horizon morne. Kinichi se heurte à un système administratif sans âme tandis que Kinichi ne voit que l’avilissement au machisme brutal pour s’en sortir. Masumura place leur destin en miroir pour nous faire comprendre que ce n’est qu’ensemble qu’ils surmonteront ce réel qui les tourmente. Le réalisateur capture cette solitude dans le mouvement pour Kinichi, son agitation dans l’environnement urbain et les bars bondés révélant un gamin sans parent (les rencontres avec sa très distante mère). Pour Akiko l’attitude enjouée s’estompe pour une résignation figée, comme son sourire face à sa mère à laquelle elle ne peut dire la vérité, figé comme son corps terrifié face à un homme qui veut abuser d’elle pour une faveur financière. 

La superbe photo de Joji Ohara donne dans un clair/obscur stylisé où se ressent l’influence d’Antonioni et sert le propos du film. On aura deviné les sentiments mutuels du couple dans la langueur estival et le plein jour, mais lorsqu’il faut enfin dire les mots tendre qui apaisent et réchauffent le cœur, Masumura choisit la pudeur de la pénombre d’un cagibi d’immeuble. Un choix visuel qui annonce les grandes explosions sensuelles et romanesques de ses films à venir, où la pudeur de la lumière masquant les corps attise leur l’ardeur (L’Ange rouge (1966), La Bête aveugle (1969) ou La Femme de Seisaku (1965) où l’ombre voir les ténèbres de la cécité réveillent le désir et les sentiments). Le couple Hitomi Nozoe/Hiroshi Kawaguchi illumine le récit de sa vulnérabilité et de sa photogénie, les deux acteurs se marieront d’ailleurs à la ville et constitueront l’idéal romantique des premiers films de Masumura qui les emploiera à nouveau dans Géants et jouets (1958) ou Avenue des enfants ingrats (1958). Un galop d’essai superbe qui amorce une grande carrière. 

Sorti en dvd zone 2 anglais chez Yume et doté de sous-titres anglais 

Extrait avec un moment de grâce du film

 

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