Nouvellement couronné, Edouard II rappelle son fidèle ami et amant Piers Gaveston de l’exil. Follement épris de ce dernier, Edouard le couvre de cadeaux et de titres honorifiques, suscitant la jalousie de la cour. Avec l’appui du roi, Gaveston fait torturer et enfermer l’évêque de Winchester, responsable de sa déportation, à la Tour de Londres. Outragé par cet acte, la cour s’organise autour de Mortimer, le chef des armées, et de la reine Isabelle, souveraine délaissée, pour exclure Gaveston.
Edward II est un des films les plus célébrés de Derek Jarman. Il y poursuit sa démarche de relecture post-moderne de matériau et personnages classiques, à l’aune de préoccupations socio-politiques contemporaines. Il avait entamé cette approche dès ses débuts avec le biopic Sebastiane (1976), l’adaptation de Shakespeare La Tempête (1979), avant de rencontrer un premier succès avec le magnifique Caravaggio (1986). Au départ, Edward II, adapté de la pièce éponyme de Christopher Marlowe et classique de la tragédie élisabéthaine, est envisagé comme une production plus « classique » que les précédents travaux de Jarman avec reconstitution, costumes et tournages dans des châteaux anglais. L’impossibilité de réunir le budget adéquat va stimuler l’imagination de Derek Jarman qui va livrer une proposition plus radicale.
La pièce de Christopher Marlowe s’appuyait sur la thèse d’une relation homosexuelle entre le roi d’Angleterre Edward II et son favori Piers Gaveston. C’est l’interprétation d’un fait pas forcément prouvé historiquement, même si les faveurs accordées par Edward II à son favori participa à lui attirer la haine des barons anglais et le déclenchement d’une guerre civile qui causera la perte du souverain. L’esthétique et la narration de Jarman font le choix d’une épure « théâtrale », qui sur le fond ne garde que le squelette de la pièce et évacue toute considération contextuelle et historique, et sur la forme se déleste de la moindre volonté de reconstitution classique. Le récit se déroule dans de grands espaces vides séparés par des cubes de pierre.Les anachronismes sont assumés et participent au message actuel que veut asséner Jarman. La part dissidente de la cour menée par Mortimer (Nigel Terry) arbore des uniformes militaires modernes signifiant la rigidité, fermeture d’esprit et intolérance qui réside à leur dégoût moral et social à voir Galveston ( Andrew Tiernan) partager l’intimité d’Edward (Steven Waddington). Le couple scandaleux n’est pas pour autant dépeint comme victime innocente, la relation de dépendance passionnelle et maladive créant un malaise certain lors de leurs scènes d’amour. La nature d’intriguant revanchard de Galveston est ainsi scrutée lorsque ses nouveaux attributs de pouvoirs obtenus, il se venge en torturant et faisant exécuter un prêtre ayant contribué à son exil. Edward II, souvent dépeint comme un souverain tyrannique et caractériel, trouve dans la prestation outrée de Steven Waddington toute l’inconséquence de l’amoureux transi pour lequel plus rien n’existe d’autre que l’objet de son affection. Cette vue courte n’est pas celle de la reine Isabelle (Tilda Swinton) qui, minée par son amour éperdu pour le roi et le rejet qu’elle subit en retour, met justement cette frustration au service de l’objectif féroce de la mort de Galveston, puis celle d’Edward. On ressent cette nuance dans le jeu de Tilda Swinton, tout aussi passionné et au bord du lâcher-prise, mais dont le désir frustré déplace la détermination d’une volonté d’union (physique avec Edward) à une autre de destruction et séparation (de Galveston puis d’Edward). Le tournage studio offre à Jarman des possibilités que l’option première de décors naturels n’auraient pas permises. La photo de Ian Wilson travaille des jeux d’ombres qui guide justement les jeux de pouvoir. Les rodomontades d’Edward lui laissent croire qu’il détient l’autorité mais l’ombre des différentes forces en présence de la cour l’écrase de leur influence néfaste et lui force plus d’une fois la main, telle cette scène où l’ombre d’un ecclésiastique étouffe le roi avant de le contraindre à exiler une nouvelle fois Galveston. Comme presque tous les films de Derek Jarman, Edward II est un manifeste pour la défense de la communauté gay alors qu’elle subit de nombreuses attaques de la part du gouvernement Thatcher, notamment à cause de la peur générée par la montée du virus du sida -Jarman était d’ailleurs séropositif et en mourra en 1994. Dans une séquence il associe les troupes des barons opposants aux forces de police de l’époque agressant les gays, orchestrant une mort douloureuse et sanglante pour Galveston. Le peuple manifestant contre cette tyrannie est quant à lui figuré sous les slogans, pancartes et silhouettes des militants de l’association activiste LGBT d’OutRage bien connue à l’époque en Angleterre. L’interprétation du passé rejoint donc les tumultes du présent dans un spectacle bouillonnant. Néanmoins le message et les anachronismes peuvent aussi par moment se mettre au service de moments plus délicats et suspendus, avec cette très belle scène de danse amoureuse (préfigurant une nouvelle séparation) entre Edward et Galveston tandis qu’Annie Lennox (du groupe Eurythmics) fait une apparition féérique où elle chante Ev'ry Time We Say Goodbye de Cole Porter. Fiévreux, tourmenté et engagé, Edward II est une des œuvres les plus marquantes d’Edward Jarman.Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta
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