La belle orpheline Dora (Catherine Spaak) vit
chez son oncle prêtre... Elle séduit le séminariste Giacomo (Vanni De
Maigret) et fuit avec lui à Riccione. Hélas, il l'abandonne au petit
matin. Désemparée, elle découvre le désir des hommes et utilise sa
séduction. Elle rencontre alors Nino (Nino Manfredi), le petit escroc
dont elle tombe amoureuse, et Michele (Lando Buzzanca), un policier de
Parme, qui veut l'épouser. Elle quitte ce dernier en pleine rue et
décide de rejoindre Nino. Mais elle constate qu'il est marié et qu'il
travaille dans une épicerie.
La Fille de Parme est le troisième film du cycle d'Antonio Pietrangeli consacré à la condition féminine italienne, suivant Du soleil dans les yeux (1953) et Adua et ses compagnes (1960), et précédant Je la connaissais bien
(1965). Chacun des films est un marqueur de la société italienne qu'il
dépeint, et en traduit les profondes mues à travers le destin de ses
figures féminines. L'héroïne de Du soleil dans les yeux
était comme une enfant apeurée par la modernité de la ville et de ses
mœurs, et marquée par une douloureuse expérience en essayant de s'y
plier sans y être totalement préparée. Au contraire le groupe de
prostituées repenties de Adua et ses compagnes ne connaissait que trop bien l'envers dissolu de cette bienséance hypocrite, sans jamais pouvoir échapper à leur condition. Je la connaissais bien
plaçait son jeune femme fêtarde au centre d'un monde hédoniste et
désormais libéré des entraves morales, mais pour en faire un être seul
et désespéré. Dans chacun des films, le contexte plaçait la femme en
être sacrificiel payant chèrement la volonté d'indépendance morale et
sociale dans des environnements leur donnant l'illusion que cela leur
était enfin possible.
La Fille de Parme est judicieusement placé
dans ce corpus, puisque Catherine Spaak semble y incarner un personnage
libéré dans un monde qui ne l'est pas encore tout à fait, mais sans
être consumé par la vie comme la Stefania Sandrelli de
Je la connaissais bien
qui constitue vraiment l'étape suivante. Une narration faite de va et
vient entre passé et présent nous fait suivre Dora (Catherine Spaak),
jeune femme sophistiquée et sexuellement libérée avec en contrepoint des
flashbacks sur les circonstances qui l'ont menées à cette désinvolture.
La grande différence avec les autres films, c'est qu’ici Dora n'est pas
naïve, candide, et ne subit jamais les évènements. Les hommes sont
veules, pervers et fourbes comme toujours, mais elle en a conscience et
ne sera jamais leur victime. Elle goutera chaque liaison pour ce qu'elle
est, laissant les hommes s'emporter dans leurs élans pour elle sans
s'amouracher sincèrement d'aucun. L'argument de plusieurs situations
semblent exprimer le contraire puisque la livrant souvent en pâture aux
amants ou prétendants mais l'approche de Pietrangeli ainsi que le jeu de
Catherine Spaak le font ressentir autrement.
Entamant une liaison avec
un jeune aspirant prêtre (Vanni De Maigret), Dora est capturée dans tout
son détachement lascif et languide tandis que la tension et la peur du
regard des autres passent par le regard du religieux - qui la quittera
par culpabilité justement. Notre héroïne semble en mue permanente, se
tannant d'un cuir de plus en plus dur au fil de ses expériences avec la
petitesse masculine. Une scène le représente magnifiquement lorsque,
abandonnée par le jeune curé, elle découvre le paquet de cigarettes que
ce dernier a laissé sur le lit. Elle décide d'en fumer une et s'étouffe
dans un premier temps, avant de parvenir à la consommer avec élégance
tandis que ses larmes se sèchent. Les amants de passages seront pareils à
cette cigarette, des éléments nouveaux dont il faut apprivoiser et
assumer la toxicité sans les laisser nous étouffer.
Pietrangeli ne fait de Dora ni une victime, ni une mangeuse d'hommes
insatiable, simple une femme assumant ses désirs et parfois se pliant à
ceux des autres par pure nécessité (le tenancier d'hôtel demandant le
règlement de la note "en nature"). Les moments potentiellement glauques
sont balayés par une Catherine Spaak qui écrase de sa détermination et
dédain les rustres inélégants et trop entreprenants, tel cet
entrepreneur faisant miroiter des photos de publicité pour l'attirer
dans sa chambre d'hôtel. Le réalisateur brille dans ces effets de
montage fluide à créer des transitions ironiques d'une temporalité à
l'autre, avec un dialogue, un geste ou une tonalité qui trouve son
envers souvent moral dans la bascule. C'est le cas notamment lorsque le
prétendant policier (Lando Buzzanca génial de piété précieuse malvenue)
demande en mariage Dora, un panoramique sur des cloches d'église nous
faisant voir non pas une cérémonie, mais Dora en flashback et petite
tenue prenant des photos dénudées pour un précédent amant douteux (Nino
Manfredi). Dora est un défi à l'hypocrisie et dichotomie de la société
italienne, que ce soit pour les hommes où les femmes.
Le piquant et la
tentation de l'aventure existe aussi chez les femmes mûres et
respectables comme chez Amneris (Didi Perego), bienfaitrice de Dora
l'ayant connu enfant, mais il faut préserver les apparences. Le policier
coincé souhaitant convoler avec Dora est aussi confronté à ses
contradictions, recherchant un idéal de femme pure et forcément vierge,
mais piégé par Dora qui lui fera goûter son expertise érotique dont il
ne pourra plus se passer. La facette sexuée de l'amante doit se
restreindre à la chambre tandis que la femme digne et soumise est
exposée à l'extérieur inquisiteur, ce à quoi se refuse notre héroïne
intrépide. Cette schizophrénie est croquée de manière hilarante dans une
scène de lit où le policier, dans une posture affligée, traite vulgaire
Dora de "pute" avant de se réfugier dans ses bras et l'embrasser. Dora représente la part d'ombre dissolue des hommes, ce que Pietrangeli traduit formellement dans des compositions de plan où elle apparaît comme une une projection mentale et coupable de ceux lui ayant cédé. La
seule relation durable et attachante sera ainsi avec le photographe raté
joué par Nino Manfredi qui assume aussi sa médiocrité sans se draper
d'un masque de vertu. L'ironie sera que le réalisateur reprend cette composition de plan pour faire de la femme "respectable" que choisit en définitive Manfredi cette fois la projection mentale de Dora, lui faisant entrevoir la "dignité" qu'elle n'aura jamais, qu'elle ne souhaite jamais représenter.
Dora n'est jamais présentée comme une paria, si ce n'est à travers le
regard des autres dont elle n'a cure. C'est d'ailleurs une source de gag
lorsque présentant son fiancé à son oncle prêtre, ce dernier confond
sans cesse la profession du nouveau venu avec celle de ses nombreux
prédécesseurs amenés par Dora. Catherine Spaak est absolument parfaite
de séduction et de distance, tout en parvenant à éviter le risque de
froideur pour ce personnage peu sentimental. La dernière scène laisse
entrevoir malgré tout la quête d'une vraie relation qui sera empêchée
par un partenaire choisissant à son tour de rentrer dans le rang, et
laissant Dora retourner à son papillonnage séducteur. Mais l'on sent
bien que cela nous amène vers l'héroïne brisée du film suivant
Je la connaissais bien,
l'image finale de Dora rajustant son maquillage anticipant la scène
tragique où Stefania Sandrelli à bout de forces laisse ce même
maquillage couler avec ses larmes sur son visage.
Sorti en dvd italien
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