Kinichi et Akiko, qui
se sont connus en allant voir leurs pères respectifs en prison, partent
ensemble en moto au bord de la mer. Akiko veut se vendre à un homme qui cherche
à la séduire, pour pouvoir payer la caution de son père.
Les Baisers est le
premier film de Yasuzo Masumura qui témoigne déjà de la sensibilité occidentale
de son cinéma. Après ses études à l’Université de Tokyo (dont il sort diplômé
en philosophie) et avoir été assistant-réalisateur au sein de la Daiei,
Masumura obtient une bourse qui lui permet d’étudier la réalisation durant trois
ans en Italie au Centro Sperimentale di Cinematographia, sous la tutelle de
Michelangelo Antonioni (avec lequel il se lie d’amitié), Federico Fellini et
Luchino Visconti. De retour au Japon en 1953, il assiste entre autre Mizoguchi
avant de pouvoir passer à la réalisation avec Les Baisers.
La sensibilité adolescente du film s’inscrit dans le courant
taïo-zoku (« adorateur du soleil ») qui
posait un regard langoureux et hédoniste sur la jeunesse d’après-guerre et
constituait un pendant des Monika
(Ingmar Bergman, 1953), Les Adolescentes
(Alberto Lattuada, 1960) ou La Fureur de
vivre (Nicholas Ray, 1955) occidentaux. Masumura rend cet érotisme plus
diffus que dans d’autres de ses films à venir et s’attache surtout à une
dimension romantique qui va surmonter une situation économique difficile. Les
jeunes héros se rencontrent ainsi dans l’adversité lorsqu’ils viennent visiter
leurs pères respectifs en prison.
Kinichi (Hiroshi Kawaguchi) et Akiko (Hitomi
Nozoe) se confrontent à travers l’emprisonnement de leurs pères aux maux du
monde des adultes. L’engagement politique forcené de son père (coupable d’avoir
truqué des élections) pour Kinichi, le dénuement économique pour Akiko (dont le
père a volé de l’argent pour payer les soins de sa mère malade) placent donc
les personnages face à des responsabilités précoces où ils devront trouver l’argent
de la caution pour les libérer. Leur détresse commune les rapproche dans une
attitude différente pour chacun, bienveillant mais renfrogné dans l’expression
de ses sentiments avec Kinichi, et à l’inverse expressive et à fleur de peau
pour Akiko.
Plus que les mots, l’épanouissement de cette romance
adolescente passe par les moments en commun où l’horizon se libère de la
réalité oppressante et autorise une tendresse maladroite mais sincère. La longue
ballade estivale du couple offre une véritable photographie de la jeunesse
japonaise d’alors avec ses virées à moto, ses jeux de plage ou partie de
patinoires. On peut être certain que Masumura a vu en Italie le fameux Dimanche d’août (1950) de Luciano Emmer
dont un des épisodes offre une même échappée belle à un couple juvénile.
Masumura s’inscrit totalement dans la veine néoréaliste « rose » du
film d’Emmer avec ce réel difficile qui ne se déleste pas de quelques touches
amusée. Cela s’entrecroise d’ailleurs brillamment avec l’apparition du fils du
peintre, prétendant pressant qui illustre la toute-puissance de la classe aisée
et qui vient briser l’harmonie fragile entre Kinichi et Akiko – intervant juste
après la magnifique scène nos amoureux s’accompagnent au chant et au piano.
Lorsque les personnages se séparent sans un mot, le retour
au réel s’avère encore plus douloureux à affronter seul. Les parents absents
et/ou démissionnaire renvoient Kinichi et Akiko à leur solitude, et font de l’absent
et de cette parenthèse enchantée la seule lueur d’un horizon morne. Kinichi se
heurte à un système administratif sans âme tandis que Kinichi ne voit que l’avilissement
au machisme brutal pour s’en sortir. Masumura place leur destin en miroir pour
nous faire comprendre que ce n’est qu’ensemble qu’ils surmonteront ce réel qui
les tourmente. Le réalisateur capture cette solitude dans le mouvement pour
Kinichi, son agitation dans l’environnement urbain et les bars bondés révélant
un gamin sans parent (les rencontres avec sa très distante mère). Pour Akiko l’attitude
enjouée s’estompe pour une résignation figée, comme son sourire face à sa mère
à laquelle elle ne peut dire la vérité, figé comme son corps terrifié face à un
homme qui veut abuser d’elle pour une faveur financière.
La superbe photo de
Joji Ohara donne dans un clair/obscur stylisé où se ressent l’influence d’Antonioni
et sert le propos du film. On aura deviné les sentiments mutuels du couple dans
la langueur estival et le plein jour, mais lorsqu’il faut enfin dire les mots
tendre qui apaisent et réchauffent le cœur, Masumura choisit la pudeur de la
pénombre d’un cagibi d’immeuble. Un choix visuel qui annonce les grandes
explosions sensuelles et romanesques de ses films à venir, où la pudeur de la
lumière masquant les corps attise leur l’ardeur (L’Ange rouge (1966), La Bête aveugle (1969) ou La Femme de Seisaku
(1965) où l’ombre voir les ténèbres de la cécité réveillent le désir et les
sentiments). Le couple Hitomi Nozoe/Hiroshi Kawaguchi illumine le récit de sa vulnérabilité
et de sa photogénie, les deux acteurs se marieront d’ailleurs à la ville et
constitueront l’idéal romantique des premiers films de Masumura qui les
emploiera à nouveau dans Géants et jouets
(1958) ou Avenue des enfants ingrats
(1958). Un galop d’essai superbe qui amorce une grande carrière.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez Yume et doté de sous-titres anglais
Extrait avec un moment de grâce du film
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