En 1910, un nouveau
divertissement populaire fait des ravages : il s'agit des premiers pas du
cinéma à cinq sous, des films muets avec des sous-titres et un accompagnement
au piano. L'essor de l'industrie cinématographique conduit les producteurs
indépendants à s'installer en Californie. Par hasard, quatre jeunes gens
d'origines et de professions différentes se trouvent propulsés dans cette
fabuleuse épopée...
Peter Bogdanovich s’est toujours différencié de ses
contemporains et collègues du Nouvel Hollywood par son rapport au passé. Si la
plupart cherchent à balayer le passé et innover dans le type de récit abordé,
la manière de les narrer, les thématiques ou la facture technique, (y compris
un Scorsese quand il fait New York New
York) Bodganovich de par son parcours entretient une déférence plutôt qu’une
défiance vis-à-vis du vieil Hollywood. Avant de passer à la mise en scène, Bogdanovich
est un cinéphile historien qui eut l’occasion de s’entretenir voire de nouer de
vraies amitiés avec toutes ses idoles à la carrière finissantes telles que John
Ford, Howard Hawks, Raoul Walsh, Alfred Hitchcock… Parmi ces interlocuteurs de choix,
on trouve également Allan Dwan, pionnier d’Hollywood et fin observateur de toutes
les mues du système durant sa longue carrière. Il gratifiera Bogdanovich de
savoureuses anecdotes sur les premières heures rocambolesque du cinéma muet aux
Etats-Unis. Entretemps Bogdanovich est devenu un cinéaste de premier plan grâce
à La Dernière Séance (1971) et a
creusé ce sillon nostalgique et cinéphile dans la néo screwball comedy On s'fait la valise, docteur ? (1972),
le road-movie période Grande Dépression La Barbe à papa (1973) et la comédie musicale Enfin l’amour (1975).
Il a alors le projet de signer un film
évoquant de manière réaliste et amusée l’odyssée des pionniers du muet. Au même
moment, les producteurs Robert Chartoff et Irwin Winkler entretiennent une
volonté similaire sur la foi d’un script brillant de W. D. Richter pour lequel
ils envisagent Arthur Penn à la réalisation. Informé par son agent et se
doutant bien que deux productions sur le même sujet ne pourront voir le jour,
Bogdanovich prend les devants et va proposer ses services à Chartoff et Winkler
ainsi qu’à la Columbia qui finance le film. Si le studio est satisfait de s’attacher
ce nom prestigieux, Winkler se montrera méfiant quant à la volonté du
réalisateur de remanier entièrement le script de Richter. Bogdanovich va ainsi
accentuer (fort des anecdotes recueillies de la part des intéressés) la
dimension réaliste ainsi que la tonalité de comédie alors que la première
mouture de Richter était nettement plus dramatique (et réussie selon Winkler).
La force de Bogdanovich est d’exprimer cette ère de tous les
possibles dans un pur élan comique. Il reprend la science screwball du
quiproquo pour lier le destin de ses héros (les rencontres heurtées et les
échanges de valises impromptus entre Harrigan, Buck et Kathleen), une bagarre rocambolesque
signe l’alliance et l’amitié entre Harrigan et Buck. On retrouve ici la
frénésie burlesque de On s'fait la
valise, docteur ? mais dépassant le seul plaisir du gag pour servir la
nature tout aussi improvisée et défricheuse des élans créatifs de l’équipe
cinéma. En témoigne la virevoltante scène de la montgolfière où une réaction en
chaîne d’incident aboutit à des situations incroyables que Harrigan n’hésite
pas à capturer dans l’objectif de sa caméra, quitte en refaçonner son histoire
autour de ses impressionnantes nouvelles images. Bogdanovich exprime d’ailleurs
là la primauté de l’expérience formelle sur une narration primaire en ces
premiers temps, pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs quand Harrigan
découvrira que Hobb mélangé les images de ses films à de seules fins comique au
détriment de l’histoire.
Le réalisateur s’avère aussi méticuleux dans le détail
trivial (la mauvaise odeur régnant dans les premières salles de cinéma) que
dans d’autres plus cruciaux mais oubliés avec le lobbying sur les brevets de
caméra bloquant tout nouvel entrant dans le milieu. Le triangle amoureux du
film est assez classique mais Bogdanovich le dynamise par son approche tendre
et amusée et où l’urgence (la fuite du tournage pour se marier de Buck et
Kathleen) se dispute à la mélancolie silencieuse notamment à travers le dépit
amoureux de Harrigan. C’est d’ailleurs par l’interprétation sensible de Ryan O’Neal
que s’exprime rapport changeant de l’époque face au média cinématographique. L’improvisation
initiale cède à de vraies velléités artistiques qui se heurtent d’abord aux
élans mercantiles (rattachés aux origines saltimbanques de l’exploitation
cinéma) puis industriels du cadre des studios. Après l’anarchie initiale des
productions indépendantes, un saisissant travelling nous faisant passer d’une
ambiance à une autre sur les différents plateaux nous amène à une rigueur,
organisation et finalement spontanéité étouffée par la logique industrielle.
Tout cela peut amener à un tout cohérent et artistiquement ambitieux mais
Harrigan n’en sera que le spectateur en voyant la première projection publique
de Naissance d’une nation de D.W.
Griffiths (1915) qui fait basculer le cinéma dans une nouvelle ère. La flamme
est pourtant toujours là et la scène finale se montre autant nostalgique que
tournée vers l’avenir, l’odyssée picaresque à laquelle nous venons d’assister n’étant
que le début. Le film sera malheureusement un cuisant échec public et
critique qui parachève une production houleuse où Bogdanovich enchaînera les déconvenues,
notamment le refus du studio de le laisser tourner en noir et blanc (injustice réparée avec les
éditions vidéos plus tardive respectant la volonté du réalisateur. Aujourd’hui
il reste un des plus méconnus et attachants film de son auteur.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez StudioCanal
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